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en droit civil? la majorité pénale doit-elle coïncider avec la majorité civile, ou doit-elle s'en séparer, et comment se gradue durant cet intervalle la culpabilité?

266. On peut dire avec vérité que la notion du mal moral qui existe dans un délit arrive plutôt chez l'homme que celle des intérêts à débattre et à défendre dans les contrats et dans les relations civiles. L'une est la notion du juste, l'autre la notion de l'utile: or, la première, quoique plus spirituelle, est plus simple, plus nette, sujette à moins de méprises, et se présente distinctement chez l'homme avant la seconde. Tel qui n'est pas capable de démêler ce qu'il peut y avoir d'avantageux ou de désavantageux dans un marché proposé, dans une obligation à contracter, dans une aliénation à faire, ni de se garantir des pièges qui lui seraient tendus à cet égard, pourra déjà discerner sans aucun doute que telle action ou telle inaction constitue une violation du droit. Aussi l'âge où commence la certitude d'imputabilité pénale doit-il nécessairement précéder celui de la majorité civile.

267. Mais dès ce moment la culpabilité est-elle parvenue au niveau commun? Peut-on faire arriver de suite cette imputabilité, qui est certaine, avec ses conséquences les plus graves, avec toutes les rigueurs de la loi pénale ordinaire, contre une personne dont la raison n'est pas jugée suffisante pour discerner régulièrement les intérêts? N'y aurait-il pas en cela contradiction et injustice? Cette raison n'est pas complète et toute développée, puisque la capacité civile ne lui est pas même reconnue comment la culpabiÎité serait-elle pleine et entière? Bien que la notion du juste domine dans le discernement du délit social, celle de l'utile y est aussi mêlée essentiellement (ci-dessus n° 188 et 205): attendez donc pour marquer le niveau commun, la plus haute aptitude de culpabilité, que l'une et l'autre de ces notions soient perçues entièrement et exactement par la raison humaine. Nous croyons fermement que si la certitude d'imputabilité doit précéder la majorité civile, l'application des peines ordinaires ne peut pas avoir lieu avant cette majorité. Les trois périodes qui précèdent ne suffisent donc pas, il en faut encore une autre.

268. Celle-ci est la quatrième et dernière époque, celle où le développement moral est achevé, où la ligne normale est atteinte, où la culpabilité est pleine et entière: à partir de cette époque la pénalité ordinaire devient applicable.

269. En résumé, les périodes parcourues dans la marche graduelle du développement moral chez l'homme sont, par rapport à la pénalité, au nombre de quatre, qui peuvent se caractériser ainsi : -10 Certitude de non-imputabilité; 2° doute, question à résoudre; en cas d'affirmative, culpabilité moindre; -3° certitude d'imputabilité; culpabilité plus élevée que dans le cas précédent, mais non encore au niveau commun; tière suivant le niveau commun.

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4o culpabilité pleine et en

270. Une première conséquence de l'atténuation de culpabilité, quand culpabilité il y a, durant tout ce jeune âge où les facultés de l'homme n'ont pas encore atteint leur développement normal, doit être sans contredit une diminution proportionnelle de peine. Mais est-il permis de s'en tenir là? Qui ne voit que c'est ici surtout qu'existe l'espérance de redresser, de diriger, de façonner les esprits et les caractères; avec cette espérance, le devoir d'y travailler; le devoir enfin de préparer l'avenir, de former les jeunes délinquants à la vie d'homme fait qui les attend, et à laquelle ils n'ont point encore touché? De telle sorte que la peine, sans perdre son caractère répressif exigé par la justice, doit être appropriée aux exigences d'une telle situation, organisée de manière que l'élément de correction y domine, et qu'il s'agit dans ces périodes de première jeunesse, non pas d'une atténuation seulement, mais bien d'une tout autre nature de peines.

271. Dans les cas même où le mineur n'a pas agi avec un discernement suffisant pour constituer la culpabilité de droit pénal, et où, par conséquent, au point de vue de la justice répressive, il doit être acquitté, le juge peut reconnaître néanmoins la nécessité d'enlever cet enfant à un milieu compromettant, à une direction constatée vicieuse, et de le soumettre dans son propre intérêt à des mesures qui préparent aussi son avenir par une éducation morale et par l'apprentissage d'un travail professionnel. On ne pourra procéder, il est vrai, à ces mesures que par voie de contrainte : contrainte à l'égard des parents dont l'autorité sera écartée; contrainte à l'égard du mineur qui sera privé judiciairement de sa liberté. Cette contrainte sera suffisamment justifiée, suivant les cas, par le danger, par les mauvaises habitudes ou les penchants vicieux qui ressortiront des faits établis; par la faute du mineur, qui, pour n'être pas une faute à frapper de peine publique, n'en existera pas moins à sa charge; par la négligence, l'abandon, le mauvais exemple ou l'immoralité des parents. Mais ces mesures ne doivent avoir aucun caractère de peine publique : ce qui s'y trouve de répression ne doit être assimilé qu'à une sorte de correction domestique, destinée à remplacer à l'égard du mineur celle de ses parents, qui est reconnue lui faire défaut. Elles ne pas être confondues surtout avec les précédentes; cette confusion serait contraire à la justice, et renverserait les idées de droit, puisque dans les unes il y a acquittement, et dans les autres

doivent

condamnation.

272. De ce caractère de la détention du mineur acquitté, nous conclurons que, n'étant pas le résultat d'une condamnation, elle ne devrait rien avoir d'irrévocable; que le temps marqué par le jugement pour sa durée devrait être considéré seulement comme un maximum qu'elle ne pourrait dépasser; mais que même avant ce temps un moyen légal d'y mettre fin devrait toujours être ouvert pour le cas où les circonstances changeraient, où la conduite du

mineur paraîtrait réformée, où quelque occasion favorable se présenterait pour l'avenir de ce mineur.

273. La vieillesse ne forme pas une dernière période à établir législativement et en général quant à cette question d'imputabilité ou de culpabilité. Les facultés de l'homme se sont développées, l'expérience est acquise, l'excitation des passions est amortie : la culpabilité, loin d'en être diminuée, s'en augmente peut-être; voilà d'ailleurs des éléments qui ne peuvent être soumis à aucune loi générale, mais qui rentrent dans l'appréciation individuelle à faire par le juge dans chaque cause. Que si le grand age a amené un affaiblissement des facultés intellectuelles, une sorte de retour à l'enfance, il y a là encore un accident individuel, une altération éventuelle qui appartient, non pas au sujet dont nous traitons ici mais à celui dont nous traiterons dans le chapitre suivant.~Enfin, si la loi en raison de la vieillesse et à un certain âge déterminé modifie l'application de certaines peines, ces modifications ne sont point fondées sur une diminution de culpabilité, mais sur d'autres considérations que nous aurons à exposer en traitant des peines.

2o Suivant la législation positive et la jurisprudence.

274. Le point qui nous occupe n'était réglé anciennement chez nous que par la jurisprudence, et il est à remarquer que cette jurisprudence n'était assise que sur une certaine interprétation commune, mais erronée, de divers textes du droit romain.

:

275. Le droit civil des Romains, dans sa rudesse et dans son matérialisme primitifs, s'était attaché pour l'appréciation du développement de l'homme à deux phénomènes de sa nature physique la parole et la puissance génératrice. Pour lui l'infans était celui qui ne parle pas encore (qui fari non potest), qui, par conséquent, n'était pas capable de figurer dans le droit en y prononcant les formules consacrées; l'impubes, celui qui ne peut pas encore engendrer, qui, par conséquent, n'était pas capable de contracter de justes noces. Les jurisconsultes, à mesure qu'ils tinrent plus de compte des éléments intellectuels, se mirent à distinguer en outre si l'homme était plus près de l'âge où l'on ne parle pas (infanti proximus), ou plus près de la puberté (pubertati proximus). Mais ni l'une ni l'autre de ces deux époques, l'enfance et la puberté, ni par conséquent le milieu ou sorte de moyen terme pris en considération par les jurisconsultes, n'étaient déterminés par des chiffres; ils restaient variables selon chaque individu plus ou moins précoce, ou plus ou moins retardataire.

276. Cependant une opinion des philosophes et des médecins de l'antiquité, reproduite même en nos temps modernes dans un ouvrage célèbre de Cabanis (1), se fit jour parmi les jurisconsultes ro

(1) CABANIS, Rapports du physique et du moral de l'homme; 4o mémoire: Influence de l'âge sur les idées et sur les affections morales, §§ 6, 7 et 8.

AGE. 115 mains, et vint exercer son influence sur leurs décisions. Cette opinion était que de sept ans en sept ans, en terme moyen, tous les éléments matériels qui composent le corps de l'homme se trouvent renouvelés, et qu'une révolution organique, portant à la fois sur le physique et sur le moral, s'est accomplie. Par suite de cette opinion, la tendance des jurisconsultes, du moins dans l'une de leurs écoles, celle des Proculéiens, fut de fixer à quatorze ans révolus pour les hommes l'époque de la puberté, fixation qui n'a été législativement consacrée que par Justinien, et à sept ans révolus celle du temps intermédiaire de telle sorte que, d'après ces données, il faut entendre dans les textes des jurisconsultes romains par infans, celui qui est encore à la mamelle ou peu s'en faut (qui adhuc lactant, aut his paulo majores, suivant les expressions de Théophile (1); par infanti proximus, celui qui n'a pas encore sept ans révolus; par pubertati proximus, celui qui a dépassé cet age; et par pubes, celui qui compte quatorze ans accomplis; ou, du moins, il faut se tenir dans des limites environnantes pour le sens de ces expressions quand elles se rencontrent chez des jurisconsultes qui n'avaient pas voulu admettre le système d'une moyenne par chiffres déterminés, mais qui avaient continué à vouloir juger pour chaque individu le moment où le phénomène physique s'était produit. On sait, du reste, comment tous s'étaient accordés à fixer pour les femmes l'époque de la nubilité à douze ans, et comment le Préteur, dans son édit, avait introduit une autre distinction entre les mineurs ou les majeurs de vingt-cinq ans, chiffre qui ne cadrait plus avec la théorie des périodes septennales.

277. Les conséquentes de ces diversités d'âge, telles qu'elles nous apparaissent dans les fragments des jurisconsultes romains parvenus jusqu'à nous, ne se réfèrent en majeure partie qu'aux affaires civiles; plusieurs de ces fragments sont relatifs à ces actions que le droit romain qualifiait de pénales, mais qui n'avaient en réalité qu'un caractère privé (2); quelques-uns, en très-petit nombre, ont trait véritablement à la pénalité publique par voie d'accusation, sans nous offrir pour ces matières de règle générale précise (3). C'est avec ces textes incomplets ou détournés de leur

(1) THEOPHILE, Paraphrase des Instituts, liv. 3, tit. 19, De inutil. stipul., § 10.
Ce sont les textes dont les anciens criminalistes ont le plus usé dans la juris-

prudence européenne.

(3) Voici les textes les plus généraux :

Impunitas delicti propter ætatem non

datur, si modo in ea quis sit, in quam crimen, quod intenditur, cadere potest. » (God.,
9, 47, De pœnis, 7, const. Alex. Sever.) Fere in omnibus pœnalibus judiciis et ætati
et imprudentiæ succurritur.» (DIG., 50, 17, De regul. jur., 108, Fr. Paul.) ·
aussi DIG., 48. 19, De pœnis, 16, § 3, Fr. Claud. Saturnin.

Voir

Pomponius ait,

neque impuberem, neque furiosum capitalem fraudem videri admisisse. (DIG., 21, 1, De ædilit. edicto, 23, § 2, Fr. Ulp.) D'où la controverse, dans l'ancienne jurisprudence criminelle, de savoir si un impubère pouvait être condamné à mort; l'affirmatire s'appuyant, quoique mal à propos, sur un autre texte, relatif au cas tout particulier da sénatus-consulte Silanien: DIG., 29, 5, De S.-C. Silaniano, 14, Fr. Mæcian.

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propre application que l'ancienne jurisprudence européenne avait cherché à construire sa doctrine, en y joignant cette autre circonstance, et c'est ici que, par une méprise volontaire ou involontaire, tout en croyant appliquer ces textes, elle s'en était véritablement écartée, en y joignant cette circonstance que, par suite d'une interprétation alors communément reçue et fondée sur une constitution particulière du temps de Théodose, l'âge de l'enfance était considéré par cette ancienne jurisprudence européenne comme se continuant, en droit romain, jusqu'à sept ans accomplis, ce qui reculait d'autant l'âge où l'homme est infanti ou pubertati proximus, et changeait toutes les applications des textes romains relatifs à cette époque.

278. C'était ainsi que chez nous, pour ne nous occuper que de la France et pour laisser de côté les variétés d'application spéciales aux autres pays, la jurisprudence pratique, quoique non uniforme, s'accordait le plus généralement à considérer comme ne devant être punis d'aucune peine les enfants, c'est-à-dire les personnes agées de moins de sept ans révolus, et celles plus près de l'enfance que de la puberté, c'est-à-dire au-dessous de dix ans pour les femmes et de dix ans et demi ou onze ans pour les hommes. Passé cet âge, les personnes devenaient punissables, mais les impubères moins que les pubères, la puberté étant celle du droit romain, douze ans pour les femmes, quatorze ans pour les hommes; et les pubères mineurs moins que les majeurs, c'est-à-dire moins que ceux qui avaient atteint vingt-cinq ans révolus. A cette majorité seulement devenait applicable toute la rigueur de la peine ordinaire; car, dit Muyart de Vouglans, « comme la raison a ses degrés, la loi veut aussi que la punition soit réglée suivant les différents degrés de l'âge. » Le principe que les peines étaient arbitraires s'accommodait parfaitement à cette gradation progressive laissée à l'estimation du juge; d'ailleurs la jurisprudence n'avait rien d'impérieux, et le brocard si répandu: «Malitia supplet ætatem,» permettait à ce juge de décider autrement dans les cas qui lui paraissaient exceptionnels (1). Enfin ces règles, comme tant d'autres du droit pénal, cessaient du moment qu'il était question de crimes qualifiés d'atroces, tels que ceux de lèse-majesté divine ou humaine, d'assassinat, d'empoisonnement (2).

279. L'Assemblée constituante, dans son Code pénal de 1791,

Un impubère pouvait cependant être déporté : INSTITUTS, liv. 1, tit. 22, § 1, et liv. 26, tit. 1, § 14. - Pour le mineur de vingt-cinq ans, voir DIG., 4, 4, De minoribus, 37, Fr. Tryphonin.

(1) Pour sa pupillarité ne doit demeurer qu'il ne porte la peine capitalle, pour la raison de ce que malice y aura suppleé à l'aage.» (BOUTEILLER, Somme rural, liv. 2, tit. 40, p. 870.

(2) MUVART DE VOUGLANS : Les lois criminelles, liv. 1, tit. 5, ch. 1, § 1, p. 26. Institut au droit criminel, part. 3, ch. 4, § 1, p. 74. JOUSSE, Traité de la justice

criminelle, part. 3, liv. 2, tit. 25, art. 4, § 4, tom. 2, p. 615.

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