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GUSMAN.

Quoi! se remarier!

Peut-il faire jamais de plus grande folie?

BÉATRIX.

Comment! un homme est fou quand il se remarie?

GUSMAN.

Non; mais ce vieux bourru qui se veut engager, De l'humeur dont il est n'y devroit pas songer; Et si son bel esprit se régloit par le nôtre...

BÉATRIX.

Pourquoi ne veux-tu pas qu'il aime comme un autre?

GUSMAN.

Quoi ! s'étant une fois chargé d'une moitié,
Le ciel a regardé sa misere en pitié,

Et, par une faveur et rare et sans égale,
D'un brevet d'homme veuf sa bonté lé régale,
D'un brevet qui rendroit mille maris contens;
Et, loin de devenir plus sage à ses dépens,
Après avoir vécu trois ans dans le veuvage,
Il veut se marier; et tu veux qu'il soit sage?
Cela ne se peut pas.

BÉATRIX.

Quant à moi franchement Je sens que je pourrois m'y résoudre aisément. Qu'il est plaisant d'aimer! et que le mariage Est doux lorsque l'on sait en faire un bon usage!

GUSMAN.

Quand même le motif qui l'y porte aujourd'hui

Seroit bon pour un autre, il ne vaut rien pour lui. Est-ce qu'il ne craint point...

BÉATRIX.

Quoi?

GUSMAN.

Que cette derniere

Ne lui fasse le tour que lui fit la premiere?

BEATRIX.

Sa vertu fut trop grande; elle n'en fit jamais.
Si tu veux m'obliger, laisse son ombre en paix:
Personne mieux que moi ne sut son innocence,
Car je servois Julie avant qu'ètre à Constance.

GUSMAN.

Quand mon maître le sut ce fut par ton moyen.

BÉATRIX.

Je le dis, il est vrai; mais il n'en étoit rien:
La crainte de la mort m'inspirant cette envie,
Je blessai son honneur pour me sauver la vie.

GUSMAN.

Explique-toi donc mieux pour m'en faire douter.

BÉATRIX.

Pour t'en mieux éclaircir tu n'as qu'à m'écouter.
J'aimois Mendosse alors, il m'aimoit tout de même,
Et cherchoit à me voir avec un soin extrême:
Comme il m'avoit juré qu'il vouloit m'épouser,
Je croyois le pouvoir un peu favoriser;
Et quand l'occasion m'en pouvoit être offerte
Je laissois du jardin une porte entr'ouverte :

C'étoit notre signal; et de cette façon

Nous nous voyions les soirs sans donner de soupçon.
Mendosse vint un soir où tout en apparence
Sembloit contribuer à notre intelligence:
Bernadille soupoit chez un de ses amis
Dont la maison étoit assez loin du logis;
Julie étoit au lit, et notre tête-à-tête

Se trouva pour ce coup d'une longueur honnête:
L'entretien fut si long que Bernadille enfin
Revenoit à dessein d'entrer par le jardin ;
Il en étoit, je pense, à dix pas sans escorte,
Alors que pour sortir Mendosse ouvroit la porte,
Qui s'étant apperçu que l'on faisoit du bruit,
Croyant qu'on l'épioit, sort, la ferme, et s'enfuit.
Sa fuite fut fort prompte, et la nuit fort obscure.
Bernadille, enragé d'une telle aventure,
Jaloux et furieux de ce qu'il n'avoit pu
Reconnoître, ou du moins suivre cet inconnu,
Un poignard à la main, et la vue égarée,
Entre et vient droit à moi: «Ta perte est assurée,
<< Me dit-il; tu mourras si tu déguises rien:

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Apprends-moi mon malheur pour éviter le tien. << Cet homme que j'ai vu sortoit d'avec ma femme; Avoue-le, ou de ce fer je vais t'arracher l'ame». Interdite, et craignant sur-tout que le poignard Ne me perçât trop tôt si je parlois trop tard, Je dis qu'il étoit vrai qu'il sortoit d'avec elle.

GUSMAN.

Quoiqu'il n'en fût rien?

BÉATRIX.

Oui; sa menace cruelle

Me fit appréhender tout d'un homme emporté;
Et craignant de mourir disant la vérité,
J'aimai bien mieux mentir, et me sauver la vie.

GUSMAN.

Sais-tu de quel malheur ta fourbe fut suivie?

BÉATRIX.

D'aucun; car dès qu'il eut l'aveu que je lui fis,
Il ne témoigna plus de colere.

GUSMAN.

Tant pis.

BÉATRIX.

Tant pis? pourquoi tant pis? fais-toi du moins entendre.

GUSMAN.

Tu ne sais pas pourquoi tant pis? tu vas l'apprendre. Ayant tiré de toi cet éclaircissement,

Bernadille cacha tout son ressentiment;

Et quoique dans l'instant il n'en fit rien paroître,
Se croyant aussi sot qu'il méritoit de l'être,
Voulut perdre sa femme; et dessus ton rapport
Il la fit mourir.

BEATRIX.

Lui?

GUSMAN.

Mais je le vois qui sort.

CÉATRIX.

Gusman, ne me perds pas: aussi-bien elle est morte.

GUSMAN.

Quoi! je pourrois trahir mon maître de la sorte? Et lui pourrois celer que c'est toi...

BÉATRIX.

Parle bas:

J'ai dedans ma cassette encor quatre ducats
Que je te donnerai si tu n'en veux rien dire.

GUSMAN.

D'accord; mais qu'ils soient prêts avant qu'il se retire (Béatrix sort.)

SCENE II.

BERNADILLE, GUSMAN.

GUSMAN.

Quoi! monsieur, sur le point de vous remarier, Vous paroissez rêveur? pouvez-vous oublier Qu'il faut vous préparer pour cette grande fête?

BERNADILLE.

Male-peste! j'ai bien des choses dans la tête;
Je crains de faire ici quelque mauvais marché:
Quand on prend une femme on est bien empêché.

GUSMAN.

Que craignez-vous, monsieur, lorsqu'une telle envie

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