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tes romains à propos de l'application de la loi Aquilia (1).
C'est au droit romain que l'ancienne jurisprudence européenne
avait emprunté l'expression de dol (dolus malus) pour désigner
l'intention du délit, lequel dol se trouvait ainsi opposé à la faute
(culpa) dans les termes du droit pénal, de même que dans ceux
du droit civil, mais avec une acception véritablement toute diffé-
rente; de telle sorte que ce vice de langage faisait amphibologie,
et jetait plus d'une confusion d'idées entre ces deux branches du
droit si diverses en leur principe (2).

396. L'ancienne jurisprudence y avait joint, sur les différentes espèces de dol, des divisions subtiles et compliquées (3), dont quelques-unes ne manquent pas, si l'on veut, d'exactitude, mais qu'il est bien plus simple de laisser à l'appréciation du juge de la culpabilité dans chaque cause, sans aller embarrasser ce juge en une telle scolastique.

C'est aussi dans le même esprit qu'elle avait divisé le dol en trois degrés (summus, medius, infimus), de même que la faute (lata, levis, levissima), suivant l'interprétation qu'elle faisait de certains textes du droit romain. Ce n'est pas trois degrés, c'est une infinité de degrés, du plus au moins, que peuvent avoir la criminalité de l'intention et celle de la faute non intentionnelle; mais c'est au juge de la culpabilité, dans le cas où la loi n'en a pas fait l'objet de quelque disposition formelle, à apprécier ces nuances variées, et à en tenir compte entre les limites qui lui sont laissées.

397. L'homicide involontaire, par imprudence ou même sans faute, a eu dans les mœurs antiques un caractère spécial. Il semblait à l'homme qu'il devait expier par un exil volontaire le malheur dont il avait été la cause non intentionnelle, et les vers d'Homère, comme les lois de Platon, nous portent témoignage de ces vieilles coutumes des anciens Grecs. Quelque chose de semblable existait dans les mœurs de nos pères et dans les divers Etats de l'Europe. Suivant la pratique de notre ancien droit pénal, si l'homicide était purement casuel ou de force majeure, sans au

(1) Dis., 9, 2, Ad legem Aquiliam. L'ancienne jurisprudence y joignait même les nombreux textes du droit romain relatifs au dol et à la faute en matière d'obliga

tions civiles.

(2) C'est en quelques textes de droit romain qu'on trouve l'expression de dolus malus, même en matières criminelles, pour désigner le dessein coupable: DIG., 48, 8, Ad leg. Corneliam de sicariis, 1, pr., et § 1, Fr. Marcian. Et l'on a soin d'y dire qu'en ces matières la faute lourde (culpa lata) n'est pas, comme dans celles de droit civil, assimilée au dol: DIG., 48, 8, Ad leg. Cornel., 7, Fr. Paul.

(3) Dol existant réellement et dol présumé (verus, præsumptus); dol général, intention de délinquer si l'occasion s'en présente, et dol spécial (generalis, specialis); dol indéterminé, intention du fait à tout risque de ce qui pourra en résulter, comme si quelqu'un tire un coup d'arme à feu au milieu d'une foule, et dol déterminé (indeterminatus, determinatus); dol réfléchi, prémédité, et dol spontané, inspiré par l'impulsion des passions (nequitia, impetus adfectuum).

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cune faute de la part de l'agent, il n'y avait lieu à aucune peine, ni même à aucune condamnation en dommages-intérêts, et toutefois l'usage du royaume, quoique la nécessité en fût contestée par quelques-uns, était de recourir même en ce cas à des lettres de rémission du prince. Que s'il y avait eu faute par imprudence, faute non intentionnelle, l'homicidiaire, outre les dommagesintérêts à sa charge, devait être condamné en une amende à employer en majeure partie en œuvres pies pour l'âme du trépassé; et quant à la peine afflictive il n'y échappait qu'au moyen des lettres de rémission du prince, qu'il était dans l'usage de demander et d'octroyer (1).

398. Du reste, nos anciennes ordonnances, sauf ce qu'elles disent de ces lettres de rémission, ne contiennent rien de règlementaire sur tout le sujet que nous venons d'examiner.

399. Sous la législation de la Constituante et sous celle de brumaire an IV, l'appréciation de l'intention en matière de délits de police municipale et de police correctionnelle, lorsque cette intention était nécessaire pour constituer le délit, rentrait dans les pouvoirs généraux du juge chargé de statuer sur la culpabilité. Mais en matière criminelle, devant le jury, la loi d'organisation du 19 septembre 1791, et après elle le Code des délits et des peines de brumaire an IV, avaient voulu qu'après la première question: « Tel fait est-il constant?... » et la seconde : « L'accusé est-il convaincu de l'avoir commis?... » vinssent, en troisième rang, toutes les questions relatives à l'intention, ce que le Code de brumaire an IV appelait la moralité du fait (2). C'était le président qui devait poser ces questions telles qu'elles résultaient soit de l'acte d'accusation, soit de la défense, soit du débat, suivant la diversité

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(1) BOUTEILLER, Somme rural: Item qui occist autre par cas d'adventure, par la raison escrite (le droit romain) n'en doit pour ce choir en peine......; combien que les coustumiers dient que crime n'a point d'adventure qu'il ne chée en peine de mort, ou remission de Prince.» (Liv. 2, tit. 40, p. 870.) —— JOUSSE, Traité de la justice criminelle, part. 4, tit. 21, art. 7, n° 100 (tom. 3, p. 523 ). - Cet homicide (per infortunium or misadventure), dans l'ancienne loi anglaise, entraînait toujours confiscation des biens personnels ou chattels, ou d'une partie de ces biens in pios usus; et du temps de Blackstone, on n'échappait encore à cette confiscation qu'au moyen d'un writ de pardon et de restitution des biens obtenu du Roi en payant les frais d'impétration. (BLACKSTONE, liv. 4, ch. xiv, §§ 2 et 3.)

(2) L. 16-29 septembre 1791, 2o part., tit. 7, art. 21: Le président posera les questions relatives à l'intention résultant de l'acte d'accusation, ou qu'il jugera résulter de la défense de l'accusé ou du débat............, etc.» — Code du 3 brum. an iv, art. 374: «La première question tend essentiellement à savoir si le fait qui forme l'objet de l'accusation est constant ou non. La seconde, si l'accusé est ou non convaincu de l'avoir commis ou d'y avoir coopéré. Viennent ensuite les questions qui, sur la moralité du fait et le plus ou le moins de gravité du délit, résultent de l'acte d'accusation, de la défense de l'accusé ou du débat....... elc. - Voir aussi, au même Code, l'exemple fourni par l'art. 379; voir l'art. 393 : « Le juré qui a déclaré le fait constant et l'accusé convaincu donne ensuite sa déclaration sur la moralité du fait, d'après les questions intentionnelles posées par le président; ⚫ et l'art, 397.

des faits et sans qu'elles fussent limitées par la loi (voir deux applications ci-dessus, n° 337 et 370). L'Assemblée constituante avait fait suivre sa loi d'organisation du jury et de procédure, comme ses autres lois les plus importantes, d'une instruction destinée à en faciliter l'application; l'on peut voir encore dans cette instruction quelle signification et quelle latitude elle donnait à ces questions intentionnelles (1).

Si la réponse du jury était que le fait avait été commis involontairement, sans aucune intention de nuire, non méchamment, non à dessein, la loi de septembre 1791 et le Code de brumaire an IV ordonnaient que l'accusé fût acquitté (2). Ce qui n'empêchait pas toutefois que le fait, même ainsi qualifié, pût être punissable, suivant les cas, comme délit de police municipale ou correctionnelle, ainsi que nous en avons un exemple dans le Code pénal de 1791, au sujet de l'homicide et des blessures par imprudence ou négligence (3).

Mais, si le fait n'était que le résultat d'un pur accident, sans aucune sorte de faute de la part de l'agent, il ne devait y avoir aucune condamnation, ni pénale ni même civile, ainsi que s'en expliquait formellement le Code pénal de 1791, au sujet de l'homicide purement casuel (4).

400. Dans notre procédure actuelle, depuis le Code d'instruction crim. de 1808, les trois questions dont nous venons de parler sont réunies en cette seule question principale: «L'accusé est-il coupable?» De telle sorte que, tant en matière criminelle qu'en matière de simple police ou de police correctionnelle, le jury ou le tribunal ont le même problème complexe à résoudre. Quel rôle doit y jouer l'intention? - Le Code pénal, dans sa partie générale, n'a donné là-dessus aucune règle commune, aucune loi d'ensemble: c'est seulement dans sa partie spéciale que, à propos des délits en particulier, il contient, à l'égard de quelques-unes, des dispositions ad hoc, que l'on peut chercher à coordonner pour en faire sortir autant que possible la généralité du système du Code.

(1) Instruction pour la procédure criminelle, du 29 septembre 1791.

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(2) L. 19 septembre 1791, 2o part., tit. 8, art. 2.-Code de brum. an IV, art. 425. (3) Code pénal, 25 septembre-16 octobre 1791, 2o partie, tit. 2, art. 2: En cas d'homicide commis involontairement, mais par l'effet de l'imprudence ou de la négligence de celui qui l'a commis, il n'existe point de crime, et l'accusé sera acquitté; mais, en ce cas, il sera statué par les juges sur les dommages-intérêts, et même sur les peines correctionnelles, suivant les circonstances: » — art. 18, pour les blessures. — La loi du 19-22 jaillet 1791, relative à l'organisation d'une police municipale et correctionnelle, tit. 2, art. 15, détermine la peine.

(4) Code pénal, 25 septembre-16 octobre 1791, 2° part., tit. 2, art. 1: En cas d'homicide commis involontairement, s'il est prouvé que c'est par un accident qui ne soit l'effet d'aucune sorte de négligence ni d'imprudence de la part de celui qui l'a commis, il n'existe point de crime, et il n'y a lieu à prononcer aucune peine ni même

aucune condamnation civile..

401. Le Code a souvent fait entrer dans la définition mème du crime ou du délit la mention de l'intention, en ces termes : volontairement, sciemment, avec connaissance, sciemment et volontairement, à dessein, dans la vue de nuire, mechamment, frauduleusement, et autres semblables. Il l'a fait surtout pour les cas où il s'agit d'actes qui pourraient facilement avoir eu lieu sans mauvais dessein (1). A l'égard de ces dispositions aucun doute n'est possible; la question de l'intention se trouve nécessairement posée au jury, s'il s'agit de crime, dans les termes mêmes employés par la loi en la définition du crime; et s'il s'agit de délit correctionnel ou de simple police elle est pareillement indiquée et résolue par le jugement, qui doit se baser sur la définition de la loi et en contenir même le texte.

402. D'autres fois le Code a pris soin, à propos d'un même fait, d'opposer le cas où il aurait été commis avec intention à celui où il l'aurait été sans intention, parce qu'il a voulu punir les deux cas, quoique l'un moins sévèrement que l'autre (2). Alors encore aucun doute n'existe.

403. Mais, hors de là, de ce que le Code n'a pas exprimé textuellement, dans la définition du crime ou du délit, la condition de l'intention, faut-il en conclure que cette condition n'est pas exigée, et que la faute même non intentionnelle constitue le délit? En d'autres termes, à quoi reconnaître, dans notre législation positive, quels sont les actes que la loi punit même abstraction faite de toute intention coupable, et quels sont ceux qui ne constituent de délit que lorsque cette intention s'y rencontre? Comment surtout résoudre cette question, si importante dans la pratique de chaque jour par les conséquences qui y sont attachées, si l'on considère non pas seulement les textes du Code pénal, mais aussi ceux des nombreuses lois spéciales qui existent en dehors de ce code?

On ne peut poser pour règle qu'il faille s'en tenir à cet égard aux termes mêmes de la loi; car souvent les termes de la loi font

(1) Code pénal art. 251, bris de scellés; 317, administration de substances nuisibles; 379, soustraction frauduleuse; 407, abus de blanc-seing; 417, avoir fait passer en pays étrangers des directeurs, commis ou ouvriers d'un établissement, dans la vue de nuire à l'industrie française; 419, avoir opéré la hausse ou la baisse par des bruits faux ou calomnieux semés à dessein dans le public; 435, 437, 439, 443, avoir volontairement détruit, brûlé, etc., des édifices, navires, chantiers, ponts, etc., des registres, titres, billets, etc., ou volontairement gâté des marchandises ou matières servant à fabrication. Pour les contraventions de simple police, art. 475, no 8, et

479, nos 1 et 9.

(2) Art. 155, délivrance de passe-port à personnes supposées,

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192, 193 et 194 opposés aux articles 195, 177, 340, divers actes d'officiers de l'état civil ou autres fonctionnaires, par négligence ou collusion; 237, 238, 239, 240, évasion de détenus; 249, 250, 251, 252, bris de scellés; - 254 et 255, soustraction ou destruction de pièces; 295 et suiv. opposés à l'article 319, homicide; 309 à 312 opposés à l'art. 320, blessures ou coups; 389, 456, enlèvement ou déplacement de bornes; 434, 458, incendie; 423, 424, opposés aux articles 479, nos 5 et 6, et 481, no 6, poids ou mesures prohibés.

défaut et laissent à la jurisprudence le soin de discerner l'une de l'autre ces deux variétés de délits. C'est donc à la jurisprudence à résoudre la question pour chaque cas, en s'inspirant des principes rationnels et de l'esprit de la loi qu'il s'agit d'appliquer.

404. Si nous cherchons à émettre quelques idées qui puissent servir de guide à cet égard, voici ce que nous dirons :

1o En matière de crime et de délits de police correctionnelle, la règle ordinaire est que l'intention, même dans le silence de la loi, forme une condition constitutive du fait réprimé. Toutefois il en est autrement non-seulement lorsque la loi l'a déclaré textuellement, mais encore lorsque de la nature même de l'acte en question, du but que la loi s'est proposé en le défendant ou en l'ordonnant, et des principes de raison appliqués à cette prohibition ou à celte injonction, on est autorisé logiquement à conclure que l'accomplissement ou l'omission de l'acte, quoique n'ayant eu lieu que par une faute non intentionnelle, suffit pour entraîner la peine. A cette donnée générale nous ajouterons cette autre réflexion que dans les cas où il s'agit d'une loi qui commande de faire certain acte sous la sanction d'une peine, on sera porté généralement, avec raison, à conclure que cette loi veut punir même la simple négligence. Quant aux cas où il s'agit d'une défense, ce qui a lieu dans la majeure partie des lois pénales, il est vrai que cette indication manque cependant si l'on y regarde bien, on trouvera le plus souvent une tournure prohibitive particulière à celles de ces lois qui veulent défendre un fait d'une manière absolue, jusqu'à punir la négligence, l'oubli ou l'inattention apportés au respect de cette prohibition. -La règle ordinaire que nous venons de poser comme commune aux crimes et aux délits correctionnels est encore plus étroite pour les premiers que pour les seconds on ne conçoit guère, en effet, que la simple faute non intentionnelle puisse être punie de peines criminelles; on en peut citer cependant divers exemples dans le Code et dans quelquesunes de nos lois (1).

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2o A l'égard des contraventions de simple police, la nature même de l'infraction et le but que se propose la loi en les punissant veulent que la règle ordinaire se renverse : l'intention n'est

(1) Art. 119, contre les fonctionnaires publics chargés de la police administrative ou judiciaire qui auront refusé ou négligé de déférer à une réclamation légale tendant à constater les détentions illégales et arbitraires peine criminelle, la dégradation civique; art. 199 et 200, contre le ministre du culte qui aura procédé aux cérémonies religieuses d'un mariage sans qu'il lui ait été justifié de l'acte reçu par l'officier de l'état civil: la première contravention et la première récidive, peine correctionnelle; la seconde récidive, peine criminelle, la détention. Il est vrai que dans l'idée du législateur cette seconde récidive semblait indiquer une résistance intentionnelle, qui n'a plus de raison d'être aujourd'hui; mais le Code ne l'exprime pas; il exprime, au contraire, qu'il s'agit de contravention; art. 10 de la loi du 3 mars 1822 sur la police

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sanitaire, dégradation civique pour certaines négligences.

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