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« son; car pourquoi vouloir, je vous prie, appli« quer tous ses gestes et toutes ses paroles, et «< chercher à lui faire des affaires, en disant hau<< tement, Il joue un tel, lorsque ce sont des cho<< ses qui peuvent convenir à cent personnes? « Comme l'affaire de la comédie est de représen« ter en général tous les défauts des hommes, et principalement des hommes de notre siècle, il « est impossible à Molière de faire aucun carac« tère qui ne rencontre quelqu'un dans le monde; et, s'il faut qu'on l'accuse d'avoir songé à toutes « les personnes où l'on peut trouver les défauts

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«

qu'il peint, il faut, sans doute, qu'il ne fasse plus de comédies. »

MOLIÈRE.

« Ma foi, chevalier, tu veux justifier Molière, « et épargner notre ami

voilà. que

LA GRANGE.

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<< Point du tout, c'est toi qu'il épargne; et nous << trouverons d'autres juges.

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MOLIÈRE.

« Soit. Mais dis-moi, chevalier, crois-tu pas ton Molière est épuisé maintenant, et qu'il « ne trouvera plus de matière pour...?

" que

BRÉCOURT.

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<< Plus de matière ! Hé! mon pauvre marquis, nous lui en fournirons toujours assez; et nous

« ne prenons guère le chemin de nous rendre « sages, pour tout ce qu'il fait et tout ce qu'il " dit. "

"

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MOLIÈRE.

Attendez. Il faut marquer davantage tout cet endroit. Écoutez-le-moi dire un peu.... « et qu'il « ne trouvera plus de matière pour.... Plus de « matière ! Hé! mon pauvre marquis, nous lui en « fournirons toujours assez; et nous ne prenons guère le chemin de nous rendre sages, pour << tout ce qu'il fait et tout ce qu'il dit. Crois-tu qu'il ait épuisé dans ses comédies tout le ridi«cule des hommes? Eh! sans sortir de la cour, « n'a-t-il pas encore vingt caractères de gens << il n'a point touché? N'a-t-il pas, par exemple, « ceux qui se font les plus grandes amitiés du monde, et qui, le dos tourné, font galanterie « de se déchirer l'un l'autre ? N'a-t-il pas ces adu«lateurs à outrance, ces flatteurs insipides, qui « n'assaisonnent d'aucun sel les louanges qu'ils donnent, et dont toutes les flatteries ont une « douceur fade qui fait mal au cœur à ceux qui « les écoutent ? N'a-t-il pas ces lâches courtisans « de la faveur, ces perfides adorateurs de la for« tune, qui vous encensent dans la prospérité, « et vous accablent dans la disgrace? N'a-t-il pas «< ceux qui sont toujours mécontents de la cour,

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«< ces suivants inutiles, ces incommodes assidus, « ces gens, dis-je, qui, pour services, ne peuvent «< compter que des importunités, et qui veulent qu'on les récompense d'avoir obsédé le prince

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<< dix ans durant ? N'a-t-il pas ceux qui caressent également tout le monde, qui promènent leurs « civilités à droite et à gauche, et courent à tous «< ceux qu'ils voient avec les mêmes embrassades « et les mêmes protestations d'amitié ? Monsieur, << votre très humble serviteur: Monsieur, je suis << tout à votre service: Tenez-moi des vôtres, mon cher: Faites état de moi, monsieur, comme du plus chaud de vos amis: Monsieur, je suis ravi « de vous embrasser : Ah! monsieur, je ne vous

"

"

"

voyois pas: Faites-moi la grace de m'employer; « soyez persuadé que je suis entièrement à vous: « Vous êtes l'homme du monde que je révère le plus: Il n'y a personne que j'honore à l'égal de « vous; je vous conjure de le croire ; je vous sup

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plie de n'en point douter: Serviteur: Très hum«ble valet. Va, va, marquis, Molière aura tou« jours plus de sujets qu'il n'en voudra; et tout «< ce qu'il a touché jusqu'ici n'est rien que baga« telle au prix de ce qui reste. »

Voilà à peu près comme cela doit être joué. BRÉCOURT.

C'est assez.

MOLIÈRE.

Poursuivez.

BRÉCOURT.

« Voici Climène et Élise. »

MOLIÈRE.

(à mesdemoiselles du Parc et Molière.)
Là-dessus, vous arriverez toutes deux.
(à mademoiselle du Parc. )

Prenez bien garde, vous, à vous déhancher comme il faut, et à faire bien des façons. Cela vous contraindra un peu; mais qu'y faire ? Il faut parfois se faire violence.

"

Mlle MOLIÈRE.

Certes, madame, je vous ai reconnue de loin; << et j'ai bien à votre air, que ce ne pouvoit

vu,

« être une autre que vous. »

Mlle DU PARC.

« Vous voyez, je viens attendre ici la sortie « d'un homme avec qui j'ai une affaire à démêler. » Mlle MOLIÈRE.

« Et moi de même. »

MOLIÈRE.

Mesdames, voilà des coffres qui vous serviront

de fauteuils.

Mlle DU PARC.

Allons, madame, prenez place, s'il vous

« plaît. »

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Bon. Après ces petites cérémonies muettes, chacun prendra place, et parlera assis, hors les marquis, qui tantôt se lèveront et tantôt s'asseoiront, suivant leur inquiétude naturelle. « Parbleu ! chevalier, tu devrois faire prendre méde" cine à tes canons. »

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« Comment? »

BRÉCOURT.

MOLIÈRE.

« Ils se portent fort mal. »

BRÉCOURT.

« Serviteur à la turlupinade. »

Mlle MOLIÈRE.

« Mon dieu! madame, que je vous trouve le << teint d'une blancheur éblouissante, et les lèvres « d'une couleur de feu surprenante !

« Ah!

que

Mlle DU PARC.

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dites-vous là, madame? Ne me re«gardez point:je suis du dernier laid aujourd'hui.»

Mlle MOLIÈRE.

« Hé! madame, levez un peu votre coiffe. » Mlle DU PARC.

« Fi! je suis épouvantable, vous dis-je, et je << me fais peur à moi-même. »

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