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remarquer. Comme elles sont déduites non pas de la considération du fait en lui-même, mais de l'état moral de l'agent, elles doivent se résoudre dans la pratique en cette autre proposition qui est la vraie, l'agent n'est pas coupable: d'où la conséquence qu'il doit y avoir, pour cause de démence, acquittement, et non pas absolution, ainsi qu'il arriverait dans le cas des articles 159, 191 et 364 du Code d'instruction criminelle. En telle sorte que l'application de notre article, pour tous les cas qui y sont compris textuellement sous le nom de démence, se borne à la déclaration de nonculpabilité et à l'acquittement qui doit s'ensuivre.

340. Ce mot de démence n'est pas employé en notre article dans le sens technique et spécial de la médecine légale (ci-dessus, n° 314), ni dans le sens restreint du droit civil (Cod. Nap., art. 489), où il se trouve, à propos de l'interdiction, en opposition avec ceux d'imbécillité et de fureur. Il est pris dans son acception générale et vulgaire, comme comprenant tous les cas d'absence de raison (dementia) qui peuvent être qualifiés de folie, d'aliénation mentale. Il n'est pas question non plus ici, comme en matière d'interdiction (même art. 489 Cod. Nap.) d'un état habituel; d'accord avec la science rationnelle, notre article dit : « Au temps de l'action (ci-dessus no 284 et 328); une démence même instantanée, si elle a existé à ce moment, s'y trouve donc comprise.

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341. Cela étant,

l'article, sous ce nom de démence, l'idiotisme, l'imbécillité comnous n'hésitons pas à ranger dans le cas de plète, la démence complète telle que l'entendent les médecins légistes, la manie, la monomanie, et les délires ou aljénations instantanées produites par les maladies, nous contentant de renvoyer à ce que nous en avons déjà écrit au point de vue rationnel, ci-des

sus, nos 314 et suiv.

342. Mais nous n'en dirons pas autant du somnambulisme, de l'ivresse, du surdi-mutisme; le rédacteur de l'article 64 n'ayant pas voulu certainement y faire allusion par le mot de démence, nous considérons notre Code pénal comme muet sur ce point. 343. Il n'a rien dit non plus des cas où il s'agirait de trouble lité pénale, se borneraient à en abaisser le degré. ou d'altération mentale incomplets, qui, sans détruire la culpabi

344. Comment suppléer dans notre jurisprudence pratique à ces

lacunes de la loi?

345. Quant aux cas de non-culpabilité, si l'on observe nous, dans toutes les juridictions, soit de police, soit correctionnelle, soit criminelle, le tribunal ou le jury ont à décider suivant que chez leur conscience si l'inculpé est ou n'est pas coupable, et que même devant le jury cette question de culpabilité n'est plus divisée comme elle l'était autrefois, on en conclura que toutes les fois que le tribunal ou le jury estimera en sa conscience qu'il y a eu une altération des facultés morales suffisante pour

chez l'agent

faire disparaître la culpabilité pénale, la déclaration de non-cul

pabilité et l'acquittement qui en est la suite, bien qu'il ne s'agisse pas d'une espèce comprise dans les termes de l'article 64, pourront avoir lieu en vertu des seuls principes de justice générale; de telle sorte que l'effet, en définitive, sera le même. Seulement la non-culpabilité ne pourra pas dans cette hypothèse se motiver en droit sur les termes de l'article 64, comme elle le pourrait s'il s'agissait d'un cas prévu par cet article; elle devra rester uniquement enfermée dans le pouvoir appréciateur du juge de la culpabilité. C'est ainsi que notre pratique judiciaire se prête entièrement sur ce point à l'application des principes de la science rationnelle, et que la disposition de notre Code pénal, bien qu'incomplète, n'y fait pas obstacle (ci-dessus, no 331).

346. Quant aux cas d'atténuation de la culpabilité et de l'abaissement de peine qui doit s'ensuivre, point à l'égard duquel le juge est forcément enfermé dans les dispositions positives de la loi, ainsi que nous l'avons déjà expliqué ci-dessus, no 331, la latitude entre le maximum et le minimum, quand il en existe, ou la déclaration de circonstances atténuantes sont, en notre jurisprudence pratique, les seuls moyens d'y pourvoir.

347. Il suit de ces observations que pour résoudre dans cette jurisprudence pratique les problèmes déjà examinés par nous en théorie, nous n'avons qu'à dire que partout où suivant la science. rationnelle l'imputabilité ou même seulement la culpabilité pénale disparaît, nos juridictions doivent déclarer l'inculpé non coupable; que partout où il y a imputabilité avec diminution seulement de la culpabilité pénale, elles doivent recourir aux atténuations de pénalité que peuvent comporter soit l'échelle du maximum au minimum, quand il en existe, soit la déclaration de circonstances

atténuantes.

348. C'est ainsi que nous résoudrons, en conformité, autant que possible, des principes rationnels déjà par nous exposés, ce qui concerne le somnambulisme (n° 320) (1), l'ivresse (no 321 et suiv.) (2), le surdi-mutisme, à l'égard duquel ce qui manque à no

(1) L'ancienne jurisprudence voyait une disposition applicable aux noctambules ou somnambules dans ce texte du droit canonique: Si furiosus, aut infans, seu dormiens, hominem mutilet, vel occidat, nullam ex hoc irregularitatem incurrit.» (Clementin., liv. 5, tit. 4, constitution de Clément V.)

réfèrent.

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(2) Ce cas de l'ivresse, si fréquent en fait, a été fort souvent et fort diversement agité par les criminalistes de toutes les époques. Quelques textes de droit romain s'y Nous avons cité, ci-dessus, p. 136, note 3, ce passage du Grand Coustumier, d'après lequel les peines sont allégées quand aucun excès est faict par vne personne folle ou yure.» Suivant l'ordonnance de François fer, du dernier août 1536, ch. 3, art. 1:... Est ordonné que quiconque sera trouvé ivre soit incontinent constitué et retenu prisonnier au pain et à l'eau pour la première fois, et si secondement il est repris, sera, outre ce que devant, battu des verges ou fouets par la prison, et la troisième fois fustigé publiquement; et s'il est incorrigible, sera puni d'amputatiou d'oreille, et d'infamie, et de bannissement de sa personne.... Et s'il advient qué par ébriété ou chaleur de vin les ivrognes commettent aucun mauvais cas, ne leur sera pour cette occasion pardonné, mais seront punis de la peine due audit délit, et davantage

tre loi ne pourra être ainsi qu'imparfaitement suppléé (no 327) (1), l'ignorance, les vices d'éducation et l'effet des passions (no 333) (2). En faisant observer toutefois que les acquittements ou même les diminutions de peine qui seraient textuellement motivés en droit sur de pareils faits, par exemple sur l'ivresse, seraient irréguliers et pourraient encourir cassation comme créant un cas de justification ou d'excuse non prévu par la loi (ci-dess. no 345).

349. De même, bien que l'article 64 ne parle que de crime et de délit, nous n'hésiterons pas à appliquer les mêmes solutions aux cas de contraventions de simple police, en ce sens que l'homme qui les aura commises en état de démence devra être acquitté en vertu des pouvoirs généraux du juge; et cela même quand il s'agirait de ces contraventions matérielles dans lesquelles la loi à voulu punir la simple faute non intentionnelle, parce qu'à l'égard de l'homme en démence les conditions de l'imputabilité elle-même font défaut, et qu'il ne saurait y avoir faute quelconque de sa part (3).

350. Nous résoudrons aussi par les principes rationnels ce qui concerne les intervalles lucides (4), et l'obligation de la preuve (ci-dessus no 329 et 330).

351. Quant aux précautions administratives ou judiciaires à prendre contre les aliénés dangereux, nous nous contenterons de renvoyer aux lois suivantes : Loi du 16-24 août 1790 sur l'organisation judiciaire, qui met au nombre des objets de police confiés à la vigilance et à l'autorité des corps municipaux, « le soin d'obvier ou de remédier aux événements fàcheux qui pourraient être occasionnés par les insensés ou les furieux laissés en liberté (tit. XI, art. 3, 6°); » Code pénal, article 475, 6°, qui punit d'une amende de police « ceux qui auraient laissé divaguer des fous

pour ladite ébriété, à l'arbitrage du juge. Laverdy ajoute, dans son Code pénal, après la citation de cette ordonnance: Il est fâcheux que l'usage ait laissé tomber en désuétude une loi aussi salutaire.. Certains codes étrangers font de l'ivresse, et surtout de l'ivresse habituelle, un délit spécial. Notre législation n'a pas de semblable disposition en droit commun. Suivant les lois militaires, c'est un délit contre la discipline. (L. 22 août 1790, tit. 2, art. 2.)

(1) Le Code pénal de Sardaigne (art. 97) assimile le sourd-muet au mineur de quatorze ans, et veut que la question de discernement soit posée.

(2) Nous remarquons dans la Somme rural de BOUTEILLER (liv. 1, tit. 29, note e) cette annotation de Charondas le Caron: Mais les delicts qui se commettent par douleur ou collere sont plus doucement punis, d'autant que sont passions de la fragilité humaine, qui offusquent la raison, comme Ciceron monstre en plusieurs lieux. »

(3) On peut voir par là ce qu'il y a d'inexactitude dans cette proposition, souvent répétée depuis, de l'orateur du gouvernement, qui motivait l'article 64 en disant : Tout crime ou délit se compose du fait et de l'intention or, dans les deux cas dont nous venons de parler (démence ou contrainte), aucune intention criminelle ne peut avoir existé de la part des prévenus. Ce n'est pas de l'intention qu'il s'agit; il s'agit des conditions mêmes de l'imputabilité de telle sorte que, même dans le cas où la loi panit les négligences, les omissions non intentionnelles, s'il y a eu démence ou contrainte il ne saurait y avoir de peine.

(4) L'ancienne jurisprudence citait, à cet égard, dans le droit romain, la loi 14, AU DIGESTE, liv. 1, tit. 18, De officio præsidis, fragment de Macer.

ou des furieux étant sous leur garde; » Surtout la loi spéciale du 30 juin 1838 sur les aliénés, avec l'ordonnance réglementaire du 18 décembre 1839; - Et enfin les dispositions du Code Napoléon sur l'interdiction, notamment l'article 491, qui donne au procureur impérial le droit de provoquer l'interdiction dans le cas de fureur (1).

352. La question de la démence n'étant pas aujourd'hui posée ni résolue à part dans notre procédure pénale, mais se trouvant comprise dans la question générale de culpabilité, nos statistiques criminelles officielles ne contiennent pas de renseignements à cet égard. Quelques médecins, voués à l'étude de cette spécialité, ont pu chercher à en réunir un certain nombre par leurs propres observations; mais en fait de statistique les travaux particuliers faits. isolément sur quelque point limité et sans pouvoir de contrôle suffisant, ne sauraient, avec quelque soin qu'ils aient été exécutés, offrir l'exactitude et l'ampleur désirables pour conduire à des conclusions certaines. On n'en lira pas moins avec intérêt, dans les Annales d'hygiène et de médecine légale, certains articles publiés à ce sujet; notamment un mémoire de M. le docteur Brierre de Boismont, sur la nécessité d'isoler les aliénés vagabonds et criminels dans un asile spécial, et un autre mémoire de M. le docteur Vingtrinier, médecin en chef des prisons de Rouen, sur les aliénés dans les prisons et devant la justice (2).

§ 4. Oppression de la liberté de l'agent quant à l'influence de cette oppression
sur l'imputabilité et sur la culpabilité.

1° Suivant la science rationnelle,

353. Les altérations mentales dont nous venons de traiter sont des états organiques provenant de vices ou de dérangements intérieurs qui atteignent les facultés psychologiques elles-mêmes. Mais il se peut faire que l'homme étant doué de toutes ses facultés, ayant en lui et la raison et la liberté morales, une force extérieure vienne plus ou moins opprimer cette liberté et l'empêcher d'en faire usage. La liberté morale existe, l'exercice en est arrêté ou faussé par un obstacle extérieur.

354. Oppression intérieure ou extérieure, peu importe; s'il y a eu absence de liberté chez l'agent il n'y a pas d'imputabilité; s'il y a eu diminution de liberté il y a diminution de culpabilité : le principe général est toujours le même.

(1) Nous adoptons l'avis de ceux qui pensent que le mot fureur doit être interprété ici dans le sens de folie dangereuse car le danger, même très-grand, peut exister, quoiqu'il n'y ait pas chez l'aliéné l'excitation ou l'emportement qualifié de fureur. Nous savons d'ailleurs que cette opposition tripartite de l'art. 489 Cod. Nap. entre l'imbécillité, la démence et la fureur, est bien loin d'être irréprochable au point de vue de la médecine judiciaire.

(2) Numéros d'octobre 1852 et de janvier 1853,

355. Ces forces extérieures peuvent être ou celles de l'homme, quand l'oppression de la liberté provient du fait d'un agent humain, ou celles de la nature, quand elle est produite par l'effet même des forces physiques qui sont en jeu dans les phénomènes naturels ici-bas. Examinons d'abord le premier cas, le second viendra ensuite.

356. La violence exercée contre nous par un agent humain peut produire une contrainte toute physique, toute matérielle; quelqu'un vous force, en conduisant violemment votre main, à tracer les caractères d'une signature que vous ne voulez pas tracer, à porter à un autre un coup de poignard que vous ne voulez pas porter, à répandre dans un breuvage une substance vénéneuse que vous n'y voulez point répandre si la résistance vous est impossible, si vous ne concourez à l'acte que comme instrument, comme victime de la force supérieure qui vous fait mouvoir, c'est le cas de dire de vous: «Non agit, sed agitur, Vous êtes patient et non pas agent: il n'y a pas d'imputabilité. Le cas se présentera rarement quant aux délits qui consistent à faire; il est possible cependant à supposer dans quelques-uns; il l'est surtout dans les délits d'inaction, comme si au jour d'un service public qui m'est commandé sous la sanction d'une peine, celui de juré par exemple, je suis séquestré, retenu violemment, mis de force, et contre mon gré, dans l'impossibilité de m'en acquitter.

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357. Cette première hypothèse n'offre aucun doute. Mais que décider s'il ne s'agit que d'une contrainte morale, c'est-à-dire de celle qui résulte de la menace d'un mal imminent qui pèse sur nous, et qui nous met dans l'alternative ou de subir ce mal, ou de faire tel mauvais acte qu'on veut nous imposer? En examinant la situation, on verra que la liberté n'est pas ici entièrement opprimée, comme dans le cas de contrainte physique; elle peut encore s'exercer dans le choix limité qui nous est laissé : ou le mal à subir, ou l'acte à faire, et c'est dans ce sens, si nous nous déterminons pour cet acte, qu'on pourra dire avec les Stoïciens : « Voluntas coacta voluntas est. » Mais restreinte dans une telle alternative la liberté est-elle suffisante pour que cet agent soit punissable? On sent qu'il y a des distinctions à faire. Suivant la philosophie stoicienne et les écrivains qui en ont appliqué ici les principes, jamais cette violence morale ne saurait, même en cas de péril de mort, exclure la pénalité, l'homme devant se déterminer à mourir plutôt qu'à commettre une action mauvaise. Cependant comment qualifierions-nous une si courageuse détermination? Nous l'appellerions force, grandeur d'ame; nous la décorerions du nom véritable de vertu (virtus); nous admirerions celui qui en aurait été capable, et nous l'en récompenserions au moins dans sa mémoire. Or la loi peut-elle punir pour n'avoir point eu la force de s'élever à cette hauteur morale? Peut-elle imposer des actes de vertu sous la sanction d'une peine? N'est-elle

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