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ne peuvent s'effacer aux yeux de la science rationnelle, et dont il est nécessaire de tenir compte. « Tuendi duntaxat, non etiam ulciscendi causa, dit le jurisconsulte Paul, dans le fragment cité ci-dessus (p. 171, note 1).

449. La provocation ne fait point disparaître la culpabilité l'homme a agi avec une intention de nuire, sous l'empire d'une mauvaise passion que la loi ne saurait innocenter.

la

450. Si l'on suppose qu'il s'est écoulé un certain temps entre la lésion reçue et l'acte de vengeance qui a eu lieu, le premier mouvement étant passé, la réflexion ayant dû calmer le ressentiment, vengeance ayant été pour ainsi dire préméditée et exécutée à froid, à peine si l'on pourra, selon les circonstances, trouver dans la provocation antérieure quelque motif d'atténuation, mais seulement de la culpabilité individuelle, suivant les nuances de chaque cause, et non de la culpabilité absolue à prévoir d'avance dans la loi.

451. Mais si la réaction a eu lieu spontanément, dans la chaleur de l'irritation et avant que le temps de se refroidir fût arrivé, alors la culpabilité s'en trouvera notablement diminuée, surtout si la lésion éprouvée était grave et irritante de sa nature, ou s'il n'y a pas eu disproportion considérable entre le mal reçu et celui qui a été fait en retour. On conçoit même que la loi pénale ait soin de prévoir spécialement ces cas de provocation les plus graves, afin de déterminer l'abaissement de la culpabilité absolue qui en résulte, et de décréter en conséquence une atténuation obligatoire de peine. Parmi les provocations les plus irritantes, se trouvent incontestablement les violences ou voies de fait contre la personne, et l'offense du mari surprenant sa femme en flagrant délit d'adultère, ou réciproquement.

452. Faut-il, comme pour la légitime défense, étendre le cas de provocation aux violences ou lésions de droit éprouvées, non par soi-même, mais par autrui? Il ne s'agit pas ici de l'exercice d'un droit, d'une assistance légitime donnée, à défaut de la force publique absente ou inefficace, à celui que l'on voit en un injuste péril. Cette assistance, nous la devons à tout le monde, et plus la personne secourue nous est étrangère, plus nous sommes louables d'avoir accompli ce devoir. Il s'agit, dans la provocation, d'une irritation, d'un emportement qui a poussé l'agent à un acte condamnable; il faut donc voir, dans l'hypothèse de violences ou lésions de droit faites à l'autrui, s'il existait entre l'agent et cette personne lésée quelque lien suffisant pour susciter et rendre excusable cet emportement. Il n'y a pas à marquer ici de degrés de parenté ou d'alliance: une affection intime, une relation de tutelle, de protection, le simple fait d'avoir une personne, une femme ou un enfant surtout, sous sa garde, ne fût-ce que momentanément, peuvent produire cet effet: ce sera une appréciation à faire par le juge dans chaque cause.

2o Suivant la législation positive et la jurisprudence.

453. Le Code pénal de 1791 avait prévu le cas de meurtre qui serait la suite d'une provocation violente, sans toutefois que le fait put être qualifié homicide légitime, et en le déclarant excusable, avait prononcé une peine moindre que celle du meurtre, mais toujours criminelle (1).

454. Le Code de brumaire an IV, en se référant à cette disposition, y ajouta le cas de tout autre délit, la répression étant réduite alors à une peine correctionnelle (2).

455. Le Code de 1810 a restreint sous un double point de vue ces dispositions du Code de brumaire an IV: d'une part en précisant à tort, pour unique cas d'application, ceux de meurtre, blessures ou coups; et d'autre part, en n'admettant, comme de nature à produire l'excuse, que la provocation par coups ou violences graves envers les personnes (3). Il a réduit considérablement la peine, qui devient pour tous les cas, même pour celui de meurtre, une peine correctionnelle (art. 326).

456. Les règles rationnelles exposées par nous, sur l'esprit d'emportement et d'irritation qui forme ici le caractère du délit (n° 447), sur l'unité de temps nécessaire entre la violence subie et la réaction exercée, en ce sens qu'il ne doit pas y avoir eu entre l'une et l'autre d'intervalle suffisant à l'irritation pour se calmer (nos 450 et 451); enfin sur la provocation en la personne d'autrui (n° 452), doivent servir à la solution des questions pratiques de jurisprudence sur ces divers points.

457. Toute provocation autre que celle par coups ou violences graves envers les personnes rentrera uniquement dans les pouvoirs généraux du juge, quant aux tempéraments qu'il a à sa disposition pour suivre les nuances diverses de la culpabilité individuelle. - Mais qu'est-ce qui constituera la gravité de la violence? La loi ne l'ayant pas déterminé, c'est un caractère laissé à l'appréciation du juge de la culpabilité.

458. Malgré ce que nous avons dit, au point de vue de la science rationnelle, de l'esprit différent qui sépare l'un de l'autre l'emploi de la défense privée, même non entièrement légitime, et l'acte commis en état de provocation (no 448), il faut, dans notre

(1) Code pénal de 1791, 2e partie, tit. 2, sect. 1, art. 9: Lorsque le meurtre será a suite d'une provocation violente, sans toutefois que le fait puisse être qualifié homicide légitime, pourra être déclaré excusable, et la peine sera de dix années de gêne. - La provocation par injures verbales ne pourra, en aucun cas, être admise comme excuse de meurtre..

(2) Art. 646: ..... S'il s'agit de tout autre délit, le tribunal réduit la peine établie par la loi à une punition correctionnelle, qui, en aucun cas, ne peut excéder deux années d'emprisonnemeut.

D

(3) Art. 321: Le meurtre ainsi que les blessures et les coups sont excusables s'ils ont été provoqués par des coups ou violences graves envers les personnes.

jurisprudence pratique, reconnaître que la loi n'ayant pas prévu à part l'hypothèse de la légitime défense incomplète, le moins qu'on pourra faire sera d'y appliquer, comme à fortiori, les dispositions relatives à la provocation, lors toutefois que les faits en seront susceptibles, c'est-à-dire lorsqu'il s'agira d'une défense non entièrement légitime contre des coups ou violences graves envers les personnes. Cette confusion a été un peu, nous devons en convenir, dans les idées et dans l'intention de notre législateur. (Voir l'article du Code pénal de 1791 cité ci-dessus, n° 453, note 1.)

459. En dehors des violences graves contre les personnes, le Code pénal a spécifié un cas de provocation s'attaquant à un droit d'une tout autre nature: c'est le cas du flagrant délit d'adultère (art. 324).

Notre Code n'admet l'excuse tirée de cette sorte de provocation qu'en faveur du mari. Nous aimons mieux la disposition du Code pénal de Sardaigne (art. 604), qui l'admet également pour l'un et pour l'autre des époux (1). Il ne s'agit pas des conséquences plus graves que peut avoir, dans la famille, l'adultère de la femme comparé à celui du mari; il s'agit de mesurer la culpabilité, il s'agit de l'irritation, de l'emportement que l'aspect d'une pareille offense a pu faire naître; et s'il est beaucoup plus rare que cette irritation pousse la femme au meurtre ou à des blessures, celle qui s'y laisserait entraîner n'en aurait pas moins commis son crime sous l'impulsion passionnée à laquelle la violation de son droit l'aurait provoquée, et par conséquent moins coupable. Nous croyons que le Code, dans sa disposition, a cédé à la tradition et au préjugé de longue date qui existe sur ce point dans les mœurs. En cet état, à l'égard de la femme, à moins d'une déclaration de nonculpabilité, que nous ne saurions approuver quand la culpabilité existe, il n'y a pour l'atténuation de peine d'autre ressource que la latitude du maximum au minimum, ou la déclaration de circon

stances atténuantes.

460. Notre Code excuse ainsi le meurtre de la femme ou de son complice, à plus forte raison les blessures ou les coups, quoique l'article n'en parle pas. (Combiner l'article 324 avec l'article 326.) 461. Le Code exige, pour que l'excuse puisse avoir lieu, deux conditions. La première, que le meurtre ait été commis à l'instant où le mari surprend les coupables en flagrant délit : ce qui doit 'interpréter dans le sens de la doctrine rationnelle exposée ci

(1) Art. 604: La peine prononcée contre l'homicide volontaire sera diminuée dans les cas suivants: Si l'homicide a été commis par l'un des époux sur l'autre, ou sur le complice, ou sur tous deux, au moment où ils sont surpris en flagrant délit d'adultère. S'il a été commis par le père ou la mère sur la personne de leur fille, ou sur le complice, ou sur tous deux, au moment où ils les surprennent dans leur propre maison, en état de fornication ou d'adultère flagrant. L'homicide, dans les cas cidessus énoncés, sera puni d'un emprisonnement qui ne pourra être au-dessous de

six mois. »

dessus (n° 450 et 451); d'où il suit que si le crime a été prémédité, si le mari, par exemple, s'est caché avec des armes, dans l'intention de surprendre la femme et son complice et de faire usage de ses armes contre eux, l'article ne serait plus applicable. Mais qu'est-ce ici que le flagrant délit? Le juge de la culpabilité appréciera suivant les circonstances; il est inutile de se jeter à cet égard dans les subtilités casuistiques de l'ancienne doctrine scolastique. La seconde condition, c'est que le flagrant délit se passât dans la maison conjugale; c'est-à-dire dans toute maison ou appartement destinés à l'association des conjoints, ne fût-ce que temporairement; desquels on peut dire que le mari a le droit de contraindre sa femme à l'y suivre, et celle-ci le droit de contraindre le mari à l'y recevoir, même momentanément. D'où il suit qu'en cas de séparation de corps, bien que le devoir de fidélité conjugale ne soit pas diminué, n'y ayant plus de maison conjugale, l'excuse ne pourrait plus avoir lieu. Hors de ces conditions, la pénalité ne peut se mitiger que par la latitude du maximum au minimum ou par la déclaration de circonstances atténuantes.

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462. Le Code, quand l'excuse existe, a diminué considérablement la peine, réduite toujours à un emprisonnement correctionnel (art 326); et dans notre pratique le jury va encore plus loin, il est rare qu'il ne rende pas un verdict de non-culpabilité. Nous ne saurions trop nous élever contre ce préjugé qui fait si bon marché de la vie humaine, et qui érige le meurtre commis par emportement et par vengeance en un droit. Aussi le préjugé commun, l'opinion vulgaire sont-ils que le mari a le droit, en semblable cas, de tuer la femme et son complice. Le droit romain lui-même, où le pouvoir marital était bien plus énergique, appliquait, du temps des empereurs, une peine bien plus sévère les travaux publics perpétuels (opus perpetuum) si le mari était de condition humble, et la relégation dans une île s'il était d'un ordre plus élevé (1).

(1) L'empereur Antonin le Pieux dit parfaitement dans son rescript qu'on peut lui faire remise du supplice capital (ultimum supplicium remitti potest), parce qu'il est trèsdifficile de tempérer sa juste douleur (cum sit difficillimum, justum dolorem temperare); mais parce qu'il y a eu excès de sa part, parce qu'il ne devait pas se venger (quia vindicare se non debuerit), il doit être puni (puniendus sit). DIG., 48, 5, Ad legem Juliam de adulteriis, 38, § 8, Fr. Papinian; — et 48, 8, Ad legem Corneliam de sicariis, 1, § 5, Fr. Marcian. - Ces deux lois ne paraissent pas bien d'accord pour la fixation de la peine. Il était cependant, par exception, certaines personnes à l'égard desquelles un tel homicide commis par le mari aurait été exempt de peine (DIG., 48, 5, Ad legem Juliam de adulteriis, 24, pr. Fr. Macer. COD., 9, 9, Ad legem Juliam de adulteriis, 4, const. Alexand.)

-

Quant au père, par des souvenirs tenant au caractère si énergique de l'ancienne puissance paternelle, c'était pour ainsi dire un droit qui lui était reconnu de tuer sa fille avec le complice en semblable situation. (DIG., 48, 5, Ad leg. Jul., 20 et 22, Fr. Papinian.; 21 et 23, Fr. Ulp., etc.)

longuement et diversement agité ces textes La Somme rural de BOUTEILLER nous en Item si ne seroit aucun qui trouue

Les anciens criminalistes en Europe ont pour en faire sortir la règle de leur temps. offre un reflet, quoique altéré, dans ce passage:

463. L'article 325 du Code pénal spécifie un second cas particulier de provocation, celui d'outrage violent à la pudeur, ayant donné lieu immédiatement au crime de castration; mais cette spécialité rentre entièrement dans la règle générale posée en l'article 321, et la disposition de la loi ne sert qu'à éviter le doute à cet égard.

464. La provocation par coups ou violences graves envers les personnes n'est pas la seule que notre Code ait prévue. Il résulte de l'article 471, no 11, que les injures verbales, lorsqu'elles sont de nature à ne constituer qu'une simple contravention, ne sont pas punissables si elles ont été provoquées. Le genre de provocation ici n'est point limité par la loi; il peut s'étendre à toute sorte de lésion de droit, même aux simples injures qui en auraient amené d'autres, c'est au juge de la culpabilité à apprécier. Et, ici encore, la provocation n'a pas pour effet seulement d'atténuer la peine s'agissant d'infractions déjà si minimes par elles-mêmes, l'atténuation en fait disparaître la pénalité.

465. Mais s'il est question d'injures réunissant les caractères voulus pour constituer un délit correctionnel (1), la provocation, de quelque manière qu'elle ait eu lieu, ne produira plus d'atténuation légale, et l'on arrive à ce résultat bizarre, que ces injures, eussent-elles été provoquées même par des coups ou violences graves envers les personnes, ne seraient point excusables là où les coups, blessures et le meurtre lui-même le seraient. Il ne resterait d'autre ressource que celle des pouvoirs généraux du juge dans la latitude du maximum au minimum, ou dans la déclaration de circonstances atténuantes. C'est le danger de procéder en législation par disposition spéciale, là où il faudrait une règle gé

nérale.

La provocation peut susciter encore d'autres questions de jurisprudence pratique dont nous examinerons les principales en traitant en général des excuses suivant notre loi.

roit va autre couché auec sa femme ou sa fille, car lors par l'ire qu'il a et peut auoir, peut mettre à mort hastivement et incontinent celuy que ainsi trouveroit, sans porter peine criminelle ne ciuile.» (Liv. 1, tit. 39, p. 275.) Cependant telle n'était pas en France la coutume du royaume. Suivant cette coutume, la règle qu'il n'était pas d'homicide, sauf quelques-uns légitimés par l'ordre exprès de la loi, qui ne dût entraîner peine de mort, à moins qu'il ne fût obtenu lettres de rémission du Prince, exerçait ici son empire. Le cas était seulement considéré comme plus facilement susceptible de ces lettres de rémission. (MUVART DE VOUGLANS, Les lois criminelles, pag. 14, nos 2 et 3; pag. 169, no 10, et pag. 604, no 16.) Jousse, Traité de la justice criminelle, tom. 3, pag. 491, no 26 et suiv.) Par cette forme, en définitive, on revenait de même à l'impunité ou à peu près.

(1) Suivant le Code pénal (art. 367 et suiv.) ou suivant les lois spéciales, notamment celle du 17 mai 1819, art. 19 et 20).

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