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pour vice de consentement (Cod. Nap., art. 1111 à 1115), articles dans lesquels le législateur s'explique formellement sur le mal menaçant la fortune (art. 1112), sur les violences exercées contre une personne à laquelle nous serions attachés par des liens dont la loi détermine la nature et le degré (les conjoints, descendants ou ascendants, art. 1113), sur la crainte révérentielle (art. 1114). Mais nous ferons observer qu'autre est la question civile et autre la question pénale, parce que autre doit être la contrainte suffisante pour nous déterminer, sans culpabilité de notre part, à commettre un crime ou un délit, et autre la contrainte suffisante pour nous déterminer seulement à contracter une obligation. Il faut donc laisser ces articles de la loi civile dans les matières pour lesquelles ils ont été faits, et ne résoudre la question de culpabilité pénale que par les principes propres au droit pénal.

375. Le Code pénal n'ayant aucune disposition sur les cas où la contrainte, sans être suffisante pour faire disparaître entièrement la culpabilité, vient néanmoins l'atténuer, c'est aux remèdes généraux fournis par la latitude entre le maximum et le minimum, ou par la déclaration de circonstances atténuantes, que le juge doit recourir (ci-dessus, no 346).

376. Enfin, bien que l'article 64 ne parle que de crime et de délit, nous n'hésiterons pas à appliquer les mêmes solutions au cas de contraventions de simple police, puisqu'il s'agit des conditions mêmes constitutives de l'imputabilité ou de la culpabilité pénale. Seulement il faut remarquer que s'il s'agissait de ces sortes de délits ou de contraventions dans lesquelles la simple négligence est punie, et que l'inculpé fût en faute antérieurement à la contrainte ou dans les faits mêmes qui ont amené cette contrainte, la culpabilité pourrait rester à sa charge, précisément à cause de cette négligence ou de cette imprudence antérieure, et dans la mesure de cette faute.

§ 5. De l'intention.

10 Suivant la science rationnelle.

377. Nous savons quel rôle joue, en matière de délit, l'intention, c'est-à-dire le fait d'avoir dirigé, d'avoir tendu son action ou son inaction vers la production du résultat préjudiciable constitutif du délit (n° 249 et suiv.).

378. Cette intention peut se rencontrer ou être absente aussi bien dans les délits qui consistent à faire que dans ceux qui consistent à ne pas faire. Le prévenu a blessé quelqu'un; préposé à la garde d'un prisonnier, il l'a laissé s'évader; commandé pour un service public, il y a manqué : tous ces faits peuvent avoir eu lieu de sa part avec ou sans intention de délit, suivant qu'il s'est proposé pour but, dans son action ou dans son inaction, l'accomplissement du délit qui en est résulté, ou qu'il ne l'a pas eu en vue.

On emploie, dans le langage vulgaire, diverses locutions pour désigner cette intention du délit : on dit que le prévenu a commis l'action ou l'inaction à dessein, volontairement, méchamment, sciemment, et autres semblables expressions. Le terme consacré par les anciens criminalistes était celui de dol (dolus malus); terme emprunté au droit romain, mais ici peu convenable, parce qu'il s'y trouve dépaysé, détourné qu'il est des affaires civiles, il figure en un autre sens. Le plus simple et en même temps le plus exact pour la science rationnelle est celui d'intention.

379. Il ne faut pas confondre avec l'intention de commettre le délit, le motif qui détermine l'agent à le commettre, ou, en d'autres termes, le but plus éloigné, la fin qu'il se propose d'atteindre en le commettant. De même qu'on peut faire de bonnes actions par des motifs intéressés, par dissimulation, par astuce, de même les motifs qui poussent, qui déterminent au délit peuvent être plus ou moins honteux, plus ou moins condamnables, plus ou moins dignes d'excuse; on a vu commettre des actes coupables, même de grands crimes, tels que l'assassinat, par l'égarement ou la surexcitation de sentiments généreux, pour atteindre une fin désirable et honorable qu'on se propose. Bien que ces considérations ne restent pas sans influence sur la mesure de la culpabilité individuelle et puissent en nuancer les degrés, elles ne sauraient faire disparaître la culpabilité absolue. Le crime est toujours crime, et, pas plus en droit pénal qu'en morale, « la fin justifie le moyen, » n'est une maxime qui soit admissible (ci-dessus, no 333).

380. Nous avons expliqué déjà (n° 252 et suiv.) comment l'intention n'est pas au nombre des éléments constitutifs de l'imputabilité, mais entre seulement comme une condition fort importante dans la mesure de la culpabilité. On a l'habitude de dire néanmoins communément qu'il n'y a pas de délit sans intention, que c'est l'intention qui fait le délit. Ces propositions, partout reproduites, dans les ouvrages des criminalistes, dans les exposés des lois, dans les motifs des arrêts, comme dans les dictons traditionnels du Palais, sont inexactes pour être absolues. Il y a en elles une équivoque qui tient encore à la confusion des termes du droit civil avec ceux du droit pénal. L'ancienne jurisprudence qualifiait de délit, en droit civil, tout fait préjudiciable au droit d'autrui commis avec intention de nuire, tandis qu'elle appelait seulement quasi-délit le fait préjudiciable au droit d'autrui commis sans intention, et telle est encore l'acception reçue en notre jurisprudence civile moderne. En ce sens, il est parfaitement vrai de dire qu'il n'y a pas de délit sans intention, que c'est l'intention qui fait le délit, et qu'en l'absence d'intention il n'y a que quasi-délit, puisque telle est la définition même. Pour le droit civil, d'accord: mais le délit pénal n'est pas le délit civil. Des faits préjudiciables commis avec intention peuvent n'être punis d'aucune peine publique, comme des faits préjudiciables commis sans intention peuvent l'être au

contraire. Vous employez le mot dans un sens, moi je l'entends dans un autre malheureuses incertitudes d'un langage scientifique mal fait et sans unité, dangereuses équivoques qui, passant des mots aux idées, faussent celles-ci au moyen de celles-là! - Equivoque à part, la proposition « qu'il n'y a pas de délit sans intention » est fausse en droit pénal, si l'on prend le mot délit pour tout fait puni de peine publique; et la proposition que « c'est l'intention qui fait le délit » est exagérée il y a des cas, en effet, où, l'intention disparaissant, la peine publique cesse d'être appliquée, parce que la culpabilité devient trop faible pour entrainer cette conséquence; mais il y en a d'autres, et ils sont nombreux, dans lesquels le contraire a lieu, c'est-à-dire dans lesquels l'homme est punissable quoique ayant agi ou s'étant abstenu d'agir sans mauvaise intention, parce qu'il est toujours responsable, non-seulement en droit civil, mais aussi en droit pénal, dans la mesure de ce qu'exigent la justice et l'intérêt social combinés, de n'avoir pas fait usage des facultés dont Dieu l'a doué, et de pas avoir employé ces facultés à diriger ou à retenir son activité conformément à l'accomplissement de ses devoirs.

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381. Les criminalistes ont employé spécialement le nom de faute (culpa) pour désigner ce manquement à un devoir commis sans intention d'y manquer, et ils ont ainsi opposé le cas de faute au cas de dol. Mais cette opposition, tirée également du langage du droit civil et restée en usage encore aujourd'hui, n'est cependant bien exacte. En réalité il y faute toutes les fois que nous avons failli à un devoir, que ce soit sans intention et à plus forte raison avec intention d'y faillir, et c'est précisément ce que nous exprimons dans notre langue française, où nous avons consacré comme termes techniques en droit pénal et pour tous les cas, les mots coupable, culpabilité, sans distinguer s'il s'agit de délits non intentionnels ou de délits intentionnels.

382. Ce qu'il y a de vrai cependant, c'est que, toutes autres choses égales d'ailleurs, la faute ou la culpabilité, le manquement au devoir dans les lésions de droit non intentionnelles, est bien inférieure à la culpabilité dans les lésions de droit intentionnelles, parce que n'avoir pas fait usage, pour éviter un mal, des facultés dont nous sommes doués est bien moins grave que d'en avoir fait un mauvais usage en les employant à produire ce mal. Il arrivera souvent que la seule conséquence qui en résultera sera l'obligation de réparer le préjudice: il y aura alors seulement culpabilité civile. Dans d'autres cas néanmoins, cette culpabilité pourra justement mériter l'application d'une peine publique, et constituer par conséquent une culpabilité pénale.

383. Il en sera, à cet égard, des délits non intentionnels comme de tous les délits; c'est-à-dire qu'il y aura lieu à pénalité seulement lorsque les deux conditions de la justice et de l'utilité sociale se rencontreront pour l'exiger (ci-dessus, no 188 et 205). En ti

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rant les conséquences de ces prémisses, on reconnaît que les délits de droit pénal non intentionnels, quoique très-nombreux, sont limités dans certaines catégories. Il faut, pour que la faute non intentionnelle soit érigée en semblable délit, que la nature des faits et des situations nous fasse une obligation envers autrui d'examiner, de prévoir, de prendre des précautions, de songer à agir ou à ne pas agir, de nous être pourvu des connaissances ou de l'habileté nécessaires, et qu'un certain intérêt public, suffisant pour motiver l'emploi d'une peine, y soit engagé. Hors de là, c'est à la conscience s'il n'en est résulté de préjudice que pour nous, ou à la justice civile s'il en est résulté quelque préjudice au droit d'autrui, que le législateur pénal doit abandonner le soin de sanctionner cette loi morale qui veut que l'homme ne laisse pas sans en faire usage au besoin les facultés que Dieu lui a départies. -De telle sorte qu'il est vrai de dire qu'à moins que le contraire ne résulte en droit rationnel de la nature des faits, et en droit positif de la disposition explicite ou implicite de la loi, l'intention est nécessaire pour constituer la culpabilité pénale, et que c'est à cette condition qu'il faut incliner de préférence. Voilà la limite dans laquelle doit être restreint, en droit pénal, le brocard que nous avons rapporté plus haut (n° 380), et ceux qui l'emploient, quoique se servant d'expressions absolues, ne veulent sans doute pas dire autre chose.

384. Si nous cherchons à fixer rationnellement quelques données sur les cas dans lesquels les actions ou les inactions de l'homme, quoique commises sans faute intentionnelle peuvent ètre érigées en délit de droit pénal, nous verrons que ces divers cas, dont le nombre est considérable lorsqu'on entre dans le détail de chaque fait, peuvent se grouper sous certaines idées générales qui les dominent. Ainsi on conçoit : 1° Que les fonctionnaires, les préposés, les citoyens eux-mêmes, lorsqu'ils sont appelés à remplir certains services publics, à faire certains actes, certaines déclarations auxquels se rattache un intérêt général, comme d'apporter leur témoignage en justice, de déclarer une naissance, aient, relativement à ces fonctions, à ces services ou à ces actes, une obligation plus rigoureuse, et puissent être punis pour les manquements, même non intentionnels, aux devoirs qui leur sont imposés à ce sujet; 2° Par une raison semblable, on conçoit que certaines professions qui exigent des garanties, des connaissances ou une habileté spéciales, des précautions à prendre, parce que dans l'exercice qui en est fait des intérêts majeurs peuvent se trouver compromis, soient assujetties à des règlements ayant pour but de sauvegarder ces intérêts, et que les manquements, même non intentionnels, aux prescriptions de ces règlements soient punissables par la loi; -3° A part ces devoirs de fonction, de service public ou de profession, même dans la vie privée, lorsque nous exerçons notre activité, il est des préjudices, l'ho

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micide, par exemple, les blessures dont les suites ne peuvent être d'avance mesurées, l'incendie ou les accidents sur les chemins de fer, qui peuvent avoir des conséquences incalculables, ou autres événements d'une nature tellement grave que nous ne saurions trop user de précautions, de prudence, de prévision, pour éviter de les occasionner, et que si ces malheurs ont lieu par notre faute, quoique sans mauvaise intention de notre part, quelque désolés que nous puissions en être, nous serons punissables pour y avoir donné lieu; Enfin, un intérêt général ou municipal de perception des impôts, de tranquillité, de salubrité, d'ordre et de libre circulation, de conservation des monuments et des voies publiques, des forêts, des eaux, du poisson et du gibier, et tant d'autres semblables spécialités, peuvent nécessiter des règlements en fort grand nombre, qui imposent à notre activité des obligations ou des restrictions dont la violation, même non intentionnelle, sera punissable. -Les mots de négligence, imprudence, oubli, inattention, impéritie, inobservation des règlements, répondent à ces divers cas, et sont des nuances variées de la faute non intentionnelle, laquelle consiste toujours, en définitive, à n'avoir pas fait usage de nos facultés pour empêcher le délit de se produire.

385. Ce genre de faute, même dans les cas où elle est punie, étant beaucoup moins grave que la faute intentionnelle, il en résulte que les peines qui y sont applicables sont nécessairement des peines inférieures, et que, sauf de rares exceptions, motivées par la gravité des circonstances, les délits non intentionnels ne doivent pas être élevés bien haut dans l'échelle de la criminalité.

386. Au cas de faute ou culpabilité soit intentionnelle, soit non intentionnelle, on oppose un troisième cas, celui des faits casuels, de pur accident ou de force majeure, survenus sans que nous ayons aucune faute à nous y reprocher, comme si quelqu'un, en courant rapidement, se jette sur moi violemment et me fait tomber sur un enfant que je blesse. Ces faits, puisque nous sommes moralement étrangers à la cause qui les a produits, n'y ayant figuré que comme instrument passif, ne nous sont pas imputables, et nous n'avons à en répondre ni civilement ni pénalement (1).

387. L'ignorance de certains faits, qui est le défaut de notion de ces faits, ou l'erreur, qui en est la notion fausse, peuvent faire disparaitre l'intention du délit dans des actes dont nous sommes les auteurs volontaires, mais dont nous ne connaissons point la criminalité comme si quelqu'un épouse une femme mariée la croyant libre, ou, croyant administrer une substance bienfaisante,

(1) Ce cas a la plus grande analogie et peut s'identifier quelquefois avec celui de contrainte matérielle, dont il a été traité ci-dessus au n° 356; mais il ne faut pas le confondre avec les cas de contrainte morale par impérieuse nécessité (no 337), dans lesquels l'agent a produit lui-même le mal et l'a produit intentionnellement, mais sous l'empire de la nécessité qui l'opprimait.

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