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ÉRASTE.

Mais me rapportes-tu quelque nouvelle enfin?
LA MONTAGNÉ.

Sans doute, et de l'objet qui fait votre destin.
J'ai par son ordre exprès quelque chose à vous dire :
ÉRASTE.

Et quoi? Déja mon cœur après ce mot soupire.

Parle.

LA MONTAGNE.

Souhaitez-vous de savoir ce que c'est?

ÉRASTE.

Oui, dis vite.

LA MONTAGNE.

Monsieur, attendez, s'il vous plaît:

Je me suis à courir presque mis hors d'haleine.

ÉRASTE.

Prends-tu quelque plaisir à me tenir en peine?

LA MONTAGNE.

Puisque vous desirez de savoir promptement
L'ordre que j'ai reçu de cet objet charmant,

Je vous dirai... Ma foi, sans vous vanter mon zėle,
J'ai bien fait du chemin pour trouver cette belle ;
Et si...

ÉRASTE.

Peste soit, fat, de tes digressions!

LA MONTAGNE.

Ah! il faut modérer un peu ses passions;

Et Sénéque...

ÉRASTE.

Sénéque est un sot dans ta bouche,

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Puisqu'il ne me dit rien de tout ce qui me touche.

Dis-moi ton ordre,

tôt.

LA MONTAGNE.

Pour contenter vos vœux,

Votre Orphise... Une bête est là dans vos cheveux.

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Son ordre est qu'en ce lieu vous devez vous tenir, Assuré que dans peu vous l'y verrez venir, Lorsqu'elle aura quitté quelques provinciales, Aux personnes de cour fâcheuses animales.

ÉRASTE.

Tenons-nous donc au lieu qu'elle a voulu choisir. Mais, puisque l'ordre ici m'offre quelque loisir, Laisse-moi méditer.

(La Montagne sort.)

J'ai dessein de lui faire

Quelques vers sur un air où je la vois se plaire. (Il rêve.)

SCÈNE IV.

ORANTE, CLIMÈNE; ERASTE, dans un coin du théâtre sans être aperçu.

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Je voudrois qu'on ouît les unes et les autres.
ORANTE, apercevant Éraste.

J'avise un homme ici qui n'est pas ignorant:
Il pourra nous juger sur notre différent.

Marquis, de grace, un mot; souffrez qu'on vous appelle
Pour être entre nous deux juge d'une querelle,

D'un débat qu'ont ému nos divers sentiments
Sur ce qui peut marquer les plus parfaits amants.
ÉRASTE.

C'est une question à vider difficile;

Et vous devez chercher un juge plus habile.

ORANTE.

Non, vous nous dites là d'inutiles chansons.

Votre esprit fait du bruit, et nous vous connoissons:
Nous savons que chacun vous donne à juste titre...
ÉRASTE.

Hé! de grace...

ORANTE.

En un mot, vous serez notre arbitre;

Et ce sont deux moments qu'il vous faut nous donner.
CLIMÈNE, à Oranle.

Vous retenez ici qui doit vous condamner:
Car enfin, s'il est vrai ce que j'en ose croire,
Monsieur à mes raisons donnera la victoire.
ÉRASTE, à part.

Que ne puis-je à mon traître inspirer le souci
D'inventer quelque chose à me tirer d'ici!

ORANTE, à Climène.

Pour moi, de son esprit j'ai trop bon témoignage
Pour craindre qu'il prononce à mon désavantage.
(à Éraste.)

Enfin, ce grand débat qui s'allume entre nous
Est de savoir s'il faut qu'un amant soit jaloux.
CLIMÈNE.

Ou, pour mieux expliquer ma pensée et la vôtre,
Lequel doit plaire plus d'un jaloux ou d'un autre.

ORANTE.

Pour moi, sans contredit, je suis pour le dernier.
CLIMÈNE.

Et dans mon sentiment je tiens pour le premier.

ORANTE.

Je crois que notre cœur doit donner son suffrage
A qui fait éclater du respect davantage.

CLIMÈNE.

Et moi, que, si nos vœux doivent paroître au jour.
C'est pour celui qui fait éclater plus d'amour.

Oui ;

ORANTE.

mais on voit l'ardeur dont une ame est saisie, Bien mieux dans les respects que dans la jalousie. CLIMÈNE.

Et c'est mon sentiment que qui s'attache à nous
Nous aime d'autant plus qu'il se montre jaloux.

ORANTE.

Fi! ne me parlez point pour être amants, Climene,
De ces gens dont l'amour est fait comme la haine,
Et qui, pour tous respects et toute offre de vœux,
Ne s'appliquent jamais qu'à se rendre fâcheux;
Dont l'ame, que sans cesse un noir transport anime,
Des moindres actions cherche à nous faire un crime,
En soumet l'innocence à son aveuglement,

Et veut sur un coup-d'œil un éclaircissement;
Qui, de quelque chagrin nous voyant l'apparence,
Se plaignent aussitôt qu'il naît de leur présence;
Et, lorsque dans nos yeux brille un peu d'enjouement,
Veulent que leurs rivaux en soient le fondement;
Enfin, qui, prenant droit des fureurs de leur zėle,
Ne nous parlent jamais que pour faire querelle,
Osent défendre à tous l'approche de nos cœurs,
Et se font les tyrans de leurs propres vainqueurs.
Moi, je veux des amants que le respect inspire;
Et leur soumission marque mieux notre empire.
CLIMÈNE.

Fi! ne me parlez point, pour être vrais amants,
De ces gens qui pour nous n'ont nuls emportements,
De ces tièdes galants de qui les cœurs paisibles
Tiennent déja pour eux les choses infaillibles,

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