Je ne demande plus à ton ame obstinée; TIMOPHANE. Ces Dieux me feront favorables. Tu connais mes deffeins; ils font irrévocables. TIMOLÉON, s'éloignant de fon frere. Il faut donc fuivre, ô ciel ! l'arrêt de ton courroux. (Il étend la main vers les Conjurés, & de l'autre s'enveloppe de fon manteau. Crates poignarde Timophane.) SCENE IV. & derniere. TIMOLÉON TIMOPHANE; ISMÉNIE, CRATÈS. MEURS CRATES. EURS, Tyran. ISMÉNIE, courant à fon fils qui tombe dans fes bras. Ciel! TIMOPHANE. Ma mere! ils m'ont percé de coups! Prenez foin de vos jours, prenez foin d'Éronime. Je meurs. ISMÉNIE, à Timoléon. Barbare! CRATÉS. Enfin, l'on a puni le crime. C'est vous qui nous fauvez votre cœur généreux... Laiffez-moi. Tout ici me devient odieux. En perdant votre fils, n'accufez que les Dieux; J'ai vengé mon pays ; je vais pleurer mon frere. LA mode dominante eft aujourd'hui d'avoir de l'efprit. On fe pique de favoir faire des vers & de favoir Racine par cœur, comme on se vantait jadis de ne savoir que figner fon nom, & de, n'avoir jamais été abattu dans une courfe de Tournoi. TANDIS qu'un petit nombre d'Écrivains illuftres honore & éclaire la Nation, un bien plus grand nombre d'Écrivains obfcurs, poffédés de la manie d'être Littérateurs fans titres & fans études, ont fait une espece de 1 gue pour fe venger, du Public qui les oublie, & des véritables gens, de Lettres qui ne les connaiffent pas. Ils font convenus de fe trouver du génie les uns aux autres › & de le répéter jufqu'à ce qu'on le croye. Ils ont établi que l'honnêteté de l'ame confiftait à louer. tout ce qui n'était pas louable,à applaudir de toutes fes forces, lorfqu'on s'ennuyait. Ils ont décidé que celui qui aurait l'audace de n'être pas tout-à E fait auffi épris de leurs Ouvrages qu'ils le font eux-mêmes, ferait un homme d'un caractere affreux fans douceur, fans aménité, fans respect pour les Loix de la Société ; en un mot, fans honnêteté; c'est le terme. D'après ces conventions, s'il arrive un homme fimple & franc, qui, ayant lû Racine le matin, & voyant leurs Ouvrages le foir avec la meilleure envie du monde d'avoir du plaifir, ait le malheur de s'ennuyer, & leur pardonne de tout fon cœur ; fi cet homme, ignorant le traité qu'ils ont fait entr'eux, dit bonnement qu'il ne s'eft point amusé, & qu'apparemment il s'amufera une autrefois davantage : cet homme fera peut-être fort étonné d'apprendre, quelques jours après, qu'il a vingt ennemis irréconciliables; que chacun d'eux va dans vingt maisons, le représentant comme un homme odieux; qu'on fait le roman de fa vie depuis fon enfance, & que les éditions font plus calomnieufes les unes que les autres ; qu'on lui attribue des propos que ne tiendrait pas le plus imbécille de fes ennemis; qu'on ameute contre lui une populace oifive, dont une partie s'exerce continuellement à inventer, & l'autre à croire; enfin qu'on a conclu unanimement que, s'il s'avife d'écrire à fon tour, il eft de l'intérêt Public de ne pas permettre qu'il ait, comme tant d'autres, fon petit fuccès de quelques inftans. CET homme lira continuellement Racine & M. de Voltaire, & fera tenté à tout moment de jetter au feu cinquante Tragédies modernes, à commencer par les fiennes ; & l'on dira qu'il méprife Racine & M. de Voltaire. IL admirera Cinna, les belles Scenes des Horaces du Cid, &c. & l'on dira qu'il méprife Corneille. IL lira Rhadamifte avec plaifir & avec fruit; mais il avouera qu'il aime mieux Orefte qu'Electre, & Rome Sauvée que Catilina ; & l'on dira qu'il méprife Crébillon. Et l'on croira. J'AI dit que cet homme ferait peut-être étonné ;& en effet, s'il fe représente combien est ridicule cette importance fi grande que tant d'hommes mettent à leurs productions paffageres; s'il est perfuadé qu'il n'y a rien de plus innocent que de trouver mauvais ce qui eft mauvais ; que tous. |