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Moi, je vous avouerai que je n'y vais jamais,
Que pour y voir danfer dans les Ballets.
LEANDRE.

J'adore comme vous la Danse;
Rien n'égale fon éloquence.

Les pas expriment plus cent fois que les difcours.
Quand on emprunte leurs fecours,

La converfation n'eft jamais languiffante.
Ah!ce Couté la reléve toujours.
MELANIE.

Et ce Pas de côté la rend intéreffante.

Celle qui parle aux yeux eft la plus amufante.
LEANDRE.

Pour commencer notre entretien flateur
En arrivant, d'abord je vous falue,
En brillant & lefte Danfeur
Qui fixant avec grace une amoureuse vûe
Sur tous les mouvemens de fa jambe tendue,
Eft fon premier admirateur.
MELANIE.

Et moi, je vous reçois avec l'air de grandeur
Qu'étalent à nos yeux nos Danseuses illuftres,
De qui les bras, par leur hauteur
Semblent vouloir toucher, & dépendre les luftres.
LEANDRE.

Ce développement annonce que mon cœur
Va devant vous dévoiler fa langueur.
MELANIE.

Ce mouvement foudain qu'un trouble feint anime,
Prouve au moins que je fçais bien jouer la pudeur.

LÉANDRE.

Chaffez une injufte frayeur.

Ce Pas de Loure vous exprime
La plus parfaite & la plus tendre estime.
MELANIE.

Et je réponds à cet aveu difcret,
Par quatre Pas de menuet.
LÉ ANDRE.

Vous méprifez ma flamme sérieuse; Puifque vous n'aimez pas la Danfe langoureuse, Je vais plus vivement marquer mon feu fecret. (Il fait la pirouette & plufieurs jettés battus.) MELANIE.

Je redoute un amour si vif & fi coquet.

Adieu, je fuis à tire d'aîle,

Et j'imite, en courant, le vol de l'Hirondelle.
LÉANDRE.

Cruelle! vous fuyez, mais vos efforts font vains;
Pour vous punir d'une telle incartade,
Je vous pourfuis, je vous atteins,
Et je vous ferme les chemins
Par une gargouillade.

MELANIE.

Je ne puis plus marcher. Que vais-je devenir? Dans ce danger pressant ne perdons point la tête. Puifqu'on m'empêche de courir,

Il faut bien, malgré moi, que tout court je m'arrête. Mais ne reftons point fans agir.

Pour voltiger, fi je n'ai plus d'espace,
Par mes mines du moins tâchons de le fléchir.
Regardez le contour de ce bras plein de grace,
Il vous dit tendrement : eft-ce donc par l'audace
Que l'on parvient à fe faire chérir?
LÉANDRE.

Je fuis vaincu moi-même, & vous demande grace!
Par la feule douceur je veux vous attendrir;
Par mille petits foins j'efpére y réuffir.

Mes pieds auprès de vous ne tiennent point en place.
Mon cœur eft transporté ! Que je baise ce bras.
MELANIE.

Le baifer! Doucement, car ce n'est point un Pas.
LÉANDRE.

C'est une expreffion, il en faut dans la Danse.
Je puis d'ailleurs le baifer en cadence.

Ah!

(Il lui baife le bras en dansant.) MELANIE.

Taifez-vous; petit badin,

Mon cœur en eft ému, ma vertu s'en offense.
Vous m'avez fait un vrai chagrin.
LÉANDRE.
Votre pudeur a tort, dites-lui de fe taire.

MELANIE.

Je me fâcherois à la fin !

Refpectez mieux la bienséance.
LÉ ANDRE.

Mes moindres Pas font foumis à fon frein

Et jufques dans mes fauts je mets de la décence.

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MELANIE.

Le Danfeur qu'elle guide eft le plus féducteur.
LEANDRE.

Je vais donc employer fon coloris flatteur.
MELANIE.

De ce Pas-là j'admire l'élégance.
LEANDRE.

De celui-ci regardez la douceur.
MELANIE.

Qu'il eft tendre! Ah! je fens qu'il me ravit le cœur.
Je combats vainement fa puiffance fecrette.
LÉANDRE.

O Ciel ! Eft-il bien vrai ? Suis-je votre vainqueur? MELANIE.

Cette attitude-là vous marque ma défaite,

LEANDRE.

Que mon bonheur eft doux! Que ma joye eft parfaite !

Et que ma victoire a d'éclat !

Je vais la célébrer par un double entrechat.

MELANIE.

Non, moderez plûtôt l'ardeur qui vous domine.
Soyez vainqueur modefte, & triomphez fans bruit.
Si l'amour propre, où votre cœur incline,
Veut célébrer un bien qui le féduit
Que ce foit par une fourdine.
LEANDRE.

Ainfi qu'un Papillon, je vole fans fracas.

Mon effor eft rapide, & l'on ne l'entend pas.

MELANIE.

Vous imitez par l'inconftance

Ce même Papillon dont le vol eft fi doux.
LEANDRE.

Par mes Pas feulement j'imite fon filence.
Si l'on me voit voler, ce n'eft qu'autour de vous.
(Il voltige autour d'elle.)
MELANIE.

Et moi je voltige incertaine....

La raison me retient, & le penchant m'entraîne.
Tantôt je fuis mon inclination,

Et je céde tantôt à la réflexion.

L'Amour veut triompher, l'effroi vient le combattre.

Il me fait reculer trois Pas.
LÉANDRE, lui tendant la main.

Ah! Dans le même instant, pour en avancer quatre,
L'Amour vous préfente mon bras.
MELANIE.
J'acepte avec plaifir le fecours qu'il m'envoye.
Léandre, enfin vous l'emportez;

Et cette main que vous me préfentez
Me ramene au penchant dont je deviens la proye.
LÉANDRE.

Vous comblez mon raviffement!
Par un doux entrelacement,

Que de notre union nos bras peignent la joye!

Et
par nos Pas, que nos pieds, tour à tour,
Tracent en l'air divers chiffres d'amour.

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