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classifications diverses, les observations générales dont chacune de ces classifications peut être susceptible : sauf à réduire toujours, pour le juge, la conclusion aux points que nous avons signalés : à savoir, l'état soit de la raison morale, soit de la liberté, soit des autres parties de l'intelligence, soit de la sensibilité de l'agent, dans l'acte poursuivi.

En somme, le principe de droit, en semblable matière, est simple et bien arrêté : ce qu'il y a de douteux et de difficile à vérifier, dans chaque cause, c'est le point de fait.

311. Les médecins légistes font observer que, parmi les défectuosités ou les perturbations affectant les facultés de l'âme, les unes sont innées, congéniales, c'est-à-dire apportées par l'homme dès sa naissance, tandis que d'autres ne surviennent qu'après coup. Innées ou postérieurement survenues, la distinction est utile sans doute pour la constatation et pour l'appréciation en fait de ces affections; mais elle ne change rien au principe de droit sur l'imputabilité et sur la culpabilité.

312. Ils font également cette distinction, que les unes constituent, par elles-mêmes, un état principal, une sorte particulière de maladie, tandis que d'autres, comme par exemple le délire occasionné par certaines fièvres, ne sont que le résultat accessoire, l'indice, le symptôme de quelque autre maladie ou affection principale. Mais, importante en fait, cette distinction ne change rien non plus au principe de droit, puisqu'il suffit que l'absence ou la perturbation des facultés ait existé au moment de l'acte pour qu'elle produise son effet en ce qui concerne la question d'imputabilité et de culpabilité.

313. Enfin nous en dirons autant de cette autre observation médicale, que parmi les affections mentales il en est qui se présentent avec le caractère de l'absence, de l'affaiblissement, de l'atonie des facultés, tandis que d'autres offrent celui d'une perturbation, d'un dérangement, d'un désordre: impuissance dans un cas, perversion dans l'autre sauf les différences de fait, quant à notre question de droit la conclusion est la même.

314. La langue de la médecine judiciaire ne paraît pas encore bien arrêtée, bien concordante entre les auteurs, quant à la dénomination de ces diverses affections. Les mots de folie, d'aliénation mentale, ont une certaine généralité peu déterminée. Mais si nous entrons dans les distinctions de détail, nous mettrons à part, dès l'abord, comme peu susceptibles de difficultés au point de vue du droit, les quatre cas principaux que la médecine qualifie des noms d'idiotie (ou idiotisme), imbécillité, démence ou manie. En faisant observer, toutefois, qu'il faut bien se garder d'entendre ces expressions ainsi employées comme elles peuvent être entendues vulgairement dans la conversation ou même dans quelques textes de loi. Elles ont, en médecine légale, une valeur technique et

consacrée.

Les deux premières, l'idiotisme et l'imbécillité, désignent un état d'avortement des facultés intellectuelles et morales, total dans l'idiotisme, moins complet et susceptible de degrés divers dans l'imbécillité. La troisième, la démence, désigne un état d'épuisement ou d'affaiblissement plus ou moins étendu de ces mêmes facultés. Qui dit avortement, dit un état inné : l'idiot, l'imbécile ont toujours été tels. Qui dit épuisement, affaiblissement, dit un état survenu après coup: l'homme en démence a joui de ses facultés; mais des maladies énervantes, des excès qui épuisent, ou d'autres causes analogues, quelquefois le seul effet de la vieillesse, les ont annihilées ou presque éteintes en lui. Ce sont trois affections. mentales qui procèdent par impuissance, par atonie. On voit que le mot démence, dans cette acception médicale, est bien loin d'avoir le sens général dans lequel nous sommes habitués à l'employer communément.

Quant à la quatrième de ces expressions, la manie, elle désigne un état général de désordre, de perturbation des facultés, étendu à toute sorte d'objets, procédant non par atonie, par affaiblissement, mais par excitation, par perversion: délire variable, multitude d'idées fausses et incohérentes, illusions des sens, hallucinations, et quelquefois raisonnement apparent, assis et conduit avec beaucoup de suite sur ces bases mensongères ou extravagantes. 315. Nous disons qu'en droit ces quatre cas principaux ne souffrent pas de difficulté, et ne demandent pas qu'on y insiste : dans l'idiotisme, dans la démence complète, dans la manie, il n'y a pas d'imputabilité. Quant à l'imbécillité, et quant à la démence incomplète, comme elles peuvent offrir du plus ou du moins, la conséquence de droit n'est pas absolue, elle dépendra de l'étendue de l'altération des facultés : il sera possible, à la rigueur, suivant le degré de ces affections et suivant les circonstances, qu'on doive juger que dans tel cas donné l'imputabilité reste; mais la culpabilité en sera toujours considérablement diminuée, ou même réduite aux seules conséquences civiles pour la réparation du dommage.

316. Nous n'insisterons pas non plus sur les cas de délire, d'absence de la raison, d'entraînements irrésistibles, et quelquefois d'actes machinaux produits occasionnellement dans certaines maladies, telles que la rage, la fièvre cérébrale, l'épilepsie, la catalepsie, l'hypocondrie et autres semblables. Le fait constaté, s'il y a eu absence soit de la raison morale, soit de la liberté, il n'y a pas d'imputabilité. - Mais il pourrait se faire que, sans aller jusque-là, la maladie n'eût occasionné qu'une irritabilité, qu'une susceptibilité extrêmes, désordre qui porterait principalement non sur la raison morale ni sur la liberté, mais sur la sensibilité; et qui dès lors laisserait subsister l'imputabilité, en se bornant à diminuer la culpabilité.

317. La grossesse se range dans la catégorie de ces états anor

maux qui peuvent amener occasionnellement un dérangement des facultés, quelques sollicitations instinctives, quelques penchants difficiles à combattre vers des actes susceptibles d'être incriminés. La conséquence de droit est toujours la même : pas d'imputabilité s'il y a eu absence soit de la raison morale, soit de la liberté; diminution de la culpabilité si ces facultés n'ont été qu'amoindries dans leur exercice par le désordre, par la perversion de la sensibilité. Néanmoins, tout en constatant qu'il s'en est vu des exemples, les médecins légistes s'accordent à reconnaître qu'on doit se montrer fort difficile pour admettre la réalité de ces prétendues sollicitations irrésistibles produites par l'état de grossesse, à moins que d'autres indices d'aliénation ou de désordre mental ne viennent s'y joindre.

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318. Les quatre cas suivants, la monomanie, le somnambulisme, l'ivresse et le surdi-mutisme, présentent, quant à la question de droit elle-même, matière à un peu plus d'hésitation, et doivent attirer particulièrement l'attention du criminaliste.

319. Il peut se faire que le désordre, la perversion des facultés, au lieu d'être général, comme dans la manie, ne paraisse exister que relativement à certains points ou à un seul, ne se manifeste qu'à l'occasion de quelques idées dominantes ou même d'une seule ;

hors ce

telle sorte qu'en dehors de ce point ou de cette idée, il semble que l'homme conserve et exerce régulièrement la plénitude de ses facultés : il est dit alors monomane, et cette sorte d'aliénation mentale, monomanie. On sent déjà combien augmente, en pareille situation, pour le médecin légiste et pour le juge, la difficulté de vérifier le désordre réel des facultés et la part que ce désordre a pu avoir dans l'acte poursuivi. Toutefois ce ne sont là que des difficultés dans l'appréciation de fait; car supposez constatées la monomanie et son influence dans l'acte poursuivi, la conclusion légale ira de soi. Mais s'il arrive que l'idée dominante et exclusive soit précisément celle du crime lui-même, et que, crime, toutes les facultés paraissent fonctionner à l'état normal? S'il arrive que, poussé comme par une force intérieure, par des visions, par des hallucinations, vers le meurtre, vers l'incendie, vers le vol à commettre, cet homme conserve cependant sa raison morale, qui lui montre l'horreur d'un tel fait et qui tend à l'en détourner? S'il arrive qu'il s'établisse alors une lutte terrible et secrète entre la raison qui s'oppose et l'impulsion fatale et pervertie qui revient, qui obsède, qui opprime, qui subjugue? Si, dans cette lutte, la liberté est détruite, la raison succombe, et qu'après qu'elle a succombé il semble qu'elle se fasse complice elle-même de l'action et qu'elle aide, avec toutes les facultés de l'intelligence, à la préparer, à en assurer le succès et à l'exécuter? Combien plus grande n'est pas la difficulté! - Nous n'hésitons pas cependant à dire, en droit, que si un pareil état est constaté d'une manière certaine l'imputabilité s'évanouit, non pour absence

de raison morale, si l'on veut, mais pour absence de liberté. Seulement, dans la jurisprudence pratique, tandis que les médecins légistes, entraînés par leurs préoccupations professionnelles, se montreront peut-être enclins à voir facilement des indices de semblables affections, nous voulons que le juge de la culpabilité y apporte, au contraire, une extrême réserve, de peur d'ouvrir la porte à l'impunité du crime, sous prétexte d'obsessions maladives et d'asservissement de la liberté là où il n'y aura eu que les obsessions du vice et les perversités de la passion.

320. Nous ne parlerons des actes commis durant le sommeil, en état de somnambulisme, que parce que, sur la foi d'anciennes distinctions faites jadis par certains criminalistes, il s'est trouvé encore des écrivains modernes pour dire que de tels actes tomberaient sous le coup de la loi pénale s'il était prouvé qu'ils fussent la conséquence de préoccupations, d'inimitiés ou de passions antérieures, en quelque sorte l'exécution de pensées ou de projets conçus en état de veille et réalisés durant le sommeil : opinion que nous considérons comme n'étant pas même soutenable en droit. En effet, les pensées, les simples projets de la veille échappent par eux-mêmes à l'action pénale; et quant à la réalisation durant le sommeil, comment pourrait-elle être imputable, étant faite dans un état où l'homme n'a pas la conscience de lui-même et ne dirige pas volontairement l'exercice de ses facultés? L'hypothèse est, du reste, une rareté telle, qu'elle est au fond peu sérieuse pour la pratique (1).

321. Bien different des cas qui précèdent est, en droit, celui de l'ivresse, et les motifs de la différence tiennent, non pas à ce que le trouble des facultés est ici passager, se dissipant au bout d'un certain temps, douze ou quinze heures au plus, mais bien à ce que d'une part la cause en est communément volontaire, pour ainsi dire à la disposition de l'homme et reprochable en elle-même; tandis que d'autre part le trouble n'est pas tel ordinairement qu'il détruise en entier l'usage de la raison et de la liberté : il offre, au contraire, une multitude de degrés divers, dans lesquels l'exercice de ces facultés, quoique plus ou moins altéré, continue de subsister. Le criminaliste a donc à examiner à la fois la cause et le degré de l'ivresse.

322. 1o L'ivresse est-elle accidentelle, sans la volonté ni la faute de l'agent il aura été enivré à son insu par le fait malintentionné d'un tiers, par des substances ou par des vapeurs dont il ne se défiait pas, peut-être en élaborant ces substances, en travaillant au

(1) On en cite néanmoins quelques exemples, et nous lisions, il n'y a pas longtemps encore, dans les journaux, comme se présentant devant les tribunaux de Naples, le fait suivant: Un mari rêve, durant la nuit, qu'il surprend sa femme en flagrant délit d'adultère, et saisissant, dans son rêve, une arme placée près du lit, il tue sa femme endormie tranquillement à ses côtés. Certainement, les faits ainsi admis et supposés prouvés, il y a un grand malheur, mais pas d'imputabilité.

milieu de ces vapeurs? Nous rentrons dans la règle commune : l'ivresse complète, c'est-à-dire celle qui détruit en entier l'usage de la raison et la direction de la liberté, détruit par cela même toute imputabilité; et l'ivresse partielle, c'est-à-dire celle qui laisse subsister cet usage quoique plus ou moins altéré, diminue plus ou moins la culpabilité, suivant le degré de l'altération,

323. 2° L'ivresse est-elle provenue de la faute de l'agent: imprudence, laisser-aller, intempérance occasionnelle en dehors de ses habitudes, ou bien intempérance habituelle, vice permanent d'ivrognerie? Même dans ce cas, si l'ivresse est complète nous ne croyons pas qu'aux yeux de la science rationnelle il puisse y avoir imputabilité pour les délits que constitueraient les faits commis durant une telle ivresse: comment en serait-il ainsi puisqu'il n'y avait dans ces faits ni usage de la raison ni direction de la liberté? Mais, dira-t-on, le fait seul de l'ivresse en cas pareil, surtout de l'ivresse par habitude, est coupable; l'ivrogne n'ignore pas l'état où il se met par ces sortes d'excès et la nature dangereuse des actes auxquels il peut alors se trouver matériellement entraîné. D'accord: il est incontestable que le fait d'ivresse lui est imputable; qu'il est en faute plus ou moins grave à l'égard de ce fait; que cette faute, ne consistât-elle qu'en une simple imprudence, qu'en une intempérance occasionnelle, à plus forte raison si elle provient d'un vice habituel, suffit pour l'obliger à réparer le préjudice même involontaire qui en a été la suite, car il n'en faut pas davantage pour la culpabilité civile. Il y a plus : la loi pénale peut frapper cette faute d'une peine publique en érigeant le fait d'ivresse, surtout celui d'ivresse habituelle, en un délit sui generis, dont la pénalité pourra être aggravée en considération des suites plus ou moins préjudiciables que ce délit aura eues. Mais notez bien que dans tous ces cas ce sera au fait d'ivresse, ce sera au délit d'ivresse plus ou moins aggravé que s'appliqueront l'imputabilité, la culpabilité civile, la culpabilité pénale, et non pas au crime ou au délit que pourraient constituer par eux-mêmes les faits produits en un pareil état.

Quant à l'ivresse partielle qui n'empêche pas l'imputabilité du crime ou du délit, il se présente, en ce qui concerne la mesure de la culpabilité, deux éléments contradictoires dont il faut également tenir compte d'une part l'altération des facultés, élément incontestable d'atténuation; mais d'un autre côté le vice, l'immoralité de la cause d'où est provenue cette altération, c'est-à-dire de l'intempérance, de l'habitude d'ivresse, élément non moins incontestable d'aggravation. Le juge de la culpabilité devra peser et balancer dans la juste proportion qui reviendra à chacun d'eux ces deux éléments opposés, de même qu'il doit le faire pour toutes les autres nuances des faits, de manière à en faire sortir en définitive cette appréciation de la culpabilité individuelle qu'il est chargé de faire dans chaque cause. On conçoit que c'est ici que viendront se placer dans la balance le plus ou moins d'altération des facultés,

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