Images de page
PDF
ePub

Après l'expérience et toutes les lumières
Que j'ai pu m'acquérir sur de telles matières,
Après vingt ans et plus de méditation

Pour me conduire en tout avec précaution,
De tant d'autres maris j'aurois quitté la trace
Pour me trouver après dans la même disgrace!
Ah! bourreau de destin, vous en aurez menti.
De l'objet qu'on poursuit je suis encor nanti :
Si son cœur m'est volé par ce blondin funeste,
J'empêcherai du moins qu'on s'empare du reste;
Et cette nuit, qu'on prend pour ce galant exploit,
Ne se passera pas si doucement qu'on croit.
Ce m'est quelque plaisir, parmi tant de tristesse,
Que l'on me donne avis du piége qu'on me dresse,
Et que cet étourdi, qui veut m'être fatal,
Fasse son confident de son propre rival.

SCÈNE VIII.

CHRYSALDE, ARNOLPHE.

CHRYSALDE.

Hé bien ! souperons-nous avant la promenade ?

ARNOLPHE.

Non. Je jeûne ce soir.

CHRYSALDE.

D'où vient cette boutade?

ARNOLPHE.

De grace, excusez-moi ; j'ai quelque autre embarras.

CHRYSALDE.

Votre hymen résolu ne se fera-t-il pas ?

ARNOLPHE.

C'est trop s'inquiéter des affaires des autres.

CHRYSALDE.

Oh! oh! si brusquement ! quels chagrins sont les vôtres ?
Seroit-il point, compère, à votre passion
Arrivé quelque peu de tribulation?

Je le jurerois presque, à voir votre visage.

ARNOLPHE.

Quoi qu'il m'arrive, au moins aurai-je l'avantage
De ne pas ressembler à de certaines gens
Qui souffrent doucement l'approche des galants.

CHRYSALDE.

C'est un étrange fait, qu'avec taut de lumières
Vous vous effarouchiez toujours sur ces matières,
Qu'en cela vous mettiez le souverain bonheur,
Et ne conceviez point au monde d'autre honneur !
Être
avare, brutal, fourbe, méchant et lâche,
N'est rien à votre avis, auprès de cette tache,

Et, de quelque façon qu'on puisse avoir vécu,

On est homme d'honneur quand on n'est point cocu.
À le bien prendre au fond, pourquoi voulez-vous croi re
Que de ce cas fortuit dépende notre gloire,
Et qu'une ame bien née ait à se reprocher
L'injustice d'un mal qu'on ne peut empêcher?
Pourquoi voulez-vous, dis-je, en prenant une femme,
Qu'on soit digne, à son choix, de louange ou de blâme,
Et qu'on s'aille former un monstre plein d'effroi
De l'affront que nous fait son manquement de foi ?

Et veulent, sur le pied de nous être fidèles,
Que nous soyons tenus à tout endurer d'elles?
Encore un coup, compère, apprenez qu'en effet
cocuage n'est que que l'on le fait ;

Le

ce

Qu'on peut le souhaiter pour de certaines causes, Et qu'il a ses plaisirs comme les autres choses.

ARNOLPHE.

Si vous êtes d'humeur à vous en contenter, Quant à moi, ce n'est pas la mienne d'en tâter; Et plutôt que subir une telle aventure...

CHRYSALDE.

Mon dieu! ne jurez point, de peur d'être parjure.
Si le sort l'a réglé, vos soins sont superflus;
Et l'on ne prendra pas votre avis là-dessus.

Moi, je serois cocu!

ARNOLPHE.

CHRYSALDE.

Vous voilà bien malade!

Mille gens le sont bien, sans vous faire bravade, Qui de mine, de cœur, de biens et de maison, Ne feroient avec vous nulle comparaison.

ARNOLPHE.

Et moi, je n'en voudrois avec eux faire aucune. Mais cette raillerie, en un mot, m'importune; Brisons là, s'il vous plaît.

CHRYSALDE.

Vous êtes en courroux!

Nous en saurons la cause. Adieu. Souvenez-vous, Quoi que sur ce sujet votre honneur vous inspire, Que c'est être à demi ce que l'on vient de dire,

Que de vouloir jurer qu'on ne le sera pas.

ARNOLPHE.

Moi, je le jure encore; et je vais de ce pas Contre cet accident trouver un bon remède. (Il court heurter à sa porte.)

SCÈNE IX.

ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE.

ARNOLPHE.

Mes amis, c'est ici que j'implore votre aide.
Je suis édifié de votre affection :

Mais il faut qu'elle éclate en cette occasion;
Et, si vous m'y servez selon ma confiance,
Vous êtes assurés de votre récompense.

L'homme que vous savez, n'en faites point de bruit,
Veut, comme je l'ai su, m'attraper cette nuit,
Dans la chambre d'Agnès entrer par escalade.
Mais il lui faut, nous trois, dresser une embuscade:
Je veux que vous preniez chacun un bon bâton,
Et, quand il sera près du dernier échelon,
Car dans le temps qu'il faut j'ouvrirai la fenêtre,
Que tous deux à l'envi vous me chargiez ce traître,
Mais d'un air dont son dos gale le souvenir,
Et qui lui puisse apprendre à n'y plus revenir;
Sans me nommer pourtant en aucune manière,
Ni faire aucun semblant que je serai derrière.
Auriez-vous bien l'esprit de servir mon courroux?

ALAIN.

S'il ne tient qu'à frapper, mon dieu! tout est à nous: Vous verrez, quand je bats, si j'y vais de main morte.

GEORGETTE.

La mienne, quoiqu'aux yeux elle semble moins forte. N'en quitte pas sa part à le bien étriller.

ARNOLPHE.

Rentrez donc ; et sur-tout gardez de babiller.

(seul.)

Voilà pour le prochain une leçon utile ;
Et, si tous les maris qui sont en cette ville
De leurs femmes ainsi recevoient le galant,
Le nombre des cocus ne seroit pas si grand.

FIN DU QUATRIÈME ACTE.

« PrécédentContinuer »