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examinerons rapidement si la marche générale de la législation est en harmonie avec les idées dont se compose la nouvelle doctrine que nous avons adoptée cet examen nous conduira à rechercher quelles sont les causes de l'influence qu'ont eue les légistes sur la société depuis la fin du dix-huitième siècle; nous leur montrerons qu'ils la doivent à l'absence de tout système social; que du moment où un système nouveau aura réorganisé la société, leur inportance diminuera nécessairement; que leur capacité ne sera plus au premier rang parmi les capacités sociales; qu'enfin il est plus raisonnable et plus généreux de prévenir le mouvement qui doit les atteindre que d'y résister; de céder le terrain, que de défendre pied à pied une position qu'ils ne peuvent conserver; qu'en un mot, ils auront meilleure grâce à favoriser les progrès du nouveau système social par une détermination spontanée, qu'à se raidir inutilement contre toutes les forces sociales marchant d'accord à une organisation nouvelle.

Avant Bentham, on regardait le droit naturel comme la base de la législation, et l'on ap

pelait droit naturel l'ensemble des préceptes qui sont gravés dans tous les cœurs par la divinité, ou qui sont révélés à tous les hommes par la conscience, ou qui leur sont enseignés par la raison, ou enfin qui sont fondés sur la nature humaine (1) pour espérer d'arriver, avec ces idées, à des résultats offrant de l'exactitude et de la précision, il fallait commencer par bien s'entendre sur le sens de ces mots, raison, conscience, nature humaine; or c'est précisément ce dont on ne s'est nullement occupé. Chacun a compris à sa manière, la raison, la nature et la conscience, leur a prêté un langage différent, et y a puisé des règles opposées. Hobbes a soutenu que l'état de guerre était naturel à l'homme; Montesquieu a pensé que la paix était la première loi naturelle; Rousseau a traité d'imposteur celui qui le premier ayant enclos un terrain s'avisa

(1) Les lois de la nature, dit Montesquieu, sont ainsi nommées parcequ'elles dérivent uniquement de notre étre; pour les connaître bien, il faut considérer un homme avant l'établissement des sociétés, les lois de la nature seront celles qu'il recevait dans un état pareil. ( Esprit des lois› liv. Ier, chap. 11.

de dire « Ceci est à moi. » Beccaria paraît partager ces idées. Au contraire, Burlamaqui, Barbeyrac, Wolf, et une foule d'autres, ont écrit que la propriété est fondée sur le droit naturel. Il serait facile de multiplier les exemples; ce

lui

que nous avons cité suffit seul pour qu'on soit autorisé à affirmer que la législation fondée sur ce qu'on appelle encore le droit naturel ne repose pas sur des bases solides.

Bentham, frappé de cette incertitude dans les principes, conçut l'idée de substituer à ce système métaphysique, un système positif; et au lieu de faire dériver les lois de règles vagues et abstraites, il pensa qu'il fallait leur proposer un but; au lieu de les apprécier par comparaison avec les prétendus principes de la loi naturelle, il crut qu'on devait les juger par leurs résultats. Comme nous l'avons dit précédemment, c'était là un progrès très remarquable; c'était quitter la fausse direction et entrer dans la vraie. Mais ce premier effort en exigeait un second, Bentham le sentit; il tenta de compléter son système, et ne put y réussir. Il ne suffisait pas de dire, la législation doit tendre à un but déter

miné; il fallait déterminer ce but: Bentham crut l'avoir indiqué en disant que toutes les lois devaient être faites pour l'utilité générale; et c'est là où il se trompa. Certainement lui-même n'avait pas une idée nette de ce qu'il fallait entendre par ce mot utilité; et, malgré tous ses efforts pour en préciser le sens, il faut l'avouer, il a laissé dans le vague ce but qu'il cherchait à désigner. L'idée d'utilité est en effet essentiellement relative chacun peut, suivant ses goûts, son caractère, son éducation, ses habitudes et ses préjugés, avoir des opinions différentes sur ce qui est utile, et chacun peut donner à l'appui de son sentiment des raisons qui paraîtront également bonnes et concluantes.

On doit comprendre maintenant ce qui, dans le système de Bentham, méritait, et ce qui en effet a obtenu l'adhésion des bons esprits; on conçoit aussi ce qu'il y avait d'incomplet, et ce qui devait être l'objet de nouveaux efforts et de méditations plus profondes.

Avant de nous occuper des idées de M. SaintSimon en elles-mêmes, avant de montrer comment sa doctrine a complété le système de son

devancier, remarquons la marche différente qu'ils ont suivie l'un et l'autre dans leurs travaux philosophiques : cette observation aura l'avantage de rendre plus palpable l'erreur de Bentham, d'expliquer les causes de cette erreur, et de disposer l'esprit à l'intelligence de la doctrine de M. Saint-Simon.

Sans doute Bentham, en s'occupant spécialement de législation, l'a considérée dans ses rapports avec l'organisation sociale. Évidemment il a eu en vue ces deux questions: Comment doivent être faites les lois? et, Comment doit être organisée la société ? Mais il a subordonné la seconde à la première, et l'organisation sociale n'a été à ses yeux que la conséquence du système de législation. C'était faire jouer à l'une le rôle qui convenait à l'autre, c'était s'occuper des détails avant d'avoir conçu l'ensemble.

M.Saint-Simon, rétablissant l'ordre naturel des idées, fait de la question d'organisation sociale, la question principale ; et, sans qu'il ait besoin de le dire, on voit que la législation, toutes les institutions, toutes les capacités sociales, ne doivent être envisagées qu'accessoirement et n'occupent

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