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cier les faits et à se diriger dans l'exécution de la loi qui lui est confiée; la mission générale qu'il a lui suffit, sans qu'il soit besoin d'un autre commandement spécial pour l'acte qu'il a cru devoir faire dans les termes de cette mission. De telle sorte qu'en définitive il faut toujours en revenir à la loi réglant le cas dont il s'agit et à la loi d'attributions. Le législateur de 1791 a été porté à formuler séparément cette seconde condition du commandement de l'autorité légitime parce que c'était le cas grave d'homicide qu'il avait en vue exclusivement; le législateur de 1810 a étendu la formule aux cas de blessures ou de coups: elle est juste dans toutes les hypothèses, pourvu qu'on l'interprète ainsi que nous venons de le faire.

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486. Mais la disposition du Code est bien significative en ce sens qu'il en résulte textuellement que, dans notre législation positive, il ne suffit pas du seul commandement de l'autorité légitime pour mettre à l'abri de toute pénalité celui qui a exécuté ce commandement il faut de plus, et avant tout, que l'acte soit ordonné, ou du moins autorisé par la loi; ce qui nous ramène à l'application des principes rationnels développés ci-dessus (no 471 et suiv.). Et quoique la disposition du Code ne parle que d'homicide, coups et blessures, qui sont les cas dont on s'est le plus préoccupé, nous n'hésitons pas, sous ce rapport comme sous tous les autres, à la prendre pour règle générale. Cependant cette règle générale fléchira devant les dispositions spéciales dans lesquelles notre législateur aurait cru, à l'égard de certains faits particuliers, devoir en ordonner autrement. Tels sont, par exemple, les articles 114 et 190 du Code pénal, portant textuellement, à l'occasion des crimes ou délits spéciaux auxquels se réfèrent ces articles, que les fonctionnaires, agents ou préposés du gouvernement seront exempts de la peine s'ils justifient avoir agi par ordre de leurs supérieurs, pour des objets du ressort de ceux-ci, sur lesquels il leur était dû obéissance hiérarchique. Bien entendu encore que la règle générale est subordonnée, dans son application, aux conditions particulières de forme ou de juridiction établies par la loi pour la responsabilité des fonctionnaires publics, et dont nous aurons à traiter plus tard.

CHAPITRE V

QUI PEUT ÊTRE AGENT PÉNALEMENT RESPONSABLE D'UN DÉLIT.

487. Les conditions constitutives de l'imputabilité et de la culpabilité ayant été déterminées dans les chapitres précédents, la réponse à la question posée dans celui-ci doit en dériver comme conséquence, ou se présenter comme exceptions qui y seraient faites.

§ 1. Conséquences dérivant des conditions mêmes de l'imputabilité. 488. Il est clair que l'homme réunissant seul en lui, ici-bas, les deux conditions essentielles de l'imputabilité, raison morale ou faculté de connaitre ce qui est juste ou injuste, et liberté, peut seul être l'agent pénalement responsable d'un délit.

489. Le temps n'est plus des procès faits aux bêtes. Nos anciens en oat usé; ils s'appuyaient pour cela, dans certaines hypothèses, mème sur des textes du droit canon (1), et l'on voit encore la trace de ces usages dans des arrêts de parlement jusqu'au milieu du dix-huitième siècle. Non pas qu'il faille s'imaginer que l'ignorance fùt telle qu'on regardât les animaux comme responsables moralement. Ces pratiques, qui se retrouvent à toutes les époques de civilisation primitive ou grossière, prenaient leur source dans ce double caractère de l'ancienne pénalité : d'abord dans le sentiment de la vengeance qui présidait aux peines, sentiment de réaction passionnée, qui s'en prend mème aux êtres dépourvus de raison et aux choses inanimées; et en second lieu dans le besoin du spectacle public et matériel, du symbole ou de l'image en action, de l'impression et de l'exemple produits par les sens (2).

d'une

490. Nous ne poserons pas non plus la question au sujet de l'homme que certaines législations frappent, en certain cas, déchéance considérable de droits, et qu'elles appellent mort civilement. Cette fiction de mort, que répudie aujourd'hui la science, n'est point la réalité; l'homme subsiste avec ses devoirs d'action ou d'inaction, avec les facultés morales qui constituent l'imputabilité sauf les modifications de pénalité, de juridiction ou de procédure que la loi positive pourrait, à tort ou à raison, attacher à sa situation exceptionnelle, il est certain qu'il peut être agent pénalement responsable de délits.

491. Mais le doute peut s'élever au sujet des communautés, collèges, corporations ou autres êtres collectifs constitués par la loi en personne juridique. Ces êtres jouent, en ce qui concerne le droit civil, le rôle d'une personne; ils peuvent être propriétaires, créanciers, débiteurs, exercer des actions ou y défendre cette personnification se continuera-t-elle jusque dans le droit pénal; est-il possible que l'être collectif soit lui-même un agent pénalement responsable de délits?

⚫ etc.

(1) Exode, ch. 21, versets 28 à 32: Si un bœuf frappe de sa corne..., Lévitique, ch. 20, versets 15 et 16. - La question est bien posée dans le droit canonique : « Quæritur, quomodo sit reum pecus, cum sit irrationale, nec ullo modo legis capax? et l'explication admise dans ce droit est celle donnée par saint Augustin: qu'il faut détruire les vestiges qui rappellent la mémoire du forfait (ou du malheur). (Corp. jur. can., decret. 2a pars, causa 15, quæstio 1, cap. 4.)

(2) Voir ce qu'a écrit d'intéressant là-dessus AYRAULT dans son Ordre, formalité et instruction judiciaire, liv. 4, 1re partie, §§ 25 et 26, Des procès faicts aux bestes brutes et aux choses inanimées, p. 602 et suiv.

492. Une telle personne n'est véritablement qu'une personne fictive, une création métaphysique du droit. J'y vois bien, le plus Souvent, une agrégation d'individus doués chacun de raison, de liberté morale, et par conséquent responsables chacun pénalement de ses actes; mais quant à l'être collectif, la loi qui le constitue et le personnifie est impuissante à lui donner en lui-même ces deux facultés indispensables pour l'imputabilité pénale. Que le conseil d'administration, que tous les membres même de la communauté aient décidé, que plusieurs, que tous, si l'on veut, aient exécuté le délit chacun de ceux qui y auront pris part aura à en répondre pénalement; mais en la personne métaphysique de l'être collectif, cette idée de responsabilité pénale ne peut trouver place. S'il en est autrement quant au droit civil, c'est qu'en fait de biens et d'intérêts pécuniaires rien ne répugne à l'idée qu'on puisse acquérir ou aliéner, devenir créancier ou s'obliger par mandataire, par conseils d'administration investis de pouvoirs suffisants à cet effet; idée inadmissible en fait de pénalité. Il est vrai que la communauté, la corporation reconnue dangereuse par suite de certains fails commis par ses administrateurs ou par ses membres peut être dissoute. Mais c'est là une mesure d'utilité et non de droit pénal; c'est l'exercice d'un droit public qui appartient à l'Etat. Créées en vertu de la loi pour l'utilité qu'elles peuvent avoir, les personnes juridiques peuvent être détruites quand leur existence se tourne en danger contre la société genérale. Et si cette dissolution est soumise dans certains gouvernements à des conditions marquées, à la constatation d'écarts ou d'abus déterminés, à l'intervention des tribunaux ou à l'observation de certaines formes, c'est comme garantie de la liberté et des droits des citoyens à cet égard, et non comme règles de pénalité.

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493. La question, résolue quant à la responsabilité pénale, se présente aussi pour la responsabilité civile; et comme cette dernière responsabilité est assise elle-même sur l'idée d'une faute, d'une négligence pour le moins, de la part de celui qui y est soumis, ce qui suppose encore un être doué de raison, si l'on suivait la conclusion logique jusqu'à la rigueur il faudrait dire que l'être métaphysique ne peut pas non plus en être tenu, sauf la responsabilité individuelle de chaque auteur. Mais puisqu'on permet à l'être juridique de former des contrats, de prendre des obligations: s'il y a des retards, des inexactitudes ou des manquements dans l'exécution de ces obligations, il faudra bien qu'il soit tenu d'en réparer les conséquences. Puisqu'on lui permet d'être propriétaire, d'avoir certains intérêts civils et d'agir en cette qualité dans une certaine sphère, il faudra bien qu'il réponde, comme le ferait un autre propriétaire, des personnes employées au service de ses intérêts, pour la réparation des actes préjudiciables que ces personnes pourraient commettre dans ce service. Autrement il n'y aurait aucune sécurité à traiter, à entrer en relation avec lui,

et

sa personnification civile elle-même deviendrait impossible. On va plus loin dans cette voie lorsque, même en dehors des deux hypothèses précédentes, on impose à la communauté l'obligation de prévenir ou d'empêcher certains crimes, certains délits, et qu'on met à sa charge les réparations civiles si ces crimes ou si ces délits ont lieu. Cette mesure, dans laquelle il y a toujours quelque chose d'exceptionnel et d'exorbitant, tient à ce que la responsabilité civile, qui se transmet par hérédité, qui peut être garantie par cautionnement ou acquittée par un tiers, se traite généralement comme une obligation civile ordinaire, et qu'on se laisse aller facilement à la transporter d'une personne à une autre. Le point de départ de l'être juridique est une fiction, laquelle se continue aussi loin que possible tant qu'il ne s'agit que d'intérêts civils, mais que la raison se refuse à pousser jusqu'à la pénalité.

494. En résumé, suivant la science rationnelle, les êtres juridiques, tels que l'Etat, les communes, les établissements publics, hospices, corporations ou associations, organisés en personnes civiles, peuvent bien, en certains cas, être tenus des réparations civiles; mais ils ne peuvent jamais être agents pénalement responsables de délits; la responsabilité pénale est individuelle et pèse exclusivement sur chacun de ceux qui ont pris part au délit personnellement; sauf, à l'égard des êtres juridiques ou au moins de quelques-uns, le droit de dissolution qui peut appartenir à l'État, aux conditions marquées par la loi.

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495. En droit positif, au moyen âge, durant lequel la vie de la société a été principalement une vie de corporations, d'associa tions distinctes, réclamant, exerçant leurs droits, leurs priviléges particuliers, avec une personnification bien plus vive, bien plus tenace qu'aujourd'hui, rien n'avait semblé plus naturel que d'étendre cette personnification jusqu'au fait de la pénalité. Les jurisconsultes citaient des textes de droit romain à l'appui (1). Et quoiqu'il existât cette maxime coutumière: «Tous délits sont personnels, et en crime n'y a point de garant (2), » on en tirait d'autres conséquences, mais non point celle de l'irresponsabilité pénale des êtres collectifs et juridiques. Frapper la communauté d'amende à titre de peine, lui imposer quelque assujettissement, quelque marque, quelque monument d'humiliation, abattre ses murailles, forteresses, lieux ou édifices distingués, faire passer la charrue dessus, y semer du sel ou en jeter les cendres aux vents: il y avait à la fois dans toutes ces choses personnification plus vive de l'être collectif, vengeance satisfaite, spectacle matériel et symbolique pour les sens. Telle était l'ancienne jurisprudence pénale,

(1) Dia., 4, 2, Quod metus causa gestum erit, 9, § 1, Fr. Ulp. 50, 1, Ad municipalem, 19, Fr. Scævol. 50, 7, De diversis regulis juris, 160, § 1, Fr. Ulp. Mais rien n'indique que ces textes se réfèrent à la pénalité. (2) LovSEL, Institutes coutumières, liv. 6, tit. 1, no 9.

et l'on trouve encore dans l'ordonnance criminelle de 1670, au temps de Louis XIV, un titre spécial, le titre 21: De la manière de faire le procès aux Communautés des Villes, Bourgs et Villages, Corps et Compagnies. » Outre ces poursuites contre l'être collectif, le procès devait être fait aussi « aux principaux aueurs du crime et à leurs complices» (art. 5 dudit titre 21).

496. Notre Code pénal aujourd'hui n'a formulé aucune règle générale à cet égard; cela seul suffirait pour qu'en l'absence de disposition positive contraire on dût s'en tenir dans notre jurisprudence pratique au principe rationnel irresponsabilité pénale de l'être collectif, responsabilité pénale de chaque individu ayant pris part au délit, sauf le droit de dissolution en certains cas, suivant les conditions marquées par la loi (1). On peut voir en effet par certains articles du Code relatifs à quelques crimes ou délits particuliers (art. 123 et suiv., 127 et suiv., 292 et suiv.), que tel a été le système de notre législateur en règle ordinaire. Cependant nous trouvons encore un vestige des anciennes pénalités appliquées, contrairement aux principes rationnels, à des communautés ou corporations, dans la foi du 10 vendémiaire an IV, qui frappe les communes non-seulement de la responsabilité civile, mais même d'une amende, à raison de certains crimes ou délits commis sur leur territoire (2).

Quant à la responsabilité civile, dont nous aurons à traiter plus tard, elle existe en principe contre les personnes juridiques dans les limites de notre droit civil commun (3), et la même loi spéciale du 10 vendémiaire an IV l'a organisée tout exceptionnellement à l'encontre des communes (4).

§ 2. Exceptions provenant du droit public intérieur.

497. A ne considérer que l'idée de la justice absolue, tout homme, quel qu'il soit, du moment qu'il réunit en lui les facultés qui font la responsabilité morale, est punissable pour ses mauvaises actions. Notre raison, en justice absolue, ne conçoit pas

(1) Le Code de Bavière, art. 49, consacre ce principe; mais le Commentaire officiel en donne une bien mauvaise raison. Le même article étend l'irresponsabilité jusqu'aux réparations civiles en dommages-intérêts. (Voir la traduction de M. VATEL, p. 64.) (2) Loi du 10 vendémiaire an IV : Art. 2. Dans le cas où les habitants de la commune auraient pris part aux délits commis sur son territoire par des attroupements et rassemblements, cette commune sera tenue de payer à la république une amende Art. 3. Si les attroupements où égale au montant de la réparation principale. rassemblements ont été formés d'habitants de plusieurs communes, toutes seront responsables des délits qu'ils auront commis, et contribuables tant à la réparation des dommages-intérêts qu'au payement de l'amende. »

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(3) Le Code forestier, art. 72, en contient une application.

(4) Loi du 10 vendémiaire an IV, tit. 4, Des espèces de délits dont les communes sont civilement responsables.

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