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SECTION IV.

De la prescription des rentes foncières.

195. Les rentes foncières, lorsqu'elles sont seigneuriales, sont imprescriptibles: celles qui ne sont pas seigneuriales sont sujettes à prescription.

Il y a deux espèces de prescription auxquelles sont sujettes les rentes foncières et autres droits réels, et que nous avons distinguées dans notre Introduction au titre des prescriptions de la coutume d'Orléans. La première est celle qui résulte de la possession du détenteur qui a possédé comme franc de la rente foncière ou autre droit réel l'héritage qui en est chargé. La seconde est celle qui résulte du non-usage du créancier.

§. I. De la première espèce de prescription, qui résulte de la possession.

196. Il est évident que cette première espèce de prescription ne peut avoir lieu à l'égard des preneurs, ni même à l'égard des tiers détenteurs qui auroient acquis l'héritage sujet à la rente, à la charge ou avec la connoissance de la rente car ils ne peuvent pas être censés avoir possédé comme franc de la rente l'héritage qui leur a été baillé ou qu'ils ont acquis à la charge de cette rente, ou qu'ils ont su y être sujet.

Elle ne peut non plus avoir lieu à l'égard de leurs héritiers médiats ou immédiats, quand même ces héritiers auroient ignoré la rente: car la possession des héritiers n'étant que la continuation de celle du défunt, à laquelle ils ont succédé, ils ont par conséquent toutes

les qualités de celle du défunt, suivant ce principe de droit, Heres succedit in virtutes et vitia possessionis defuncti. Ainsi la possession du défunt ayant été une possession à la charge de la rente, celle de ses héritiers est aussi une possession à la charge de la rente, qui ne peut produire cette prescription.

Cette prescription ne peut donc avoir lieu qu'à l'égard des tiers détenteurs qui ont acquis à titre singulier l'héritage sujet à la rente, sans avoir été chargés de la rente et sans en avoir eu connoissance, et à l'égard de leurs héritiers.

197. Cette prescription est établie par l'article 114 de la coutume de Paris, qui est conçu en ces termes : « Quand aucun a possédé et joui par lui et ses prédé« cesseurs, desquels il a le droit et cause, héritage ou << rente à juste titre de bonne foi par dix ans entre pré«sents, et vingt ans entre absents, âgés et non privilégiés, franchement et paisiblement, sans inquiéta« tion d'aucune RENTE ou hypothèque, tel possesseur « dudit héritage a acquis prescription contre toutes « RENTES et hypothèques prétendues sur ledit héritage

« ou rente. »

Ces termes, d'aucune rente, s'entendent non seulement des rentes constituées qui seroient hypothéquées sur l'héritage, mais pareillement des rentes foncières dont l'héritage seroit chargé.

Il y a même raison. En effet, de même que, par l'article précédent, celui qui a possédé avec titre et bonne foi, comme à lui appartenant, un héritage qui ne lui appartenoit pas, acquiert par cette possession de dix ou vingt ans la propriété de cet heritage qu'il

n'avoit pas; de même, par cet article, lorsqu'un héritage qui étoit 'chargé de quelque hypothèque ou de quelque rente foncière, ou de quelque autre charge réelle, a été possédé avec titre et bonne foi, comme franc desdites hypothéques ou charges foncières, celui qui l'a possédé pendant dix ou vingt ans acquiert par cette possession ce qui manquoit à son droit de propriété; et au lieu qu'il n'étoit propriétaire de l'héritage que sous la déduction d'une telle rente, ou à la charge d'une telle hypothéque, il en devient pleinement propriétaire sans déduction d'aucune rente, et sans charge d'aucune hypothéque.

198. Il résulte de l'article de la coutume de Paris cidessus rapporté, qu'il faut cinq choses pour qu'il y ait lieu à cette prescription.

1o Il faut que le tiers détenteur qui oppose cette prescription ait possédé l'héritage pendant le temps de dix ans entre présents, et de vingt ans entre absents.

On entend par entre présents, lorsque tant celui qui prescrit que celui contre qui on prescrit demeurent en même province ou bailliage. Par exemple, la prescription est entre présents, si je possède à Paris un héritage comme franc, qui est chargé d'une rente foncière due à une personne demeurante dans l'étendue de la prévôté de Paris; Paris, art. 16.

La prescription est entre absents lorsque celui qui prescrit et celui contre qui on prescrit ne demeurent pas dans la même province ou bailliage; L. fin. cod.de præscr. long. temp.

Lorsque le temps de la prescription a commencé à courir entre présents, et qu'avant qu'il fût accompli

l'une des deux parties, qui demeuroient dans le même bailliage, transfère son domicile dans un autre bailliage, il faut, pour la prescription, doubler le temps qui restoit à courir des dix ans lors de cette translation de domicile; nov. 119, cap. 8. Par exemple, si elle s'est faite au bout de huit ans, le temps de la prescription qui auroit dû s'accomplir au bout des deux ans qui restoient à courir des dix ans ne s'accomplira qu'au bout de quatre, et le temps de la prescription se trouvera avoir été de douze ans au lieu de dix.

199. Il n'est pas nécessaire, pour acquérir cette prescription, que quelqu'un ait possédé par lui-même pendant tout le temps; il peut joindre à sa possession celle de sés auteurs, auxquels il a succédé, soit à titre universel, soit même à titre singulier, pourvu que la possession de ses auteurs ait été, aussi bien que la sienne, une juste possession; 1. 76, §. 1, ff. de contr. empt. i,

200. 2° Il faut, pour qu'il y ait lieu à cette prescription, que la possession n'ait pas été interrompue, soit de fait, soit de droit.

Elle est interrompue de fait lorsque le possesseur qui avoit commencé à posséder l'héritage comme à lui appartenant, sans charge de la rente, a, avant l'accomplissement du temps de la prescription, laissé usurper la possession de cet héritage par un tiers sur lequel il l'a depuis recouvrée par un jugement au pétitoire sur une demande en revendication. Ce possesseur ne pourra pas compter pour la prescription le temps de sa possession qu'il a eue avant l'usurpation du tiers; car elle a été interrompue par l'usurpation de ce tiers. Il pourra encore moins compter celle de ce tiers qui n'est pas son

auteur, et qui d'ailleurs n'est pas une juste possession : il faudra qu'il recommence le temps entier de dix ans depuis qu'il est rentré en possession.

Suivant les principes du droit romain, le temps de la prescription est interrompu, quoique le possesseur ait été dépossédé par violence et rétabli en possession dans l'année par un jugement de réintégrande; l. 5, ff. de usucap.; l. 7, S. 4. pro emptore: à quoi n'est point contraire la loi 17, ff. de acq. possess., qui dit : Qui vi dejectus est, perindè habendus est ac si possideret; cela n'ayant lieu que vis-à-vis du spoliateur.

Parmi nous, il y en a qui pensent qu'on doit s'écarter en ce point de la rigueur du droit romain, et qu'un possesseur spolié qui a été rétabli dans l'année doit être censé n'avoir pas cessé de posséder.

Au reste la possession n'est interrompue ni par la démence du possesseur, l. 44, §. 6, ff. de usucap., ni par la mort du possesseur, quoiqu'il laisse sa succession vacante: elle se continue par le curateur à la succession vacante; Hereditas jacens personce defuncti vicem obtinet.

pres

201. 3o Il faut, pour cette prescription, que la cription de celui qui l'oppose ait été une possession de bonne foi; c'est-à-dire que ce possesseur n'ait pas eu connoissance de la rente dont l'héritage étoit chargé: il est censé ne l'avoir pas eue, si on ne justifie pas qu'il l'ait eue.

202. Suivant les principes du droit civil, il suffisoit que le possesseur eût eu cette bonne foi au commencement de sa possession; mais suivant ceux du droit camonique, qui sont plus équitables en ce point, et que

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