SCENE VI.
TIMOPHANE, ÉRONIME, TIMÉE.
EIGNEUR, du haut des tours qui défendent la ville,
On voit de Sparte au loin flotter les étendarts. Déjà vos ennemis ofent dans ces remparts Faire entendre leur voix & parler de vengeance. Sparte, n'en doutez pas, vient prendre leur défense. De concert avec elle, & les vents & les eaux, Cette nuit fur nos bords ont porté ses vaisseaux. Échappés aux écueils qui bordent cette plage, Ses nombreux bataillons ont couvert le rivage. TIMOPHANE. Ah! puiffé-je du moins n'avoir à furmonter Que ces fiers ennemis que je puis détefter. (A Timée.)
'Au peuple obéiffant, va, fais prendre les armes. Intimide l'audace, appaife les allarmes.
Avant que de marcher à ces Républicains, Il nous faut dans ces murs affurer nos deftins. Raffemble nos guerriers, & furtout près des portes Fais veiller avec foin nos plus braves cohortes. (A Eronime.)
Va, vole je te fuis. Il faut nous féparer. Adieu, Pour être à toi je vais tout préparer.
Quoi ! fous ces murs prophanesį
Séjour jadis facré de nos premiers Prytanes, Léofthene ofe-t-il conduire un citoyen? Ton danger dans ces lieux doit être égal au mien. C'est le palais du crime &de la tyrannie.
L'accès m'en eft ouvert par les foins d'Ifménie. Je viens de lui parler, mon zèle & mes avis Confolaient fa vertu qui pleure fur un fils. Mais toi dont je connais l'ame fiere & hardie, Tu ne te bornes pas à pleurer la Patrie;
Et tes amis & toi font faits pour la venger. Inftruis-moi des périls que je veux partager. Si de notre amitié tu te fouviens encore, Apprens-moi quels projets en ces lieux vont éclore. Va, mon cœur en eft digne, & mon sang est à vous. CRATÉS.
Léofthene! ah! pourquoi faut-il que loin de nous Timoléon portant fon courage & la guerre, Nous prive d'un fecours, hélas ! fi nécessaire. Son abfence fatale a fait notre malheur. Nous avons refpecté dans ce fier oppresseur Le fang de ce héros fi cher à la Patrie, Nous n'avons pas ofé décider de fa vie. Nous attendions toujours en ce preffant danger Qu'entre un frere & l'État lui-même il vînt juger. Il a fallu bannir un espoir inutile.
Sans doute jufqu'à lui fur les mers de Sicile Nos avis & nos vœux ne font point parvenus. Par ces délais encor nos périls font accrus. Enfin Sparte nous offre une prompte vengeance. Pour brifer notre chaîne elle arme fa puiffance. Ces peuples nés jaloux des droits Républicains, Se chargent aujourd'hui du foin de nos deftins. Ils viennent;cette nuit nous leur ouvrons nos portes. De Timophane alors furprenant les cohortes, Dans fon fang criminel notre bras indigné Saura laver l'affront de l'avoir épargné. Tu frémis!... Ce projet étonne ton courage!
Non, vous fervez l'État ; & mon devoir m'engage
A m'unir avec vous dans vos juftes deffeins. Ah! c'eft Timoléon, c'eft lui feul que je plains. Hélas! de tant d'exploits quelle eft la récompenfe! Il va revoir ces murs après trois ans d'absence; Et ne retrouvera dans ce trifte palais
Que le fang de fon frere & fur-tout fes forfaits. Et toi qui le chéris, toi plus à plaindre encore, Victime des forfaits que ta vertu déplore, Refpectable Ifménie, ah ! parmi tant d'horreurs Seras tu condamnée à vieillir dans les pleurs? Ta tendreffe à ce point fera-t-elle trompée ? Mais de quel bruit confus mon oreille eft frappée ! Sous ce portique au loin je vois de tous côtés, Je vois nos citoyens l'un fur l'autre portés.
On approche, & mes yeux.... Dieux! quel bonheur
Oui, c'est Timoléon, cher ami; c'est lui-même.
CRATES,LÉOSTHENE,TIMOLÉON, TIMÉE, SÉNATEURS de la fuite
TIMOPHANE en ces lieux va bien-tôt vous revoir.
Retenu quelque temps par un autre devoir,
TIMOLÉON.
Timée, épargnez ma misere. Parlez de Timophane & non pas de mon frere ; Ce nom n'eft plus pour moi qu'un opprobre éternel. Je le verrai trop tôt, puifqu'il eft criminel. Allez.
SCENE III
TIMOLÉON, CRATES,LÉOSTHENE
QU'AL-JE entendu ? Que m'a dit Ifménie?
A quel prix je revois ma mere & ma Patrie ! L'étranger infolent s'avance contre nous. Le joug de l'esclavage eft fufpendu fur vous. Voilà donc, juftes Dieux ! les fruits de ma victoire. Mon cœur peut-il goûter les préfens de la gloire? Ah! j'aurais dû finir mes jours trop avilis Sous le fer des tyrans que mon bras a punis. Que dis-je ? Dans mes maux quel vain tranfport m'égare!
La faibleffe en gémit, la vertu les répare. Pour cet illuftre effort les Dieux m'ont réservé ; Rien n'eft encor perdu, puifqu'ils m'ont conservé, Mais vous, vous Sénateurs, dont l'ame incorruptible Sans doute n'eut point part à ce complot horrible,
« PrécédentContinuer » |