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connaissance de l'art, expliqué et complété par les enseignements de la science?

Que l'art, ou le corps de préceptes, ne peut être bon s'il n'est fondé avec exactitude sur les vérités de la science?

Enfin, que la science ne donne toute son utilité et ne remplit sa véritable destination qu'autant qu'elle sert à créer, à perfectionner le précepte; à guider, à soutenir et à ennoblir la pratique?

De telle sorte qu'au lieu de dédaigner, de dénigrer l'une ou l'autre de ces parties, nous devons comprendre que leur réunion seule forme un tout complet et puissant, un tout qui réponde à cette destinée de l'homme, accomplir sa tâche et suivre sa route depuis la pensée jusqu'à l'activité.

31. Chaque matière, dans cet ouvrage, sera donc examinée dans cet ordre d'abord suivant la science, source suprême et commune; ensuite suivant la législation positive et la jurisprudence.

32. La nature n'offre guère à l'étude de l'homme recherchant les vérités ou lois de première création que des produits complexes, des composés d'éléments divers. Cela est vrai dans l'ordre moral comme dans l'ordre physique. Or la raison humaine n'est pas assez puissante pour embrasser immédiatement tous les détails d'un composé, et pour découvrir la loi de ce composé à l'inspection seule de son ensemble. Il faut qu'elle en sépare les éléments divers, qu'elle les étudie les uns après les autres, pour arriver ensuite à la connaissance du tout. Cette opération est celle de l'analyse, c'est la méthode des découvertes.

Mais l'esprit humain ne doit pas se contenter de cette décomposition, de cette étude à part des éléments divers; pour achever véritablement son œuvre, il faut qu'après avoir décomposé, il recompose; il faut qu'il reconstruise avec les éléments, une fois qu'ils lui sont connus, le tout que ces éléments doivent former. Cette opération de reconstruction est ce qu'on nomme la synthèse; elle complète la découverte de la loi; elle sert de contrôle aux résultats de l'analyse et en résume le profit.

Une seule science physique, la chimie, offre pour ainsi dire le spectacle matériel de ces deux opérations successives; mais l'emploi de l'analyse et de la synthèse n'en est pas moins réclamé par les autres sciences.

33. Quelle est de ces deux méthodes celle qui doit être préférée? La question, comme on le voit, est bien mal posée, et les controverses exclusives en faveur de l'analyse ou de la synthèse bien mal venues. Le véritable procédé scientifique, la seule méthode complète consiste à employer d'abord l'analyse pour découvrir, ensuite la synthèse pour reconstruire et démontrer. C'est ce que nous avons fait dans notre travail, et ce que nous continuerons à faire jusque dans ce traité élémentaire.

Toutefois, introduire le lecteur dans les détails mêmes de l'analyse, le faire assister pour ainsi dire à la découverte de la

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vérité ou loi primordiale, c'est une marche souvent trop lente, surtout pour un abrégé tel que celui-ci. Il nous arrivera donc, plus souvent que nous ne voudrions, de glisser sur les opérations analytiques que nous aurons faites, et de présenter directement, par la synthèse et sur le crédit de notre parole, le tableau coordonné des résultats auxquels nous serons parvenu.

34. Ici une application immédiate du procédé analytique se présente à nous :

Le droit, puisqu'il n'est autre chose qu'une conception particulière déduite d'un rapport d'homme à homme, a pour sujet l'homme en rapport avec ses semblables, c'est-à-dire en société, et n'en a pas d'autre. Il suit de là, en premier lieu, que le droit est une science éminemment sociale: pas de droit sans société, et réciproquement, pas de société sans droit; et, en second lieu, que le pivot constant, la base fondamentale des études de droit, doit être l'étude de l'homme en rapport avec ses semblables. C'est le cas de dire au jurisconsulte, avec Charron : « Dieu se connait, le monde se regarde, toi, homme, reconnais-toi, examine-toi, épietoi, connais-toi!»

Mais l'analyse nous montre indubitablement dans l'homme deux éléments: l'un physique, matériel, le corps; l'autre métaphysique, immatériel, le moral. Elle nous fait, en outre, découvrir en lui une qualité essentielle, inhérente forcément à sa création : la sociabilité. D'où, pour arriver à la construction exacte de la science du droit, la nécessité d'étudier l'homme sous ces trois points de vue dans son corps, dans son moral et dans sa sociabilité. Tout ceci est vrai pour le droit pénal en particulier comme pour toute espèce de droit en général; et cette étude de l'homme sous une triple face, que nous ne perdrons jamais de vue, sera un des caractères particuliers de notre enseignement.

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CHAPITRE III.

SCIENCES AUXILIAIRES POUR LE DROIT PÉNAL.

Toutes les sciences sont unies entre elles.

auxiliaires pour

-

Quelques-unes sont plus spécialement

le droit en général, et pour le droit pénal en particulier. - Ce sont,

1o les sciences morales: la philosophie, la morale théorique, la morale d'observa2o les sciences physiques sur l'homme la physiologie, la phré30 les sciences sociales: l'économie politique, la et 4o enfin les notions historiques: histoire des peuples, histoire de la science du droit, étude des langues et philologie.

tion pratique;
nologie, la médecine légale;
statistique;

35. Il n'existe pas de science à l'état d'isolement; la découverte d'une vérité ou d'une loi de la création conduit à celle d'une autre; les sciences forment une grande chaîne, et le droit, d'anneau en anneau, tient à chacune d'elles. Le moyen âge avait dans

l'organisation des universités (mot qui ne signifiait cependant autre chose que corporation) un symbole matériel de cette fraternité des sciences. Si le rapprochement matériel paraît aujourd'hui affaibli chez nous, qu'il n'en soit pas de même du lien intellectuel !

36. Mais entre toutes les sciences, et à part cette relation universelle, il en est qui sont plus directement utiles à l'étude du droit en général et à celle du droit pénal en particulier.

Si l'on se rappelle que la base fondamentale d l'étude du droit est l'étude de l'homme en société, et que l'homme doit être étudié sous trois points de vue, le moral, le corps et la sociabilité, on aura un lien naturel et logique qui groupera et enchaînera, comme sciences éminemment auxiliaires pour le droit, celles qui suivent: 1° les sciences morales; 2° les sciences physiques sur l'homme; 3° les sciences sociales.

37. Les sciences morales nous offriront d'abord la philosophie: panthéistique à son origine, enfermant dans son sein toutes les sciences et les ayant toutes engendrées, concentrée aujourd'hui sur ces deux grands problèmes, qui composent son domaine exclusif: l'étude de l'intelligence divine et celle de l'intelligence humaine; avec ses deux principes, en lutte sans cesse sous tant de formes diverses; l'esprit et la matière ou l'âme et le corps. Pour être dans le vrai, il faut les accepter tous les deux.

38. Puis la morale théorique, qui n'est autre chose que la conclusion de la philosophie : le précepte déduit de la vérité; la science des devoirs de l'homme; avec ses deux principes, toujours en lutte aussi sous des formes diverses: le juste et l'utile; et leur opposé, l'injuste et le nuisible. Pour être dans le vrai, il faut pareillement les accepter tous les deux.

39. Enfin, la morale d'observation, d'expérimentation pratiques, enseignant, non pas ce qui se doit faire, mais ce qui se fait; histoire du moral humain, qui met à nu le cœur de l'homme et nous le montre sur cette pente fatale: le penchant, le vice, le crime; étude qu'il est nécessaire de faire pour la science du droit, sur toute l'humanité; pour la législation, sur le peuple à qui cette législation est destinée; pour la jurisprudence, sur les personnes en cause dans chaque affaire.

40. Quant aux sciences physiques sur l'homme, elles nous of friront comme directement auxiliaires pour le droit en général et pour le droit pénal en particulier :

En première ligne, la physiologie, mieux nommée biologie, ou la science du phénomène de la vie, qui donne au droit des enseignements nécessaires sur les phases diverses par lesquelles passe l'homme dans le cours de sa vie, sur les lois suivant lesquelles il naît, se nourrit, se développe, se reproduit, se dégrade et meurt; sur les relations de ces vicissitudes physiques avec les vicissitudes morales; et enfin qui intéresse plus particulièrement le droit pénal par celles de ses parties qui traitent des phéno

mènes intellectuels, des instincts et des passions, servant ainsi de transition des sciences morales aux sciences physiques sur l'homme. 41. En seconde ligne, la phrenologie, science encore contestée, à l'état d'enfantement, qui n'est qu'un système particulier de physiologie du cerveau, posée sur cette donnée que le cerveau n'est pas un seul organe, mais qu'il se divise en parties diverses correspondant aux diverses facultés intellectuelles et morales de l'homme. La science du droit pénal doit y recourir, ne fût-ce, sans parler des travaux de dissection morale que cette école a faits à propos de la dissection physique qu'elle tentait, ne füt-ce que pour examiner cette prétention que l'homme serait poussé fatalement, matériellement au crime, de telle sorte que toute peine serait une injustice. Les théories et les expérimentations même des fondateurs et des maîtres de la phrénologie, loin d'être favorables à une telle prétention, la condamnent; elles servent à mieux démontrer l'existence du libre arbitre et par conséquent de la responsabilité de l'homme, la puissance de ce libre arbitre pour dominer les penchants vicieux, et enfin l'influence salutaire. de l'éducation et de la législation sur ces penchants.

42. En troisième lieu, la médecine légale, qui considère l'homme, non pas à l'état sain, en sa condition normale, mais dans les altérations que cette condition a pu éprouver; non pas afin de guérir, mais afin de signaler les moyens de prévenir le mal, ou afin de constater ce mal quand il est arrivé. Le pouvoir législatif pour la confection de la lui, le pouvoir exécutif pour l'administration, le pouvoir judiciaire pour la solution des affaires, ont souvent besoin des enseignements de cette science; ce qui devrait conduire, selon nous, à la diviser en ces trois spécialités distinctes médecine législative, médecine administrative ou gouvernementale, et médecine judiciaire. C'est plus particulièrement dans les affaires de droit pénal que le recours à l'assistance de la médecine judiciaire est fréquemment nécessaire. Le criminaliste devrait en cultiver l'étude plus qu'il n'est d'usage de le faire en France, non pas pour substituer son demi-savoir à celui des hommes de l'art, mais pour apprendre à mieux interroger la science, à mieux comprendre, à mieux apprécier ses réponses et à y suppléer en cas de nécessité.

43. Il y a entre les sciences morales et les sciences physiques sur l'homme, dans leurs rapports avec le droit, cette grande différence que le droit est dominé par les premières; il en dérive, il y prend sa source; tandis qu'il ne s'adresse aux secondes que comme à des auxiliaires, pour leur demander, sur certains points, le tribut de leur enseignement.

44. Quant aux sciences sociales, en tête de toutes se place le droit dans son ensemble. Il est inutile de dire comment il se relie à la spécialité du droit pénal, puisque la pénalité intervient comme sanction dans toutes les parties quelconques du droit.

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45. Puis vient l'économie politique, qui a le même sujet que le droit, l'homme en société; et le même objet, la richesse: car richesse, selon l'expression économique, ou choses, selon l'expression juridique, c'est tout un. Avec cette première différence toutefois, que l'objet immédiat de l'économie politique, c'est la richesse; tandis que l'objet immédiat du droit, ce ne sont pas, vrai dire, les choses, mais bien les actions ou les inactions de l'homme, lesquelles, à leur tour, ont les choses pour objet. Avec cette seconde différence plus caractéristique encore que la science du droit étudie les rapports de l'homme en société pour y déterminer les cas dans lesquels l'un peut exiger d'un autre une action ou une inaction, c'est-à-dire les lois de la conduite exigible de l'homme; tandis que l'économie politique les étudie pour voir comment se produit, se distribue, se consomme la richesse, et pour arriver ainsi à connaître la loi de ces phénomènes. De telle sorte que, quoique semblables dans leur sujet et dans leur objet, le droit et l'économie politique diffèrent notablement dans leur but.

Le précepte positif du droit et surtout la sanction pénale courent grand risque de s'égarer et de se mettre en opposition directe avec les conditions du bien-être social, comme cela est arrivé trop souvent, si, dans les matières qui touchent à la production et à la distribution de la richesse, ils ne s'inspirent pas aux vérités de la science économique. Il y a donc entre le droit et l'économie politique une affinité nécessaire, qui se fait sentir jusque dans la spécialité du droit pénal et qui a laissé des traces dans l'histoire de cette spécialité : Beccaria, Filangieri, Bentham, Romagnosi, Rossi, ont été à la fois des criminalistes et des économistes distingués.

46. La statistique marchait ordinairement comme un appendice de l'économie politique; mais de nos jours elle a pris plus d'extension. On pourrait la définir avec quelque vérité : « les mathématiques des sciences morales et sociales. » De toutes les parties du droit, c'est le droit pénal qui en peut tirer le plus d'utilité; car parmi les phénomènes moraux, c'est le désordre et surtout le crime qui donnent le plus de prise à ses calculs. L'étude de l'homme sous le rapport des violations du droit et des causes diverses qui peuvent influer sur ces violations; plus, l'épreuve des institutions: tels sont les deux points les plus importants sur lesquels le criminaliste ait des lumières à tirer de la statistique.

47. A la suite des sciences sociales se range une série de notions auxiliaires qui ne constituent pas, à proprement parler, une science, parce qu'on n'y trouve pas la connaissance de lois ou vérités primordiales, mais seulement celle de faits accomplis ce sont les diverses notions historiques :

L'histoire générale et l'histoire particulière des peuples; plus spécialement celle du peuple dont il s'agit de faire, d'étudier ou l'appliquer la législation;

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