Images de page
PDF
ePub

1

administre un poison, ou si l'exécuteur des hautes œuvres, trompé dans l'identité de la personne, ainsi qu'il arriva par le dévouement paternel de Loiserolles père, met à mort un autre que le condamné. Dans ce cas la culpabilité constitutive du crime disparaît. - Cependant on conçoit que si l'agent y a mis de la négligence, que si le devoir de sa profession ou la gravité de l'acte lui imposaient l'obligation de faire des recherches ou des vérifications qu'il n'a point faites et au moyen desquelles il lui eût été possible de s'éclairer, il pourrait y avoir de sa part culpabilité au moins civile, et que même la loi pénale pourrait prévoir une pareille faute et la frapper de peine dans les cas graves. - Ce que nous disons de l'ignorance ou de l'erreur sur le fait principal doit, par identité de raison, s'appliquer au cas d'ignorance ou d'erreur sur des faits formant circonstance aggravante de la criminalité comme dans le parricide si le meurtrier ignore que celui à qui il donne la mort est son père, ou dans le crime de viol par un ascendant si l'ascendant ignore que la victime de sa brutalité est sa propre fille. La mesure de la criminalité s'arrête aux faits connus et ne s'étend pas aux faits inconnus par l'agent, sauf l'imputabilité de la négligence, à titre de faute non intentionnelle, dans les cas où il y a lieu.

388. Quant à l'ignorance de droit, on connaît cet adage : « Nul n'est censé ignorer la loi.» Si on le prenait comme exprimant une présomption, on aurait grand tort. Une présomption est une sorte de conséquence logique, tirée, par voie d'induction, du général au particulier, de ce qui a lieu communément au cas spécial dont il est question. Or, le fait général est-il que chacun connaisse toutes les lois ou la majeure partie des lois du pays où il vit? Estce là ce qui a lieu communément, ou n'est-ce pas précisément le contraire? Dans ce nombre infini de lois pénales, tant celles qui composent le Code que celles, en quantité bien plus grande, qui sont en dehors, est-il quelqu'un qui puisse dire, même parmi ceux dont la profession est de les étudier et de les appliquer, qu'il les connaît toutes ou presque toutes? Un voyageur étranger, au moment où il passe la frontière d'un Etat se trouve-t-il illuminé tout d'un coup et instruit de toutes les lois pénales de cet État, lesquelles lui deviennent immédiatement applicables, et cette illumination şe renouvelle-t-elle de législation en législation à mesure qu'il passe de pays en pays? Non certainement. Que signifie donc notre adage? Rien autre chose que ce fait, qu'une fois la loi publiée, et passé un certain délai suffisant pour que chacun soit à même de la connaître ou de s'en faire instruire au besoin, qu'il la connut ou qu'il ne la connût point, on la lui appliquera. Or, comment justifier une pareille manière d'agir en ce qui concerne le droit pénal? Là est la question.

S'il s'agit de crimes ou de délits de droit général, qui sont tels en tous les temps et par tous les pays, la raison qui est en chacun de nous suffit pour nous en faire connaître la criminalité et pour

en rendre le châtiment mérité. Qu'est-il besoin, pour qu'il y ait justice à punir l'auteur d'un meurtre, d'un vol, d'un incendie, de démontrer qu'il connaissait le texte législatif applicable au crime qu'il a commis et la peine édictée par ce texte? La nécessité d'une loi préalable a, comme nous le verrons plus tard, un motif principal, celui d'éviter l'arbitraire; quant à la connaissance, il suffit qu'il ait été possible à chacun de l'acquérir.

S'il s'agit de ces faits qui n'ont qu'une criminalité locale, qui peuvent être prohibés dans un pays ou dans un temps et non dans l'autre, parce qu'ils tiennent à des intérêts, à des situations. ou à des usages particuliers, faits dont la criminalité, du reste, n'est jamais fort élevée dans l'échelle pénale, et qui se rangent pour la plupart au nombre des délits non intentionnels, c'est à chacun à s'informer, à se faire instruire de ce qui est permis ou de ce qui est défendu, lorsqu'il se trouve en quelqu'une des circonstances auxquelles ces lois particulières sont applicables. On ne peut nier qu'ici l'ignorance de la loi, si cette ignorance vient d'un étranger, de quelqu'un qui était difficilement en état d'être informé de la prohibition ou de l'injonction, ne pût, en certains cas, être un motif d'atténuation; mais nous croyons que ce ne sont là que des nuances de la culpabilité individuelle, appréciables seulement par le juge, dans les limites que la loi peut lui laisser pour graduer la peine. Que si on oppose que les lois pénales peuvent être mauvaises et injustes, ce ne sera pas une objection contre ce que nous venons de dire; car alors elles sont mauvaises et injustes aussi bien contre ceux qui les connaissent que contre ceux qui les ignorent. Dans le cas où l'erreur de l'agent n'a porté que sur le genre de peine ou sur la quotité, à plus forte raison n'a-t-il pas à s'en prévaloir. Mais ces raisonnements n'affaiblissent en rien la nécessité qu'il y a pour chacun à ce que toutes les mesures propres à faciliter la connaissance de la loi soient organisées, et à ce que la loi ne devienne obligatoire qu'après que cette connaissance a pu avoir lieu.

389. Un problème dont la solution est bien plus délicate en droit pénal est celui de savoir comment se devra mesurer la culpabilité dans les délits dont les conséquences auront dépassé l'intention du délinquant; par exemple, voulant seulement blesser, l'agent a tué, car plus d'une fois, comme dit Loysel, « tel cuide ferir, qui tue(1); » voulant incendier un édifice, il a brûlé quelqu'un qu'il ignorait s'y trouver sera-t-il puni pour ces conséquences absolument comme s'il en avait eu l'intention? ou bien entrerontelles dans le calcul de la culpabilité à titre de faute non intentionnelle seulement? ou bien enfin n'y entreront-elles pas du tout? 390. Nous prendrons pour point de départ, et seulement comme prémisses de notre raisonnement, cette vérité incontestable, que

(1) Institutes coutumières, liv. 6, tit. 1, no 5.

:

si la conséquence était nécessaire, inévitable suivant la loi physique des faits et évidente aux yeux de l'agent, celui-ci devrait être puni comme l'ayant eue en vue, car le nier serait de sa part déraison et subtilité comme si ayant coupé la tête à quelqu'un ou lui ayant arraché le cœur, il prétendait n'avoir pas voulu lui donner la mort. Or il se peut faire que soit la première de ces conditions, le caractère inévitable, soit la seconde, le caractère d'évidence, manque, et c'est alors seulement que l'on conçoit la possibilité pour l'agent d'invoquer de sa part une absence d'intention quant à la conséquence qui a eu lieu; alors seulement le doute s'élève.

391. 1° Si c'est la première de ces conditions qui manque, et qu'elle manque en ce sens que la conséquence, sans être nécessaire, inévitable, était néanmoins usuelle, dans l'ordre commun des faits, de telle sorte que c'eût été un heureux hasard qu'elle ne se fût point accomplie, nous dirons encore que l'agent devra être puni comme l'ayant eue en vue, sans être admissible à nier son intention à cet égard comme si incendiant ou faisant sauter à la mine une maison qu'il sait être habitée, il prétend n'avoir pas eu l'intention de tuer les personnes qui s'y trouvaient, ou si tirant à bout portant un coup d'arme à feu en pleine poitrine d'un homme, il prétend n'avoir voulu que le blesser.

392. 2o Mais si, au contraire, la probabilité était en sens inverse, si habituellement le fait commis n'entraînait pas d'aussi malheureuses conséquences, comme s'il s'agit de coups ou d'administration de substances qui ont occasionné la mort n'occasionnant ordinairement qu'un moins grave préjudice; - ou bien encore si c'est la seconde condition qui manque, c'est-à-dire si la conséquence n'était pas évidente aux yeux de l'agent, qu'elle fût raisonnablement ignorée de lui ou inaperçue, comme s'il avait de justes raisons de croire inhabité l'édifice qu'il a incendié, ou s'il est parfaitement démontré qu'il croyait que la substance par lui administrée ne devait produire qu'une incommodité passagère, tandis qu'elle était mortelle: - dans l'une et l'autre de ces hypothèses, nous estimons impossible de faire entrer avec justice ces conséquences dans la mesure de la culpabilité comme si l'agent en avait eu l'intention, et de punir cet agent pour le crime le plus grave qu'elles constitueraient. Décider ainsi serait méconnaître la séparation qui existe entre l'intention criminelle et la faute non intentionnelle, et nous ne saurions approuver les législations positives qui ont cru pouvoir pousser leur sévérité jusque-là.

D'un autre côté, il serait pareillement injuste de ne tenir aucun compte de ces résultats. Doublement en faute à cet égard : en faute en commettant le délit qu'il avait en vue, en faute en n'ayant pas prévu, examiné et mis au pire, afin de s'en abstenir, les conséquences possibles de ce délit, l'agent sera punissable pour ces résultats qui ont dépassé son intention, à titre de culpabilité non

intentionnelle; cette culpabilité viendra se joindre à celle du délit
qu'il avait en vue, et la pénalité s'en augmentera eu égard à la
gravité des événements et à toutes les autres circonstances qui
peuvent influer sur elle. C'est ainsi que nous aurons donné satis-
faction à la fois, en les combinant, aux principes sur la culpabi-
lité intentionnelle et à ceux sur la culpabilité non intentionnelle.
393. 3 Enfin, si l'agent a commis le délit au risque de tous les
périls qui pourraient en advenir, n'ayant qu'une intention indé-
terminée relativement aux conséquences préjudiciables que ce délit
pourrait avoir mais n'en excluant aucune, comme s'il a exposé et
abandonné un jeune enfant sans défense et sans probabilité de se-
cours en un lieu désert où il courait des dangers évidents, ou s'il
a posé quelque obstacle, fait quelque dérangement sur la voie
d'un chemin de fer dans le but de faire dérailler les convois, ou
s'il a tiré un coup d'arme à feu sur une foule, n'importe en ces
trois exemples ce qui pût en arriver, les conséquences qui auront
eu lieu, soit blessures, soit décès, soit tout autres, lui seront im-
putées à crime comme s'il les avait voulues, puisqu'il les a com-
prises indirectement dans son intention.

Mais nous n'appliquerons cette solution que dans les cas où il
s'agit des résultats mêmes de l'acte du délinquant, tels qu'on
puisse raisonnablement les lui attribuer et l'en considérer comme
la cause efficiente, la cause génératrice. S'il s'agit de conséquences
indirectes qui constituent en réalité le crime d'une autre personne,
conséquences auxquelles il a peut-être donné occasion, mais qui
partent de l'initiative et de la criminalité d'autrui, nous ne sau-
rions lui imputer comme s'il les avait voulus ces crimes qui sont
le fait d'autrui et dont il n'avait pas l'intention: comme s'il s'agit
de crimes commis par certains individus dans une émeute, dans
une insurrection, et dont on voudrait faire peser la responsabilité
pénale sur les chefs qui n'y auraient aucunement participé ou qui
les auraient même défendus. Doublement en faute à cet égard :
en premier lieu pour avoir commis le crime ou le délit qui y a
donné occasion; en second lieu, pour n'avoir pas mis les choses
au pire et prévu tous les résultats possibles, afin de s'abstenir de
ce crime ou de ce délit, ils doivent en subir les conséquences pé-
nales comme circonstance aggravante du crime ou du délit qui
leur est personnel; mais ils ne sauraient justement en recevoir la
peine comme s'ils en étaient eux-mêmes les auteurs intentionnels.
394. Les cas dans lesquels on dit, suivant l'expression accou-
tumée, que nous sommes pénalement responsables des faits d'au-
trui, ou punis pour les faits d'autrui, rentrent encore dans le sujet
qui nous occupe. Ce n'est, comme nous le savons déjà (ci-dess.
no 253), qu'en apparence et d'une manière impropre qu'on s'ex-
prime ainsi. La science rationnelle n'admet pas que nous puissions
jamais encourir aucune peine publique pour d'autres actions ou
inactions
que les nôtres; et si nous sommes punis par suite de faits

[merged small][ocr errors][merged small]

dont un autre est l'auteur, c'est que nous sommes en quelque faute à l'égard de ces faits, lors même que nous les avons ignorés de telle sorte qu'en réalité nous sommes punis pour notre faute la plupart du temps non intentionnelle.

Il pourra se faire fréquemment, en effet, que la personne exerçant une profession soumise à des règlements particuliers, le patron, le maître, le chef de famille, soient punissables pour les contraventions résultant des actes de leurs préposés, ouvriers, serviteurs par eux employés, ou des personnes de leur famille placées sous leur surveillance et sous leur autorité. La règle rationnelle qui doit guider dans l'appréciation de ces cas consiste à considérer à qui, suivant la nature des faits et le but à se proposer légalement, doit être imposée l'obligation de faire ou de faire faire l'acte prescrit, de s'abstenir de l'acte prohibé ou d'empêcher qu'il ait lieu. S'il résulte des idées de justice et d'utilité publique combinées, que c'est au patron, maître ou chef de famille que cette obligation doit être imposée, c'est lui qui doit être punissable lorsqu'il y a été manqué dans l'exercice de sa profession, de son industrie, de son métier, ou dans sa famille, par les personnes par lui employées ou placées sous son autorité. Il devait ou ne pas s'en remettre à eux, ou les mieux surveiller, ou leur donner des instructions plus sévères, ou les mieux choisir. Mais si l'injonction ou la prohibition s'adresse à l'activité individuelle de chacun considéré en particulier, abstraction faite de l'idée d'autorité, de direction ou de surveillance, et qu'on ne puisse dire équitablement que le chef est en faute personnelle à cet égard, la loi pẻnale ne saurait justement lui en faire porter la peine.

Du reste, de l'analyse à laquelle nous venons de nous livrer il résulte que la culpabilité dont il s'agit ici étant la plupart du temps une culpabilité non intentionnelle, le degré ne peut s'en élever bien haut, et que tout en la proportionnant à la gravité du devoir de surveillance qui nous était imposé, il ne peut y être question que de peines inférieures.

20 Suivant la legislation positive et la jurisprudence.

395. L'ancienne jurisprudence ne manquait pas de textes dans le droit romain pour construire sa doctrine générale sur l'intention de délinquer, sur la faute non intentionnelle et sur l'accident; elle en trouvait dans les titres du Digeste ou du Code relatifs à de véritables questions de droit criminel (1), mais surtout dans les détails minutieux, les nombreux exemples et les distinctions multipliées que la pratique des affaires avait suggérés aux jurisconsul

-

(1) DIG., 48, 19, De pænis, 5, § 2, Fr. Ulp., et 11, § 2, Fr. Marcian. 48, 8, Ad legem Corneliam de sicariis, 1, § 3, § Fr. Marcian., et 7 Fr. Paul. Cov., 9, 16, Ad legem Corneliam de sicariis, 1, constit. Anton., et 5, constit. Dioclet, et Max.

« PrécédentContinuer »