ARNOLPHE ou LA SOUCHE.
AGNÈS, fille d'Enrique.
HORACE, amant d'Agnès, fils d'Oronte. CHRYSALDE, ami d'Arnolphe.
ENRIQUE, beau-frère de Chrysalde, et père d'Agnès. ORONTE, père d'Horace, et ami d'Arnolphe. ALAIN, paysan, valet d'Arnolphe.
GEORGETTE, paysanne, servante d'Arnolphe. UN NOTAIRE.
La scène est à Paris, dans une place d'un faubourg.
Vous venez, dites-vous, pour lui donner la main ?
Qui. Je veux terminer la chose dans demain.
Nous sommes ici seuls ; et l'on peut, ce me semble, Sans craindre d'être ouïs, y discourir ensemble. Voulez-vous qu'en ami je vous ouvre mon cœur? Votre dessein pour vous me fait trembler de peur ; Et, de quelque façon que vous tourniez l'affaire, Prendre femme est à vous un coup bien téméraire.
Il est vrai, notre ami, peut-être que Vous trouvez des sujets de craindre pour chez nous;
Et votre front, je crois, veut que du mariage Les cornes soient par-tout l'infaillible apanage.
Ce sont coups du hasard dont on n'est point garant; Et bien sot, ce me semble, est le soin qu'on en prend. Mais quand je crains pour vous, c'est cette raillerie Dont cent pauvres maris ont souffert la furie : Car enfin vous savez qu'il n'est grands ni petits Que de votre critique on ait vus garantis ;
Que vos plus grands plaisirs sont, par-tout où vous êtes, De faire cent éclats des intrigues secrètes...
Fort bien. Est-il au monde une autre ville aussi Où l'on ait des maris si patients qu'ici?
Est-ce qu'on n'en voit pas de toutes les espèces, Qui sont accommodés chez eux de toutes pièces? L'un amasse du bien, dont sa femme fait part A ceux qui prennent soin de le faire cornard : L'autre un peu plus heureux, mais non pas moins infame, Voit faire tous les jours des présents à sa femme, Et d'aucun soin jaloux n'a l'esprit combattu, Parcequ'elle lui dit que c'est pour sa vertu.
L'un fait beaucoup de bruit qui ne lui sert de guères ; L'autre en toute douceur laisse aller les affaires, Et, voyant arriver chez lui le damoiseau, Prend fort honnêtement ses gants et son manteau. L'une de son galant, en adroite femelle, Fait fausse confidence à son époux fidéle, Qui dort en sûreté sur un pareil appas,
Et le plaint, ce galant, des soins qu'il ne perd pas :
L'autre, pour se purger de sa magnificence, Dit qu'elle gagne au jeu l'argent qu'elle dépense; Et le mari benêt, sans songer à quel jeu,
Sur les gains qu'elle fait rend des graces à Dieu. Enfin ce sont par-tout des sujets de satire : Et, comme spectateur, ne puis-je pas en rire? Puis-je pas de nos sots...?
Oui : mais qui rit d'autrui
Doit craindre qu'en revanche on rie aussi de lui. J'entends parler le monde; et des gens se délassent A venir débiter les choses qui se passent:
Mais, quoi que l'on divulgue aux endroits où je suis, Jamais on ne m'a vu triompher de ces bruits. J'y suis assez modeste ; et bien qu'aux occurrences Je puisse condamner certaines tolérances, Que mon dessein ne soit de souffrir nullement Ce que quelques maris souffrent paisiblement, Pourtant je n'ai jamais affecté de le dire; Car enfin il faut craindre un revers de satire, Et l'on ne doit jamais jurer, sur de tels cas, De ce qu'on pourra faire, ou bien ne faire pas. Ainsi, quand à mon front, par un sort qui tout mène, Il seroit arrivé quelque disgrace humaine, Après mon procédé, je suis presque certain Qu'on se contentera de s'en rire sous main: Et peut-être qu'encor j'aurai cet avantage Que quelques bonnes gens d:ront que c'est dommage. Mais de vous, cher compère, il en est autrement;
Je vous le dis encor, vous risquez diablement.
Comme sur les maris accusés de souffrance
De tout temps votre langue a daubé d'importance, Qu'on vous a vu contre eux un diable déchaîné, Vous devez marcher droit pour n'être point berné ; Et, s'il faut que sur vous on ait la moindre prise, Gare qu'aux carrefours on ne vous tympanise, Et...
Mon dieu! notre ami, ne vous tourmentez point: Bien rusé qui pourra m'attraper sur ce point. Je sais les tours rusés et les subtiles trames
Dont pour nous en planter savent user les femmes; Et, comme on est dupé par leurs dextérités, Contre cet accident j'ai pris mes sûretés; Et celle que j'épouse a toute l'innocence
Qui peut sauver mon front de maligne influence.
Hé! que prétendez-vous? qu'une sotte en un mot...?
Épouser une sotte est pour n'être point sot.
Je crois, en bon chrétien, votre moitié fort sage: Mais une femme habile est un mauvais présage; Et je sais ce qu'il coûte à de certaines gens Pour avoir pris les leurs avec trop de talents. Moi, j'irois me charger d'une spirituelle Qui ne parleroit rien que cercle et que ruelle, Qui de prose et de vers feroit de doux écrits, Et que visiteroient marquis et beaux esprits, Tandis que, sous le nom de mari de madame, Je serois comme un saint que pas un ne réclame.
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