Images de page
PDF
ePub

Avez-vous donc pû voir avec tranquillité
Opprimer la Patrie & votre liberté ?

Quel était votre espoir ? Répondez, Polifmene, Vous, Cratès, Phocion, & vous, brave Eroxene; Vous n'avez pas ofé punir ces attentats!

Quels liens ou quels Dieux ont enchaîné vos bras ?
CRATÉS.

Vous feul dans notre main fufpendiez la vengeance.
Nous devions ces égards & cette déférence
Aux vertus d'un Héros, à vous, à vos bienfaits.
Votre cœur eût fenti l'atteinte de nos traits
Et nous aurions voulu détourner cette atteinte
Sauver en même temps votre frere & Corinthe.
C'est à vous d'ordonner du fort de tous les deux
Et nous attendions tout de vous feul & des Dieux.
TIMOLÉO N.

Quoi ! déjà fous vos yeux le crime fe consomme
Et pour fauver l'État vous attendez un homme!
Quoi! fans Timoléon vous acceptiez des fers!
CRATÉS.

Nous allions prévenir un fi honteux revers.
Nous ne pouvions plus rien fur ce peuple frivole s
Épris de fes erreurs, charmé de fon idole.
Rien n'égale l'excès de fon abaissement ;
Il brigue l'esclavage avec emportement.
De ces vils citoyens la foule réunie
Contre notre vertu fervait la tyrannie.
L'attaquer fans efpoir & livrer le combat,
C'était mourir pour nous & non pas pour
Il fallait s'appuyer d'une force étrangere.
Sparte s'offrait à nous; cette ville fi fiere

l'État

A recherché l'honneur de maintenir nos droits.
Cette nuit fes guerriers, protecteurs de nos loix,
Introduits par nos foins dans Corinthe étonnée,
En nos mains du tyran livrent la destinée.

La victoire eft à nous.

TIMOLÉO N.

O projets abhorrés !
Tous les cœurs aujourd'hui font-ils donc égarés ?
Citoyens infenfés! ô ciel ! qu'alliez-vous faire ?
Vous-mêmes dans vos murs vous appellez la guerre !
Vous courez au-devant d'un perfide étranger;
Et vous armez le bras qui veut vous égorger!
Vous mettez dans fa main par vous feuls enhardie,
Les feux dont il allait embrafer ma patrie!
Vous croyez qu'il vous fert! Sénateurs imprudens !
Ne connaissez vous plus ces fuperbes tyrans ?
Avez-vous oublié l'efclavage d'Athene ?
N'eft-ce plus cette Sparte implacable & hautaine,
Qui veut être des Grecs la terreur ou l'appui,
Etre libre chez elle, & regner chez autrui,
Qui trompe & qui combat, qui joint la politique
A la férocité de l'orgueil defpotique?

Ah! vous devez la craindre; elle doit vous haïr.
Et quand Sparte en effet eût voulu vous fervir,
N'avez vous pas rougi qu'une main étrangere,
Deshonorant les dons qu'elle pouvait nous faire,
Décidât vos deftins, vous imposât la loi ?
Quand on veut être libre, il faut l'être par foi.
O honte inattendue ! ô Corinthe!ô Patrie!
Par ce dernier affront plus que jamais flétrie !
Quel eft donc ton deftin, quand tes propres enfans
Déjà pour leurs vengeurs vont choifir des tyrans

CRATÉS.

Eh bien, que penfez-vous, & que devons-nous faire?
TIMOLEON.

Abjurer un deffein funefte & téméraire
Combattre un ennemi tout prêt à vous frapper,
Qui voulait à la fois vous perdre & vous tromper,
Ne redouter que Sparte en ce péril extrême,
Vous joindre à Timophane,à ce peuple, à moi-même;
Pour chaffer l'étranger qui, feint de vous fervir,
Et qui cre fait le piège où vous alliez courir,

CRATÉS.

Mais quand de Timophane affurant la victoire,
Nous aurons augmenté fa puiffance & fa gloire,
Pourrons-nous renverfer ce nouvel ennemi,
Dans un rang ufurpé par nos mains affermi ?
TIMOLÉON.

Quelle indigne frayeur dans des cœurs auffi braves!
Quand je fuis avec vous, vous craignez d'être ef-

claves !

Penfez-vous qu'aux Tyrans mon cœur fache obeïr?
Ai-je appris à les vaincre afin de les fervir?
Et fi j'ai pu m'armer pour venger la Sicile,
Serai-je dans ma çaufe infenfible & tranquille ?
Ah! je ne crains ici ni pour vous, ni pour moi
Et mes concitoyens n'ont point encor de Roì.
Ils ont un Défenfeur... Vous pourrez le connaître.
Mais des moyens plus doux nous fauveront peut-être.
Oui ; je crois que les Dieux adoucis en ce jour
Attachaient vos deftins à mon heureux retour.
Hélas! j'euffe arrêté la main qui vous opprime;
Mon frere, fous mes yeux aurait rougi du crime.

Mais j'efpere du moins, j'efpere que ma voix,
Du devoir, de l'honneur lui retraçant les loix,
Sur fon cœur aveuglé reprendra quelque empire.
Quel que foit aujourd'hui fon funefte délire,
Sous le joug des forfaits il n'eft point abattu,
Et puifqu'il eft mon frere, il connaît la vertu.
Dieux qui nous la donnez, Dieux dont elle eft
l'ouvrage,

Vous qui la cheriffez, prêtez-moi fon langage;
Éclairez Timophane, & faites que fon cœur
Puiffe à la fois connaître & vaincre fon erreur.
Mais je le vois.

SCENE I V.

TIMOLÉON,CRATÉS, LÉOSTHENE, TIMOPHANE, TIMÉE, SÉNATEURS,

TIMOPHANE.

Ен

H! bien, votre triomphe illuftre A vous, à cet État affure un nouveau luftre. Nous partageons le prix de vos brillans travaux; Et je revois mon frere & j'embraffe un Héros. Ah! croyez que mon cœur, fenfible à votre gloire, A, du moins par fes vœux, eu part à la victoire; Et que digne en tout temps d'un frere tel que vous J'en fuis enorgueilli fans en être jaloux.

TIMOLÉO N.

Ah! ne foyez jaloux que d'aimer la Patrie ;
Je me reproche hélas ! les inftans de ma vie
Que, loin de fes regards, des exploits imprudens
A mon premier devoir ont dérobés long-temps.
Mais je puis réparer ma faute & mon abfence;
Je puis de Sparte encor réprimer Pinfolence.
Déployés dans nos champs, fes nombreux étendarts
Ofent, mais vainement, menacer nos remparts.
Corinthe combattra l'ennemi qu'elle abhorre.
On dit qu'il en eft un plus dangereux encore.
J'efpere l'oublier : des projets infenfés,
Quand je vous ai revu, doivent être effacés,
Et će Ciel qui par moi vous parle & vous éclaire,
Enfeigne à pardonner une erreur paffagere.
Songeons à la Patrie, à fon preffant danger,
Défendons-la des mains de l'avide étranger.
Puiffiez-vous aujourd'hui, plus jufte & plus fidèle
Apprendre à la chérir en combattant pour elle?
Ces braves citoyens avec moi réunis,

Vont marcher fur nos pas contre nos ennemis.
Ma voix feule,pour vous, vient d'armer leur vaillance.

Je dois trop...

TIMOPHANE,

TIMOLÉON. Sufpendez votre reconnaissance, J'efpere dans ces Dieux, les maîtres de nos cœurs ; Et vous me connaîtrez quand nous ferons vainqueurs. ( Aux Sénateurs.)

Adieu. Vous, fuivez-moi,

« PrécédentContinuer »