Mon cher Léandre, en épousant ma fille, Vous ferez le bonheur de toute ma famille. LÉANDRE. L'honneur que je reçois flate mes plus doux vœux Et me voir votre Gendre eft un bien où j'aspire. Mais l'embarras du choix,puifqu'il faut vous le dire, Tient mes efprits, Monfieur, dans la perplexité. Pardonnez à l'aveu, plein de fincérité, Que je fuis forcé de vous faire. Tout m'en fait dans ce jour une loi nécessaire. C'est pour les Talens feuls que je fuis né fenfible. Pofféde un de ces dons dans un degré divin. Et voilà ce qui rend mon efprit incertain. GERONTE. Mais j'ai choifi pour vous; Ifabelle eft l'aînée, ISABELL E. Non, je renonce aux droits des ans. Il n'eft pas queftion de leur prééminence. Ils Ils fe trouvent en concurrence. Je ne difpute ici que pour l'honneur du mien. LUCIND E. Je ne dois pas céder en rien. La gloire de mon art s'y trouve intéreffée. Attendez, il me vient une bonne pensée. Il faut qu'en lice ils entrent tous. Si vous voulez l'approuver l'une & l'autre, Chacune nous pouvons faire briller le nôtre, Tout-à-l'heure, dans un Ballet Dont j'ai conçu le plan & qui vient au fujet. Ce font les trois Mufes Rivales, Différentes de goût, mais en mérite égales. Celles dont mon art a fait choix, Sont Melpomène, Érato, Terpficore, Qui fe difputent à la fois L'honneur de foumettre à leurs loix Un Génie agréable & plus léger encore. (A Ifabelle.) Vous ferez Mel omène, & Lucinde Érato; Moi, je ferai la Mufe de la Danfe; Léandre, le Génie enclin à l'inconstance, Tome VIII. Celle de nous, dont l'art & la puiffance Je trouve cette idée heureuse LUCINDE. Sans balancer un feul moment, J'accepte le parti, fûre que la victoire Va bientôt, par mes foins, pancher en ma faveur. J'y confens auffi de bon cœur, Moi, je fuis fûr d'y trouver mon bonheur. La Piéce dénoue par une Pantomime, où l'on voit d'abord Melpomene endormie. Plufieurs Songes volent autour d'elle, & veulent empêcher le Génie qui paroît, d'approcher du Trône où elle repofe. Melpomène fe réveille, écarte les Songes, & le Génie lui fait tendrement l'aveu de fa paffion, & fe jette d fes genoux, il a le bonheur de la fléchir. Elle l'arme du Poignard tragique, à la faveur duquel il met en fuite les Songes jaloux, & toux deux vont fe placer fur le même Trône. On entend une Symphonie qui annonce l'arrivée d'Erato. Le Génie inconftant fe fent attirer par ces nouveaux fons, & quitte Melpomene pour fuivre la Mufe de l'Harmonie, qui va s'affeoir avec lui fur un fiége de gazon. Les Suivans d'Erato célebrent fa victoire en danfant au fon de la flute dont le Génie joue. Cette Symphonie eft interrompue par une beaucoup plus vive, qui caractérise la Mufe de la Danfe. Terpficore paroît au milieu de fa Cour en formant une contre-danfe. Le Génie ne peut réfifter à l'afcendant vainqueur du plus féducteur des Talens. Il abandonne Erato, & fe livre tout entier aux charmes de Terpficore, qui triomphe de fes deux Saurs. La Fête finit par un Tambourin danfé par le Génie, & par la Déeffe des Entrechats. |