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T'y souffrît en repos jusques à demain jour.

ISABELLE.

Il est vrai; mais...

SGANARELLE.

Hé quoi!

ISABELLE.

Vous me voyez confuse,

Et je ne sais comment vous en dire l'excuse.

SGANARELLE.

Quoi donc? que pourroit-ce être?

ISABELLE.

Un secret surprenant:

C'est ma sœur qui m'oblige à sortir maintenant,
Et qui, pour un dessein dont je l'ai fort blâmée,
M'a demandé ma chambre, où je l'ai renfermée.

Comment?

SGANARELLE.

ISABELLE.

L'eût-on pu croire? Elle aime cet amant

Que nous avons banni.

SGANARELLE.

Valère?

ISABELLE.

Éperdument.

C'est un transport si grand, qu'il n'en est point de même,
Et vous pouvez juger de sa puissance extrême,
Puisque seule, à cette heure, elle est venue ici
Me découvrir à moi son amoureux souci,
Me dire absolument qu'elle perdra la vie
Si son ame n'obtient l'effet de son envie;

Que depuis plus d'un an d'assez vives ardeurs

Dans un secret commerce entretenoient leurs cœurs;

Et que même ils s'étoient, leur flamme étant nouvelle, Donné de s'épouser une foi mutuelle...

La vilaine!

SGANARELLE.

ISABELLE.

Qu'ayant appris le désespoir

Où j'ai précipité celui qu'elle aime à voir,
Elle vient me prier de souffrir que sa flamme
Puisse rompre un départ qui lui perceroit l'ame;
Entretenir ce soir cet amant sous mon nom
Par la petite rue où ma chambre répond;
Lui peindre, d'une voix qui contrefait la mienne,
Quelques doux sentiments dont l'appât le retienne,
Et ménager enfin pour elle adroitement

Ce que pour moi l'on sait qu'il a d'attachement.

Et tu trouves cela...

SGANARELLE.

ISABELLE.

Moi? j'en suis courroucée.

Quoi! ma sœur, ai-je dit, êtes-vous insensée?
Ne rougissez-vous point d'avoir pris tant d'amour
Pour ces sortes de gens qui changent chaque jour,
D'oublier votre sexe, et tromper l'espérance
D'un homme dont le ciel vous donnoit l'alliance?

SGANARELLE.

Il le mérite bien; et j'en suis fort ravi.

ISABELLE.

Enfin de cent raisons mon dépit s'est servi

Pour lui bien reprocher des bassesses si grandes,
Et pouvoir cette nuit rejeter ses demandes:
Mais elle m'a fait voir de si pressants desirs,
A tant versé de pleurs, tant poussé de soupirs,
Tant dit qu'au désespoir je porterois son ame,
Si je lui refusois ce qu'exige sa flamme,

Qu'à céder malgré moi mon cœur s'est vu réduit;
Et, pour justifier cette intrigue de nuit,
Où me faisoit du sang relâcher la tendresse,
J'allois faire avec moi venir coucher Lucréce,
Dont vous me vantez tant les vertus chaque jour.
Mais vous m'avez surprise avec ce prompt retour.

SGANARELLE.

Non, non, je ne veux point chez moi tout ce mystère.
J'y pourrois consentir à l'égard de mon frère :
Mais on peut être vu de quelqu'un du dehors;
Et celle que je dois honorer de mon corps
Non seulement doit être et pudique et bien née,
Il ne faut pas que même elle soit soupçonnée.
Allons chasser l'infame; et de sa passion...

ISABELLE.

Ah! vous lui donneriez trop de confusion;
Et c'est avec raison qu'elle pourroit se plaindre
Du peu
de retenue où j'ai su me contraindre :
Puisque de son dessein je dois me départir,
Attendez que du moins je la fasse sortir.

Hé bien! fais.

SGANARELLE.

ISABELLE.

Mais sur-tout cachez-vous, je vous prie;

Et, sans lui dire rien, daignez voir sa sortie.

SGANARELLE.

Oui, pour l'amour de toi je retiens mes transports;
Mais, dès le même instant qu'elle sera dehors,
Je veux, sans différer, aller trouver mon frère:
J'aurai joie à courir lui dire cette affaire.

ISABELLE.

Je vous conjure donc de ne me point nommer.
Bonsoir; car tout d'un temps je vais me renfermer.
SGANARELLE, seul.

Jusqu'à demain, ma mie... En quelle impatience
Suis-je de voir mon frère, et lui conter sa chance!
Il en tient, le bon homme, avec tout son phébus,
Et je n'en voudrois pas tenir cent bons écus.
ISABELLE, dans la maison.

Oui, de vos déplaisirs l'atteinte m'est sensible:
Mais ce que vous voulez, ma sœur, m'est impossible;
Mon honneur, qui m'est cher, y court trop de hasard.
Adieu. Retirez-vous avant qu'il soit plus tard.

SGANARELLE.

La voilà qui, je crois, peste de belle sorte:
De peur qu'elle revînt, fermons à clef la porte.· ́

ISABELLE, en sortant.

O ciel, dans mes desseins ne m'abandonnez pas!

SGANARELLE, à part.

Où pourra-t-elle aller? Suivons un peu ses pas.
ISABELLE, à part.

Dans mon trouble du moins la nuit me favorise.

SCANARELLE, à part.

Au logis du galant! Quelle est son entreprise?

SCÈNE III.

VALÈRE, ISABELLE, SGANARELLE.

VALÈRE, sortant brusquement.

Oui, oui, je veux tenter quelque effort cette nuit Pour parler... Qui va là?

ISABELLE, à Valère.

Ne faites point de brnit,

Valère; on vous prévient, et je suis Isabelle.

SGANARELLE.

Vous en avez menti, chienne; ce n'est pas elle.
De l'honneur que tu fuis elle suit trop les lois;
Et tu prends faussement et son nom et sa voix.
ISABELLE, à Valère.

Mais à moins de vous voir par un saint hyménée...
VALÈRE.

Oui, c'est l'unique but où tend ma destinée;
Et je vous donne ici ma foi que dès demain
Je vais où vous voudrez recevoir votre main.

SGANARELLE, à part.

Pauvre sot qui s'abuse!

VALÈRE.

Entrez en assurance:

De votre Argus dupé je brave la puissance;
Et, devant qu'il vous pût ôter à mon ardeur,
Mon bras de mille coups lui perceroit le cœur.

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