Je pourrais de mon cœur, dont je n'ai plus l'empire, Arracher cet objet pour qui feul je respire! Non, ne l'efperez pas ; je le voudrais en vain. Ah! plûtôt fans troubler mes vœux ni mon destin, Ah! laiffez, fous les yeux d'une épouse adorée S'embellir de mes jours l'innocente durée. Daignez fléchir mon frere, & je puis en ce jour Chérir également la Nature & l'amour.
Tu te fattes, mon fils, d'une efpérance vaine. Cet amour infenfé qui t'aveugle & t'enchaîne, Dérobe à tes regards les maux que je prevoi, Et qui vont t'accabler en retombant fur moi. Tu n'en faurais douter, ton frere eft inflexible. Le rang où tu prétends à fes yeux eft horrible Et nos Républicains pour t'arracher ce rang, Pour t'arracher le jour, voudraient verfer leur fang. Vois l'avenir affreux qui pour toi se prépare. Tu t'impofes la loi de devenir barbare.
Tun'as point d'autre efpoir, pour vivre, pour regner; Dans le fang de ton frere il faudra te baigner. Il faut exterminer tous ceux dont le courage Chérit la liberté, détefte l'efclavage.
Après ces premiers coups que ta main doit porter, Dans ce chemin fanglant ne crois pas t'arrêter: Sous le glaive & les fers la haine renaissante, Tes craintes, tes périls, & la mort menaçante Reproduiront encor de nouvelles horreurs ; Tu feras effrayé de tes propres fureurs. Les Peuples entourés du meurtre & des fupplices, Ces Peuples inconftans dont tu fais les délices
Frémiront des malheurs qu'ils fe font préparés, Et maudiront tes jours par toi-même abhorrés. Que dis-je? cet objet de tant d'idolâtrie, Qui commande à ton ame & regne fur ta vie, Dans ton cœur revenu de fes premiers tranfports Aigrira chaque jour le fiel de tes remords. Tu lui reprocheras le fang de tes victimes, Tes jours empoifonnés, tes tourmens & tes crimes. Tu viendras près de moi, du moins en ce moment Porter ton défespoir & ton accablement. Mais rappellés alors dans ton ame éperdue, Tes forfaits, & mes maux retracés à ta vue, Reviendront t'accabler de reproches cruels. Et te repoufferont de mes bras maternels,
Tu frémis à cette affreufe image. Va, je ne verrai point ces maux que je prélage; Et mon trépas du moins préviendra tant d'horreurs. Mon fort eft décidé ; fi tu regnes, je meurs.
Mon fils, ton cœur n'eft point farouche, Si le foin de mes jours, fi ma douleur te touche, Ofe enfin préferer à l'amour, à fa loi, Ce tendre cri du fang qui te parle pour moi. Cette idole orgueilleufe, à tes defirs fi chere, Ne t'a point commandé d'affaffiner ta mere. Ce penchant dont je vois que ton cœur fe remplit, Doit céder par degrés au tems qui l'affaiblit.
Mais la Nature, feule immuable, immortelle, Infpire un fentiment auffi durable qu'elle. Ton cœur que j'ai formé me chérira toujours. Mon fils, ne flétris point le refte de mes jours. Épargne moi, mon fils, l'horreur infupportable De mourir malheureuse en te laiffant coupable. Prends pitié de mes maux & de ta mere en pleurs. Ah! ton cœur eft-il fait pour braver mes douleurs? Je tombe à tes genoux
ΤΙΜΟΡΗΑΝΕ. Quel transport vous égare!
Vous à mes pieds! ô! Ciel!
ISMÉNIE.
J'y refterai, barbare. J'expirerai du moins en étendant mes bras Vers mon fils révolté que je n'attendris pas.
'Ah! vous en triomphez.. J'en mourrai ; mais n'im
Je ne réfifte plus, & ma mere l'emporte.
Eh bien, il faut combler mon malheur & vos vœux. Éloignez pour jamais, éloignez de mes yeux Cet objet que j'immole & que toujours j'adore ; Je ne réponds de rien, fi je la vois encore. Ah! fi vous avez cru me fauver à ce prix, Vous vous trompez, hélas ! votre malheureux fils Ne veut point aujourd'hui, pour finir sa misere, Attenter à des jours qu'il confacre à sa mere. Mais ce cruel effort, mes regrets, ma douleur, Ces nœuds que je déchire déchirant mon cœur Et cet accablement d'une ame qui fuccombe Sous vos yeux par degrés me creuferont ma tombe
Timophane, du moins, n'aura pu vous trahir; Et malheureux par vous, mourra fans vous haïr. ISMÉNIE,
Le Ciel à tes vertus doit être plus propice. Va, ne te repens point d'un fi beau facrifice, Je fens tout ce qu'il coûte, & t'en admire plus. Ne crois pas que pour toi tous les biens foient perdus, Eftre chéri des tiens, jouir de ma tendresse, Adoucir par tes foins le poids de ma vieillesse, Tel doit être ton fort: eft-il fi malheureux? Va, ces plaifirs font faits pour un cœur vertueux. Je vais faire preffer un départ néceffaire, Et bien-tôt loin de nous...
Non, demeurez, ma mere. Ma mere, par pitié, ne m'abandonnez pas. Ah! laiffez-moi pleurer & gémir dans vos bras. Confolez votre fils, foutenez fon courage De ma raifon qui fuit rappellez-moi l'usage, J'ai besoin de vous voir; & je fens que mon cœur Revole à des liens dont il fit fon bonheur. Ce cœur contre l'amour qui fe plaint & murmure, Cherche au moins un afyle au fein de la Nature. ISMÉNIE.
Attends tout de mes foins: c'est à moi déformais De fuffire à ton cœur, de lui rendre la païx: Ce devoir m'eft bien cher; mais je ne veux point
Que mon fils, oubliant & mes pleurs & sa glóîre,
Soit prêt à me trahir par un retour honteux, Et s'il n'eft près de moi, ne foit plus généreux. Mon fils, contre toi-même éprouve ton courage. Va, j'aime à me flatter que, plus jufte & plus fage, Timophane indigné d'avoir tant combattu, Gardera les fermens qu'il fait à la vertu. Je te quitte un inftant ; & je dois de ton frere Prévenir les deffeins, arrêter la colere.. Je reviens près de toi.
U'AIJE dit? qu'ai-je fait ?
Eft-ce une illufion? Eft-il vrai qu'en effet Timophane ait promis d'oublier Éronime? Quel eft donc ce devoir dont je fuis la victime; De s'arracher à foi, d'ordonner fon malheur, D'abjurer fes penchans & les droits de fon cœur ? Ma mere l'a voulu ... Pardonne, chere Amante ! Je n'ai pu voir ma mere à mes pieds gémiffante. Elle voulait mourir... J'ai cedé, j'ai promis Le bonheur, je le vois, ne nous eft pas permis Je ne la verrai plus !.. c'en eft fait ! & je l'aime ! Qu'il eft affreux! ô Ciel! de fe vaincre foi-même!
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