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SCÈNE IV.

HORACE, ARNOLPHE.

HORACE.

Je reviens de chez vous, et le destin me montre
Qu'il n'a pas résolu que je vous y rencontre :

Mais j'irai tant de fois, qu'enfin quelque moment...

ARNOLPHE.

Hé! mon dieu! n'entrons point dans ce vain compliment:"
Rien ne me fâche tant que ces cérémonies;
Et, si l'on m'en croyoit, elles seroient bannies.
C'est un maudit usage; et la plupart des gens

Y perdent sottement les deux tiers de leur temps.
(Il se couvre.)

Mettons donc sans façon. Hé bien! vos amourettes ?
Puis-je, seigneur Horace, apprendre où vous en êtes?
J'étois tantôt distrait par quelque vision;
Mais depuis là-dessus j'ai fait réflexion :

De vos premiers progrès j'admire la vitesse,
Et dans l'événement mon ame s'intéresse.

HOR A CE.

Ma foi, depuis qu'à vous s'est découvert mon cœur.
Il est à mon amour arrivé du malheur.

ARNOLPHE.

Oh! oh! comment cela?

HORACE.

La fortune cruelle

A ramené des champs le patron de la belle.

ARNOLPHE.

Quel malheur !

HORACE.

Et de plus, à mon très grand regret,

Il a su de nous deux le commerce secret.

ARNOLPHE.

D'où diantre a-t-il sitót appris cette aventure?

HORACE.

Je ne sais : mais enfin c'est une chose sure.
Je pensois aller rendre, à mon heure à-peu-pres.
Ma petite visite à ses jeunes attraits,

Lorsque, changeant pour moi de ton et de visage,
Et servante et valet m'ont bouché le passage,
Et d'un, Retirez-vous, vous nous importunez,
M'ont assez rudement fermé la porte au nez,

ARNOLPHE.

La porte au nez!

HORACE.

Au nez.

ARNOLPHE.

La chose est un peu forte.

HORACE.

J'ai voulu leur parler au travers de la porte ;
Mais à tous mes propos ce qu'ils ont répondu,
C'est, Vous n'entrerez point, monsieur l'a défendu.

ARNOLPHE.

Ils n'ont donc point ouvert?

HORACE.

Non. Et de la fenêtre

Agnès m'a confirmé le retour de ce maître,
En me chassant de là d'un ton plein de fierté,
Accompagné d'un grès que sa main a jeté.

ARNOLPHE.

Comment! d'un grès!

HORACE.

D'un grès de taille non petite,

Dont on a par ses mains régalé ma visite.

ARNOLPHE.

Diantre! ce ne sont pas des prunes que cela!
Et je trouve fâcheux l'état où vous voilà.

HORACE.

Il est vrai, je suis mal par ce retour funeste.

ARNOLPHE.

Cestes, j'en suis fâché pour vous, je vous proteste.

HOR A CE.

Cet homme me rompt tout.

ARNOLPHE.

Oui; mais cela n'est rien,

Et de vous raccrocher vous trouverez moyen.

HORACE.

Il faut bien essayer, par quelque intelligence,
De vaincre du jaloux l'exacte vigilance.

ARNOLPHE.

Cela vous est facile; et la fille, après tout,

Vous aime.

HORACE.

Assurément.

ARNOLPHE.

Vous en viendrez à bout.

Je l'espère.

HORACE.

ARNOLPHE.

Le grès vous a mis en déroute;

Mais cela ne doit pas vous étonner.

HORACE.

Sans doute;

Et j'ai compris d'abord que mon homme étoit là,
Qui, sans se faire voir, conduisoit tout cela.
Mais ce qui m'a surpris, et qui va vous surprendre,
C'est un autre incident que vous allez entendre;
Un trait hardi qu'a fait cette jeune beauté,
Et qu'on n'attendroit point de sa simplicité.
Il le faut avouer, l'amour est un grand maître :
Ce qu'on ne fut jamais il nous enseigne à l'être;
Et souvent de nos mœurs l'absolu changement
Devient par ses leçons l'ouvrage d'un moment.
De la nature en nous il force les obstacles,
Et ses effets soudain ont de l'air des miracles.
D'un avare à l'instant il fait un libéral,
Un vaillant d'un poltron, un civil d'un brutal;
Il rend agile à tout l'ame la plus pesante,
Et donne de l'esprit à la plus innocente.
Oui, ce dernier miracle éclate dans Agnès;
Car tranchant avec moi par ces termes exprès,

k

Retirez-vous, mon ame aux visites renonce,

<< Je sais tous vos discours, et voilà ma réponse,»
Cette pierre ou ce grès dont vous vous étonniez
Avec un mot de lettre est tombée à mes pieds;
Et j'admire de voir cette lettre ajustée

Avec le sens des mots et la pierre jetée.
D'une telle action n'êtes-vous pas surpris ?
L'amour sait-il pas l'art d'aiguiser les esprits?
Et peut-on me nier que ces flammes puissantes
Ne fassent dans un cœur des choses étonnantes?
Que dites-vous du tour et de ce mot d'écrit?
Hé! n'admirez-vous point cette adresse d'esprit ?
Trouvez-vous pas plaisant de voir quel personnage
A joué mon jaloux dans tout ce badinage?

Dites.

ARNOLPHE.

Oui, fort plaisant.

HORACE.

Riez-en donc un peu.

(Arnolphe rit d'un air forcé. )

Cet homme gendarmé d'abord contre mon feu,
Qui chez lui se retranche, et de grès fait parade,
Comme si j'y voulois entrer par escalade;
Qui, pour me repousser, dans son bizarre effroi,
Anime du dedans tous ses gens contre moi;
Et qu'abuse à ses yeux, par sa machine même,
Celle qu'il veut tenir dans l'ignorance extrême !
Pour moi, je vous l'avoue, encor que son retour
En un grand embarras jette ici mon amour,
Je tiens cela plaisant autant qu'on sauroit dire :
Je ne puis y songer sans de bon cœur en rire;
Et vous n'en riez pas assez, à mon avis.

ARNOLPHE, avec un ris forcé.

Pardonnez-moi, j'en ris tout autant que je puis.

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