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La terreur est un frein pour une ame vulgaire
Je parle de vertu, quand je parle à mon frere.
J'écarte même encore un motif plus preffant;
Les devoirs fi facrés d'un cœur reconnaiffant.
N'en confultez qu'un feul, le devoir d'être jufte.
Ah! foyez citoyen, aimez ce titre augufte;
Et fi vous en avez dégradé la fplendeur,
Sachez vous repentir; voilà votre grandeur.

TIMOPHANE.

Le repentir n'eft point où ne fut point le crime.
Des hommes raffemblés le fuffrage unanime
Eft un droit pour regner, le plus facré de tous ;
C'est le mien ; & s'il eft aujourd'hui parmi vous
Des efprits obftinés de qui l'orgueil aspire
A garder un pouvoir que le mien va détruire,
Ce n'eft pas eux du moins que j'ai dû consulter :
Ils peuvent me haïr & non m'épouvanter.
J'en appelle à vous-même, à votre expérience.
Croyez-moi ; les humains, jouets de l'inconftance,
Abufant de leurs droits & de la liberté,

Ne peuvent pas long-temps fouffrir l'égalité.
Ce Peuple veut un Maître, il eft las d'être libre.
Quand le temps a détruit cet heureux équilibre
Qui fixe au même but les divers intérêts,
L'efprit Republicain eft éteint pour jamais.
Ce moment eft venu: je l'ai hâté peut-être.
J'ai difpofé ce Peuple à defirer un Maître.
Mais j'ofe m'applaudir d'être grand à fes yeux;
Tout mon art avec lui fut d'être vertueux.
Quoi ! me défendez-vous cet honneur où j'aspire
De voir tous ces mortels, heureux fous mon empire,

C

Prodiguer à leur Roi les titres les plus doux?
Quoi! ce defir fi noble eft-il vil devant vous ?
Ne m'eft-il pas permis de prétendre à la gloire
Qui des Rois adorés confacre la mémoire ?
Ce fort eft-il indigne ou de vous ou de moi?
Je fus bon citoyen: je ferai meilleur Roi.

TIMOLÉO N.

Ofez-vous affecter tout cet orgueil fublime,
Quand je fais quel efpoir vous guide & vous anime?
Penfez-vous me tromper ? ou ce cœur généreux
Craint-il de m'avouer fa faibleffe & fes feux ?
Ce cœur né pour regner, & que la gloire enflamme,
Ce cœur, je le fais trop, fait tout pour une femme.
Au prix de nos malheurs Éronime eft à vous,
Et les enfans des Rois vont dominer fur nous.
Ah! cette feule idée irrite ma colere ....
La pitié la retient... Timophane! Ah! mon frere!
Ah! jeune homme infenfé, quel eft donc ton espoir ?
Quoi! l'amour a fur toi cet indigne pouvoir!
Une femme en ton cœur eft plus. que la Patrie!
Hélas! pour prévenir ta coupable furie,
Si je n'euffe écouté qu'un devoir rigoureux,
Quel était ton deftin ? réponds-moi, malheureux.
Il femblait que le Ciel, que ta faibleffe offense,
Voulût prendre le foin de t'en punir d'avance.
Je n'avais qu'à livrer au fer des ennemis,
Tes jours alors du moins offerts à ton pays.
Mon cœur s'eft révolté contre une loi fi dure;
Je n'ai pas un moment combattu la Nature.
Au milieu des périls j'ai volé fans effroi,
J'ai présenté ma téte entre la mort & toi.

Je ne m'en repens pas : toi, du moins, toi, mon

frere,

Ne me préfere pas une femme étrangere.

Va, l'homme qui s'enchaîne eft vil ou malheureux;
Et le joug qu'on adore un jour devient affreux.
La vertu contre lui doit te prêter des armes.
Par ce nom fi facré, par ces premieres larmes,
Que mes feveres yeux répandent devant toi,
Par pitié pour l'Etat, pour toi-même & pour moi,
Et par ce même fang qui nous donna la vie,
Rends moi mon frere, hélas ! & rends-moi ma
Patrie,

Et ne m'expofe pas au repentir affreux

D'avoir fauvé tes jours pour nous perdre tous deux.

TIMOPHANE.

Va, mon cœur ne fait pas résister à tes larmes.
J'en fuis trop attendri: mais pourquoi ces allarmes ?
Que crains-tu pour l'État? Quel eft donc fon danger?
Quelles font tes frayeurs ? & pourquoi t'affliger,
Si ce Peuple préfere à fon indépendance,
De vivre dans le calme & dans l'obéiffance?
Son fort & mon pouvoir feront reglés par toi;
Ici Timoléon regnera plus que moi.
Je fais trop refpecter ton âge & tes lumieres ;
Tes avis en tout temps me feront nécessaires.
Je ne déguise rien: je fens quelque plaifir
A couronner l'Amante à qui je dois m'unir.
L'Amour n'a point d'accès dans ton cœur inflé-
xible;

Le mien, je l'avouerai, le mien eft plus sensible.

Oui ; je n'en rougis point, mes deftins & mes jours
A cet objet fi cher font foumis pour toujours;
Tout me devient affreux, fans lui, fans fa tendreffe.
Sans doute de l'amour méconnaissant l'ivresse,
Tu ne vois rien en lui qu'une frivole erreur;
Mais l'erreur eft pour l'homme, elle est son feul bon-
heur.

Ah! la mienne, du moins, la mienne eft innocente.
Vivre pour cet État, pour toi, pour mon amante,
Voilà tous mes devoirs, & voilà tous mes vœux;
Le premier droit de l'homme eft celui d'être heureux.
TIMOLÉO N.

Le mien eft de venger ma Patrie & moi-même.
Ainfi que ton forfait, ton délire eft extrême.
C'en est trop ....

SCENE III.

ISMÉNIE, TIMOLÉON;

TIMOPHANE.

TIMOLÉON.

Ан

H! Madame, ah! ma mere, venez; Les Dieux, les Dieux cruels nous ont abandonnés. Il n'a rien écouté, ni raison, ni priere. Ne voyez plus en lui votre fils ni mon frere. Mais celui qui vous refte eft digne encor de vous. Toi, fi tu veux regner, porte tes premiers coups. Frappe ou tremble. (Il fort.)

SCENE I V.

TIMOPHANE, ISMÉNIE.

TIMOPHANE.

C'E

'EST vous, vous feule, que j'implore. Vous qui favez me plaindre & qui m'aimez encore. Ma mere, moderez fon injufte courroux.

Ces débats malheureux étaient-ils faits pour nous?
Et qu'ai-je fait, ô Ciel! pour mériter fa haine ?
Pourquoi ? quelle puiffance inflexible, inhumaine,
M'oblige à renoncer à ces liens facrés,

Si puiffans fur mon cœur, fi long-tems adorés ?
Hélas! s'il ne fallait pour appaifer mon frere
Qu'abandonner ce rang, objet de fa colere,
Timophane aifément pourrait le défarmer.
Je peux mourir pour lui, mais non ceffer d'aimer.
Je puis immoler tout, mais non pas
Éronime,
Non pas ce fentiment fi vrai, fi légitime,
Le tréfor de mes jours, l'aliment de mon cœur.
Hélas! il ne fent pas mes feux & mon bonheur.
Il ne voit ne connait que fon devoir auftere.
Mais vous, ma mere, vous, plus tendre & moins

févere,

L'amour qui m'affervit vous eft-il étranger ?
Concevez cet effort que l'on ofe éxiger.

f

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