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N'ont point peur de nous perdre, et laissent, chaque jour,
Sur trop de confiance endormir leur amour;
Sont avec leurs rivaux en bonne intelligence,
Et laissent un champ libre à leur persévérance.
Un amour si tranquille excite mon courroux:
C'est aimer froidement que n'être point jaloux;

Et je veux qu'un amant, pour me prouver sa flamme,
Sur d'éternels soupçons laisse flotter son ame,

Et, par de prompts transports, donne un signe éclatant
De l'estime qu'il fait de celle qu'il prétend.
On s'applaudit alors de son inquiétude;

Et, s'il nous fait parfois un traitement trop rude,
Le plaisir de le voir, soumis à nos genoux,
S'excuser de l'éclat qu'il a fait contre nous,
Ses pleurs, son désespoir d'avoir pu nous déplaire,
Sont un charme à calmer toute notre colère.

ORANTE.

Si, pour vous plaire, il faut beaucoup d'emportement,
Je sais qui vous pourroit donner contentement;
Et je connois des gens dans Paris plus de quatre,
Qui, comme ils le font voir, aiment jusques à battre.
CLIMÈNE.

Si, pour vous plaire, il faut n'être jamais jaloux,
Je sais certaines gens fort commodes pour vous;
Des hommes en amour d'une humeur si souffrante,
Qu'ils vous verroient sans peine entre les bras de trente.

ORANTE.

Enfin par votre arrêt vous devez déclarer

Celui de qui l'amour vous semble à préférer.

(Orphise paroît dans le fond du théâtre, et voit Éraste
entre Orante et Climène.)
ÉRASTE.

Puisqu'à moins d'un arrêt je ne m'en puis défaire,
Toutes deux à-la-fois je veux vous satisfaire;
Et, pour ne point blâmer ce qui plaît à vos yeux,
Le jaloux aime plus, et l'autre aime bien mieux.
CLIMÈNE.

L'arrêt est plein d'esprit ; mais...

ÉRASTE.

Suffit. J'en suis quitte.

Après ce que j'ai dit, souffrez que je vous quitte.

SCÈNE V.

ORPHISE, ÉRASTE.

ÉRASTE, apercevant Orphise, et allant au-devant

d'elle.

Que vous tardez, madame! et que j'éprouve bien...!

ORPHISE.

Non, non,
ne quittez pas un si doux entretien.
A tort vous m'accusez d'être trop tard venue;

(montrant Orante et Climène qui viennent de sortir.) Et vous avez de quoi vous passer de ma vue.

ÉRASTE.

Sans sujet contre moi voulez-vous vous aigrir?
Et me reprochez-vous ce qu'on me fait souffrir?
Ah! de grace, attendez.

ERASTE.

Non, je pense.

DORANTE.

Comment! c'est un cheval aussi bon qu'il est beau,
Et que ces jours passés j'achetai de Gaveau '.
Je te laisse à penser si, sur cette matière,
Il voudroit me tromper, lui qui me considère.
Aussi je m'en contente; et jamais, en effet,
Il n'a vendu cheval ni meilleur ni mieux fait.
Une tête de barbe, avec l'étoile nette;
L'encolure d'un cygne, effilée et bien droite;
Point d'épaules non plus qu'un lièvre; court-jointé,
Et qui fait dans son port voir sa vivacité;

Des pieds, morbleu, des pieds! le rein double : à vrai dire,
J'ai trouvé le moyen, moi seul, de le réduire;

Et sur lui, quoiqu'aux yeux il montrât beau semblant,
Petit-Jean de Gaveau ne montoit qu'en tremblant.
Une croupe en largeur à nulle autre pareille,
Et des gigots, Dieu sait! Bref, c'est une merveille;
Et j'en ai refusé cent pistoles, crois-moi,
Au retour d'un cheval amené pour le roi.
Je monte donc dessus, et ma joie étoit pleine
De voir filer de loin les coupeurs dans la plaine;
Je pousse, et je me trouve en un fort à l'écart,
A la queue de nos chiens, moi seul avec Drécart 2.
Une heure là-dedans notre cerf se fait battre :
J'appuie alors mes chiens, et fais le diable à quatre.

Fameux marchand de chevaux.

2 Fameux piqueur.

Enfin jamais chasseur ne se vit plus joyeux:
Je le relance seul; et tout alloit des mieux,
Lorsque d'un jeune cerf s'accompagne le nôtre.
Une part de mes chiens se sépare de l'autre,
Et je les vois, marquis, comme tu peux penser,
Chasser tous avec crainte, et Finaut balancer:
Il se rabat soudain, dont j'eus l'ame ravie;
Il empaume la voie; et moi je sonne et crie:
A Finaut! à Finaut! J'en revois à plaisir

Sur une taupinière, et resonne à loisir.

Quelques chiens revenoient à moi, quand, pour disgrace,
Le jeune cerf, marquis, à mon campagnard passe.
Mon étourdi se met à sonner comme il faut,
Et crie à pleine voix, taïaut! taïaut! taïaut!
Mes chiens me quittent tous, et vont à ma pécore:
J'y pousse, et j'en revois dans le chemin encore;
Mais à terre, mon cher, je n'eus pas jeté l'œil,
Que je connus le change, et sentis un grand deuil.
J'ai beau lui faire voir toutes les différences

Des pinces de mon cerf et de ses connoissances,
Il me soutient toujours, en chasseur ignorant,
Que c'est le cerf de meute; et par ce différent
Il donne temps aux chiens d'aller loin. J'en enrage:
Et, pestant de bon cœur contre le personnage,
Je pousse mon cheval et par haut et par bas,
Qui plioit des gaulis aussi gros que le bras:
Je ramène les chiens à ma première voie,
Qui vont, en me donnant une excessive joie,
Requérir notre cerf, comme s'ils l'eussent vu.
Ils le relancent : mais ce coup est-il prévu ?

A te dire le vrai, cher marquis, il m'assomme:
Notre cerf relancé va passer à notre homme,
Qui, croyant faire un coup de chasseur fort vanté,
D'un pistolet d'arçon qu'il avoit apporté

Lui donne justement au milieu de la tête,

Et de fort loin me crie, ah! j'ai mis bas la bête.
A-t-on jamais parlé de pistolets, bon dieu!
Pour courre un cerf! Pour moi, venant dessus le lieu,
J'ai trouvé l'action tellement, hors d'usage,
Que j'ai donné des deux à mon cheval, de rage,
Et m'en suis revenu chez moi toujours courant,
Sans vouloir dire un mot à ce sot ignorant.

ÉRASTE.

Tu ne pouvois mieux faire, et ta prudence est rare: C'est ainsi des fâcheux qu'il faut qu'on se sépare. Adieu.

DORANTE.

Quand tu voudras, nous irons quelque part Où nous ne craindrons point de chasseur campagnard.

(seul.)

ÉRASTE.

Fort bien. Je crois qu'enfin je perdrai patience.
Cherchons à m'excuser avecque diligence.

FIN DU SECOND ACTE.

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