faut du terrain à deux marquis, et ils ne sont pas gens à tenir leur personne dans un petit espace. Mon dieu ! ce n'est point là le ton d'un marquis: il faut le prendre un peu plus haut; et la plupart de ces messieurs affectent une manière de parler particulière pour se distinguer du commun. « Bonjour, marquis. » Recommencez donc. « Parbleu ! tu vois; j'attends que tous ces mes« sieurs aient débouché la porte, pour présenter « là mon visage. " LA GRANGE. « Têtebleu ! quelle foule ! Je n'ai garde de m'y «aller frotter, et j'aime bien mieux entrer des <<< derniers. » y a MOLIÈRE. là vingt gens qui sont fort assurés de « n'entrer point, et qui ne laissent pas de se « presser et d'occuper toutes les avenues de la « porte. " LA GRANGE. «< Crions nos deux noms à l'huissier, afin qu'il « nous appelle, " MOLIÈRE. << Cela est bon pour toi; mais, pour moi, je ne « veux pas être joué par Molière. › LA GRANGE. " « Je pense pourtant, marquis, que c'est toi « qu'il joue dans la Critique. " MOLIÈRE. « Moi? Je suis ton valet; c'est toi-même en "propre personne. » LA GRANGE. <«< Ah! ma foi, tu es bon de m'appliquer ton « personnage. » MOLIÈRE. « Parbleu ! je te trouve plaisant de me donner « ce qui t'appartient. >> LA GRANGE. Quoi! tu veux soutenir que ce n'est pas « toi qu'on joue dans le marquis de la Criti que ? » MOLIÈRE. « Il est vrai: c'est moi. Détestable, morbleu! « détestable; tarte à la crème. C'est moi, c'est << moi; assurément, c'est moi. » LA GRANGE. Oui, parbleu! c'est toi : tu n'as que faire de railler; et, si tu veux, nous gagerons, et ver« rons qui a raison des deux. » LA GRANGE. Je gage cent pistoles que c'est toi. » MOLIÈRE. Et moi, cent pistoles que c'est toi. »> LA GRANGE. << Cent pistoles comptant. » MOLIÈRE. "Comptant. Quatre-vingt-dix pistoles sur Amyntas, et dix pistoles comptant. " K << Voici un homme qui nous jugera. (à Bré« court.) Chevalier. " BRÉCOURT. MOLIÈRE. Bon! voilà l'autre qui prend le ton de marquis! Vous ai-je pas dit que vous faites un rôle où l'on doit parler naturellement? Juge-nous un peu sur une gageure que nous << avons faite. »> BRÉCOURT. « Et quelle ? » MOLIÈRE: « Nous disputons qui est le marquis de la Critique de Molière : il gage que c'est moi; et moi « je gage que c'est lui. » " t kr BRÉCOURT. « Et moi, je juge que ce n'est ni l'un ni l'autre. « Vous êtes fous tous deux de vouloir vous appli<< quer ces sortes de choses; et voilà de quoi j'ouïs « l'autre jour se plaindre Molière, parlant à des « personnes qui le chargeoient de même chose « que vous. Il disoit que rien ne lui donnoit du déplaisir comme d'être accusé de regarder quelqu'un dans les portraits qu'il fait; que son des« sein est de peindre les mœurs sans vouloir tou«< cher aux personnes, et que tous les personnages qu'il représente sont des personnages en l'air, « et des fantômes proprement, qu'il habille à sa « fantaisie pour réjouir les spectateurs; qu'il seroit bien fâché d'y avoir jamais marqué qui que «< ce soit; et que, si quelque chose étoit capable « de le dégoûter de faire des comédies, c'étoit les « ressemblances qu'on y vouloit toujours trouver, << et dont ses ennemis tâchoient malicieusement d'appuyer la pensée pour lui rendre de mauvais « offices auprès de certaines personnes à qui il n'a jamais pensé. En effet, je trouve qu'il a rai " |