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On a dit que la crainte de cette recherche obligerait les mères à faire l'aveu de leurs fautes à leurs maris avant le mariage; mais il est fort douteux que ce conseil philosophique fasse fortune, et très-probable qu'il condamnerait la mère au célibat.

On a traité de dénaturées les mères qui ne font pas l'aveu de leur maternité; mais comment qualifier l'enfant qui, pour un intérêt sordide, se portera pour l'assassin moral de la mère, et prêtera le plus souvent sa voix et son nom à d'implacables ennemis, quelquefois à des calomniateurs déhontés, pour jeter le désordre et le désespoir dans le sein d'une famille honorable et paisible?

Des citoyens éclairés ont mis en question si la recherche de la maternité en général devait être admise, si l'honneur, qu'on cherchait si inutilement, et surtout si inciviquement à déraciner du cœur des femmes, ne les exposerait pas à un crime plus grave. « L'enfant est perdu, dit le tribunal de « Lyon, si la mère hésite un moment entre le soin de sa ré«putation et l'amour maternel.» Mais que pour l'intérêt d'un enfant, triste fruit d'un moment de faiblesse, on compromette la tranquillité d'une famille entière; qu'à la place du bonheur qui y régnait, de la confiance, du respect pour une épouse, une mère chérie, on verse d'un côté le poison de la mort, et de l'autre les regrets, la honte et les fureurs ; c'est ce qu'il est impossible d'admettre, et que des considérations supérieures à tout intérêt privé, l'honnêteté publique et l'ordre de la société, repoussent également. Au surplus, ceux qui s'opposent à l'amendement sont en contradiction avec le projet tout entier; car ce projet défend de reconnaître, pendant le mariage, même l'enfant né auparavant. Comment donc la demande en filiation serait-elle admise pendant le mariage?

M. BERLIER répond qu'il n'y a nulle parité entre les deux espèces; que lorsque l'enfant se présente avec un commencement de preuve par écrit, c'est un tiers, réclamant un droit

qui n'a pu être altéré dans son essence, ni modifié dans ses effets, par un contrat postérieur qui lui est étranger; qu'au contraire, en matière de reconnaissance, on ne trouve que le fait propre des époux et une espèce d'acte que le législateur doit circonscrire dans de justes limites; qu'ainsi, et pour obvier à des reconnaissances qui pourraient s'opérer souvent en collusion plus qu'en faveur de la vérité, la loi peut les interdire, et qu'elle le doit peut-être pour arrêter le préjudice qu'en recevrait la société conjugale; mais qu'il n'y a nulle analogie entre la prohibition faite aux gens mariés de conférer de leur propre mouvement un pur bienfait, un titre à des individus qui n'en ont point, et la défense que l'on voudrait faire porter sur un tiers, sur un enfant qui réclame l'exercice d'un droit, et non l'application d'une libéralité suspecte.

M. MALEVILLE fait observer que M. Berlier suppose, contre toute vraisemblance, qu'un mari ait épousé une personne qu'il savait avoir été mère.

M. EMMERY dit que l'enfant pouvant se faire reconnaître quand il a des titres contre sa mère, l'article 13 pourvoit suffisamment à ses intérêts, puisqu'il l'autorise à faire valoir ses droits lors de l'ouverture de la succession. Toute demande formée avant cette époque porterait le trouble dans le ménage.

M. REAL fait observer que M. Emmery raisonne dans la supposition qu'on pourrait empêcher l'enfant de former sa demande ; que cependant on ne peut que l'en débouter. Ainsi l'enfant pourra recueillir des preuves, et venir menacer sa mère et le mari de sa mère de les flétrir s'ils ne lui accordent ce qu'il demande. Le scandale est là, et l'on ne pourrait l'empècher.

L'amendement de M. Maleville ne maintiendrait donc pas la tranquillité des époux..

M. EMMERY dit qu'on peut interdire la demande même, et punir par une amende la contravention que l'enfant se permettrait à cette disposition de la loi.

M. TRONCHET objecte que les preuves de la maternité pourraient dépérir, si l'enfant n'était admis à les faire valoir qu'à l'ouverture de la succession de sa mère; qu'ainsi l'article 13 n'assurerait pas ses droits.

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M. EMMERY répond qu'il ne faut pas séparer le système. Suivant l'article la réclamation de l'enfant doit être soutenue de la preuve de l'accouchement de la mère; 2o de la preuve de l'identité entre lui et l'enfant dont la mère est accouchée. La preuve testimoniale ne lui est perinise que lorsqu'il a un commencement de preuve par écrit: or, ce commencement de preuve, qui attestera l'accouchement de la mère, existera également lors de l'ouverture de la succession. La plupart de ces enfans auront mème un acte de naissance qui les dispensera de faire valoir toute autre preuve. Il leur restera à justifier de l'identité: mais la preuve de ce fait est possible, même après un laps de temps considérable.

M. BERLIER dit que l'aveu fait par M. Emmery que la plupart des réclamans se fondent sur leur acte de naissance, est le plus fort argument contre la thèse qu'il défend; car quand le secret sera révélé par un document de cette importance, qu'opérera-t-on en empèchant que l'enfant n'exerce actuel lement ses actions? Rien, absolument rien qui réponde au but qu'on se propose.

M. Berlier persiste à demander le rejet de l'amendement de M. Maleville.

LE PREMIER CONSUL résume les questions et les met aux voix.

LE CONSEIL adopte en principe,

1°. Que les enfans nés avant le mariage de leur mère peuvent réclamer après le mariage qu'elle a contracté avec un autre individu que leur père;

2°. Que l'enfant illégitime né clandestinement pendant le mariage peut établir sa filiation contre sa mère.

M. BERLIER demande si l'enfant né d'une mère libre et d'un père marié sera réputé adultérin. Il pense qu'il est pré

férable de ne le regarder que comme l'enfant de la mère. M. ROEDERER dit qu'il faut prévoir ici trois cas:

1o. Celui où un enfant est né d'un père libre et d'une mère mariée ;

2o. Celui où il est né d'un père marié et d'une mère libre; 3o. Celui où son père et sa mère sont tous deux engagés dans les liens du mariage.

Dans le premier et dans le troisième cas, il ne faut pas permettre à l'enfant de venir troubler la tranquillité de ceux dont il tient la vie; dans le second, il est juste de le renvoyer à sa mère.

LE PREMIER CONSUL renvoie toutes les questions à la sec

tion.

312-313

312

(Procès-verbal de la séance du 12 frimaire an X.- 3 décembre 1801.)

M. BOULAY présente la seconde rédaction du projet de loi

sur la Paternité et la Filiation.

L'article 1 du chapitre Ier, ayant pour titre de la Filiation des Enfans légitimes ou nés dans le mariage, est adopté ainsi qu'il suit :

་་

་་

L'enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari. « Le mari ne pourra le désavouer, soit en excipant d'a«<dultère de la part de sa femine, soit en alléguant son impuissance naturelle; à moins que la naissance de l'enfant « ne lui ait été cachée, auquel cas il sera admis à proposer « tous les faits propres à justifier qu'il n'en est pas le père. » L'article 2 est discuté; il est ainsi conçu :

་་

« Le mari pourra désavouer l'enfant, si, au moment de la « conception de cet enfant, il était frappé d'une impuissance << accidentelle, ou si son éloignement était tel qu'il y eût impossibilité physique de cohabitation avec sa femme. » M. BERLIER pense que ces mots, impuissance accidentelle, n'expriment pas assez clairement l'idée qu'on se propose de rendre.

"

M. BERENGER partage cette opinion : le mot accidentelle exprimerait une impuissance quelconque. Il serait donc préférable de dire l'impuissance survenue.

M. TRONCHET dit que, quand on se servirait de cette locution, on ne serait pas dispensé d'employer le mot accidentelle, parce que la loi doit s'expliquer de manière à faire comprendre qu'elle veut parler d'une impuissance évidente et matérielle, et non de celle qui pourrait être la suite d'une maladie. On pourrait donc ajouter à ces mots : une impuissance accidentelle, ceux-ci : qui produise l'impossibilité physique et durable d'avoir des enfans.

L'article est adopté avec l'amendement de M. Tronchet.

Les articles 3, 4 et 5 sont adoptés sans discussion. Art. 3. « L'enfant né avant le cent quatre-vingtième jour 314 « du mariage, et qui a survécu dix jours à sa naissance, « pourra être désavoué par le mari, excepté dans l'un ou « l'autre des cas suivans: 1° s'il a eu connaissance de la gros«sesse avant le mariage; 2° s'il a assisté à l'acte de naissance, « et si cet acte est signé de lui ou contient sa déclaration qu'il « ne sait signer. »

Art. 4. « La légitimité de l'enfant né trois cents jours après 315 « la dissolution du mariage pourra être contestée. »

Art. 5. « Dans les divers cas où le mari est autorisé à ré- 3,6

clamer, il devra le faire dans le mois, s'il se trouve sur les

« lieux à l'époque de la naissance de l'enfant;

«

« Dans les deux mois après son retour, si, à la même

époque, il était absent;

« Dans le mois après la découverte de la fraude, si on lui avait caché la naissance de l'enfant. »

L'article 6 est soumis à la discussion :

Art 6. « Si le mari est mort avant d'avoir réclamé, mais « étant encore dans le délai de le faire, les héritiers pourront profiter du reste de ce délai pour contester la légitimité de l'enfant.

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