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matières politiques et pour certaines matières civiles. De telle sorte qu'au fond le principe fondamental de la juridiction, après le long cours de quatorze siècles, revient à être ce qu'il était dans l'origine; mais le système en est savamment et régulièrement organisé ; il offre le profit de l'expérience, il a retenu et associé entre eux divers éléments produits dans cet intervalle; enfin, au lieu de reposer sur une idée d'inégalité, il repose sur l'idée contraire. Sous l'ère barbare si les hommes libres, sous l'ère féodale si les hommes de fief étaient appelés au jugement, il y avait des esclaves, il y avait des serfs qui n'y prenaient aucune part; il y avait une multitude de classifications distinctes dans les personnes. Aujourd'hui nous sommes tous égaux devant la loi, tous pairs les uns des autres. Et cependant tel est l'empire des traditions, que ces deux maximes contradictoires, si significatives pour qui sait les comprendre, l'une de la féodalité, « chacun doit être jugé par ses pairs, l'autre de la monarchie de droit divin, « toute justice émane du roi, se combinent, changent de sens et sont reproduites encore l'une à côté de l'autre jusqu'à notre temps.

57. Quant à la procédure, elle commence sous l'ère barbare par le principe accusatoire, avec la publicité des débats, et l'accusateur posé contradictoirement en face de l'accusé, sous la menace de la peine du talion s'il succombe. Mais quels sont les moyens de preuve? Après le flagrant délit, c'est l'aveu; et la torture apparaît, dans quelques lois barbares, comme moyen employé contre l'esclave ou le colon, même contre les hommes libres d'après la loi des Visigoths, pour obtenir cet aveu en matière capitale. A défaut de flagrant délit, d'aveu ou de conviction patente, l'accusé soupçonné doit se purger (1). Il le fera par le serment de son innocence, qu'il prêtera, suivant le cas et suivant la nation, avec trois, quatre, cinq, six, douze mains, et quelquefois jusqu'à soixante-douze chez les Francs Ripuaires, ou quatre-vingts chez les Allemands (jurare quarta, quinta, sexta manu, etc.), c'est-à-dire assisté de ses conjuratores, parents, alliés ou amis, au nombre fixé par la loi, qui, plaçant leur main sous la sienne pendant qu'il jure, attestent la foi due à son serment et l'appui qu'ils sont prêts à lui donner (2). A défaut de serment avec le nombre voulu de conjuratores, c'est

(1) Un grand nombre de textes dans les lois barbares et dans les documents de cette époque font voir que l'on recourt à la purgation par serment ou par ordalies sur les seuls soupçons, lorsqu'il n'y a pas de preuve certaine de l'accusation.

(2) La loi des Allemands décrit ainsi la forme du serment : « Les conjuratores posent chacun leur main sur la châsse des reliques, et celui qui doit jurer avec eux, plaçant sur toutes ces mains la sienne, prononce seul les paroles du serment, et jure par les reliques et par les mains qu'il tient, que Dieu lui soit en aide comme il n'est pas coupable. (Tit. 6, § 7.) - Dans le droit canonique, les conjuratores doivent prêter serment à leur tour. - Au moyen âge, postérieurement à l'époque barbare, un brave Suisse qui, attaqué, la nuit, seul, dans sa maison, a tué l'agresseur, s'en vient jurer avec trois brins de paille de sa maison, son chien, son chat et son coq, qu'il n'a fait cet homicide qu'en se défeudant. (Histoire de Suisse, de Jean de MULLER, t. III, p. 258.)

le jugement de Dieu, c'est-à-dire les ordalies (de Urtheil, jugement; en hollandais, Oordel), par le combat, par le fer rougi, par l'eau bouillante, par le sort, par la croix ou autres sortes d'épreuves qui décidera.

La féodalité emprunte ces formes et ces moyens de procédure, en les modifiant, suivant chaque lieu, dans les nuances et dans les détails de l'application (1). Toutefois elle a une prédilection marquée pour le jugement de Dieu par le combat, surtout quand il s'agit de seigneurs ou chevaliers. Elle règle les cas où il échet tournois ou gage de bataille, ceux où l'on peut combattre par champion, la manière de demander, d'obtenir et d'accepter le combat, les armes, suivant la qualité des parties, les conditions de la lutte et ses conséquences finales. En matière criminelle, la rigueur du droit est que le vaincu, s'il n'a pas péri dans la bataille, accusé ou accusateur, tant le champion que celui qui l'a donné, soit incontinent mis à mort (2). L'appel en ces temps consiste à fausser la cour, c'est-à-dire à l'accuser de fausseté et de déloyauté dans le jugement qu'elle a rendu, et à combattre contre chacun de ses membres (3). C'est de cet usage du combat judiciaire, maintenu longtemps en matière civile et en matière pénale, même à l'époque où la féodalité commence à être minée et à se détruire, que sort ce dicton coutumier: « Le mort le tort, et le battu paye l'a» mende (4). »

L'Église, qui a commencé par tolérer ces divers moyens de décision et par y intervenir quelquefois (5), ne tarde pas à les condamner (6). Elle n'en retient pour ses juridictions que la purga

(1) On trouve dans les Assises de Jérusalem comme moyens de preuve : les garants, qui ne sont pas identiques mais qui ont incontestablement quelque chose d'analogue aux conjuratores; la question; l'épreuve par le juyse ou barre de fer rougie, et celle par la bataille.

(2) Et toz homes vencus en champ de tex batailles deivent eistre pendus. (Assises de Jérusalem, Jacques d'Ibelin, § 19, édition de M. Beugnot.) Voir le § 23, quant au champion et à celui qui l'a donné. Cette rigueur n'a pas été partout ni toujours observée. (3) Qui fause la Court, convient que il se combate à tous ceaus de la Court, ou que il ait la teste copée. » (Ibidem, La clef des assises de la haute cour, § 140.)

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(4) Institutes coutumières de LovSEL, liv. 6, tit. 1, § 29, no 817 de l'édition de MM. Dupin et Laboulaye. Ces termes le battu paye l'amende font allusion à l'issue de la bataille pour meubles ou héritages, dans laquelle le vaincu perdait sa

avec amende.

cause

(5) On trouve dans les anciennes formules des exorcismes, recueillies et publiées par Baluze, à la suite des Capitulaires, le rituel qui devait être observé et les prières qui devaient être chantées par le prêtre pour l'accomplissement des diverses ordalies par l'eau chaude, par l'eau froide, par le fer incandescent ou autres épreuves.

(6) Voir dans le Corpus juris canonici, Décrétales, livre 5, tit. 35, De purgatione vulgari, le chapitre 1, qui interdit le combat, et le chapitre 3 l'épreuve par le fer incandescent, in quo Deus tentari videtur. Ces constitutions pontificales sont du douzième et du treizième siècle; mais la réprobation de ces usages par les Pères et par les conciles remonte bien plus haut; le droit canon (décret de Gratien, 2o partie, cause 2, question 5) nous offre à ce sujet des textes antérieurs de plusieurs siècles, que les papes étaient obligés de reproduire fréquemment, parce que la pratique continuait à T'emporter sur leur autorité.

tion par serment, avec un nombre déterminé de conjuratores: d'où vient à ce mode de justification le nom spécial de purgation canonique (1). Mais ensuite, au treizième siècle, par son caractère lettré, par sa propension à s'inquiéter de l'état des consciences et à chercher à y pénétrer, elle est amenée à produire, à développer graduellement un nouveau système de procédure pénale, le système inquisitoire, qui n'est admis d'abord que comme un procédé inférieur pour des cas exceptionnels (2), mais qui finit par dominer et par exclure le système accusatoire que l'Eglise tenait du droit romain, comme la féodalité l'avait tenu des barbares.

Des juridictions ecclésiastiques le système inquisitoire passe dans les juridictions temporelles; il y remplace ce qui restait encore des anciennes coutumes, et il devient finalement, à l'exception de l'Angleterre, le droit commun de toute l'Europe, avec ses informations d'office, ses interrogatoires et procès-verbaux couchés par écrit, son impitoyable développement de la torture, son secret durant tout le cours du procès, sa théorie des preuves légales, et son jugement sur pièces.

Enfin les excès du système inquisitorial sont réprouvés; la voix publique les signale et les flétrit; la législation les atténue ou les abandonne; puis, des éléments divers fournis par les régimes pré- . cédents, l'expérience fait sortir comme un composé, comme un système mixte de procédure pénale, dont une première partie emprunte ses caractères à l'information inquisitoriale, mais dont la seconde reprend toutes les garanties du système accusatoire (3), avec les seuls moyens de s'éclairer que la raison et la conscience puissent admettre : l'accusateur en face de l'accusé, le débat oral, les preuves de conviction, la liberté et la publicité des débats et de la défense. Le principe barbare, en matière de procédure, était que l'accusé doit se purger, et voici le principe civilisé : « C'est l'accusation qui doit prouver; jusque-là, l'accusé est réputé inno

cent. »

58. Si l'on résume ce tableau, déjà si concis, des vicissitudes par lesquelles ont passé la pénalité, les juridictions pénales et la procédure pénale en Europe, on voit, dans chacune de ces institu

(1) Corpus juris canonici, Déc., liv. 5, tit. 34, De purgatione canonica "... Deinde compurgatores super sancta Dei Evangelium jurabunt, quod ipsi credunt, eum verum jurasse. Voir aussi les textes antérieurs dans le décret de Gratien, loco citato.

(2) Les textes canoniques les plus anciens en date sur le système d'inquisition, sont d'Innocent III, ans 1212, 1213 et 1216, quoique avec des indices de germes antérieurs (voir ci-dessous, no 71). La procédure par inquisition ne doit avoir lieu que lorsqu'il y a une sorte de dénonciation par bruit public et avec vraisemblance; la peine contre celui qui n'a été condamné que sur une telle procédure doit être ordinairement mitigée. Corpus juris canonici, Décrétales, liv. 5, tit. 1, De accusationibus et inquisitionibus, ch. 16, 19, 21. Voir aussi les Instituta juris canonici, liv. 4, tit. 1, De accusationibus, denunciationibus et inquisitionibus.

(3) Voir l'abrégé de mon cours d'introduction historique à l'étude du droit pénal comparé; 1841, page 215.

tions, se succéder les trois ordres d'idées bien distincts qui suivent: En fait de pénalité 1° vengeance privée; 2° vengeance publique; 3° plus de vengeance, mais justice et nécessité sociale, répression et correction :

En fait de juridiction: 1° concours du chef avec les hommes libres ou les hommes de fief, grossièrement organisé, en des assises temporaires, dans une société fractionnée et inégale; 2o délégation du pouvoir royal, comme droit supérieur et divin, en des offices permanents, avec de grands efforts et des progrès marqués vers l'homogénéité; 3° concours du pouvoir exécutif et des citoyens, comme partie intégrante de la souveraineté, en des institutions permanentes et des assises temporaires, dans une société une et proclamant l'égalité devant la loi.

Enfin, quant à la procédure pénale : 1° système accusatoire et publicité, avec l'obligation pour l'accusé de se purger, et le serment, le combat ou les ordalies comme moyens de décision; 2o système inquisitoire, avec la torture, l'instruction écrite, le secret, les preuves légales et le jugement sur pièces; 3° système mixte, commençant par l'information inquisitoriale, terminé par le procédé accusatoire, avec l'obligation pour l'accusateur de prouver, le débat oral, les preuves de conscience et la publicité.

Dans la succession de ces trois ordres d'idées, en chacune de ces institutions, on voit la loi de génération qui conduit, par des transitions ménagées, de l'une à l'autre de ces idées; on voit la loi de propagande qui les communique d'un pays à l'autre, d'une époque à l'époque suivante; la loi de similitude, qui se révèle chez les nations européennes d'une manière ostensible si l'on s'en tient aux grands délinéaments et qu'on laisse de côté les détails, effacés dans une vue d'ensemble; enfin la loi du progrès, qui emploie même le mal temporaire pour s'accomplir, et qui laisse toujours en définitive ses résultats. Si le dernier ordre d'idées, dans chacune de ces institutions, ne présente pas encore en Europe une réalisation aussi complète ni aussi généralement étendue que l'ont fait, en leur temps, les idées précédentes, c'est que nous en sommes précisément à ce dernier ordre, et que là-dessus le travail est commencé en Europe, mais n'est pas terminé.

59. Après cette vue d'ensemble sur le cours des institutions elles-mêmes, nous pouvons passer plus sûrement à l'indication des sources d'où ont découlé ces institutions et leurs vicissitudes.

CHAPITRE II.

SOURCES DU DROIT PÉNAL FRANÇAIS.

Droit romain textes du Corpus juris civilis qui se réfèrent au droit pénal Droit canonique Corpus juris canonici. — Droit barbare: Lois germaniques, Capitulaires, Formules. Droit féodal consuetudines feudorum; les Leis et les costumes de Guillaume le Conquérant; les Assises de Jérusalem; plus, les documents du douzième et du treizième siècle : anciens établissements, coutumes et arrêts de quelques provinces, établissements de saint Lovys, coustumes et usages de Biauvoizins par Philippe de Beaumanoir. Droit coutumier: 1re série, appartenant à l'ère féodale; 2o série, depuis les réformes de saint Louis jusqu'à la rédaction officielle ordonnée par Charles VII (1453); 3o série, après cette rédaction. Ordonnances royales : influence de ces ordonnances sur la pénalité, sur les juridictions, sur la procédure pénale. Lois et codes depuis la révolution de 1789 corps de notre droit pénal actuel.

60. En tête de toutes les sources de notre ancien droit il en faut placer deux, générales, communes à toute l'Europe, auxquelles les autres se sont plus ou moins alimentées, et qui sont dérivées, l'une de l'ancienne Rome, l'autre de la Rome nouvelle le droit romain et le droit canonique.

Puis, à mesure que l'Europe passe par ces deux régimes successifs d'organisation, le régime barbare et le régime féodal, nous trouvons, l'une après l'autre, deux nouvelles sources, qui, bien que tenant à un système général répandu par toute l'Europe, se localisent et prennent leur spécialité dans chaque État : le droit barbare, et après lui le droit féodal.

Dans tout le cours de ces deux périodes, suivant de jour en jour l'esprit qui y règne et les modifications qui s'y produisent, deux autres sources se rencontrent constamment l'une introduite par l'usage des populations dans chaque localité; l'autre par l'autorité dans toute l'étendue de son territoire : le droit coutumier, et les ordonnances de l'ancienne monarchie jusqu'à la révolution de 1789.

Enfin les lois et les codes survenus depuis cette révolution. Tel est l'ensemble des monuments sur lesquels s'est fondé, dans son développement historique, le droit pénal français.

§ 1. Droit romain.

61. Il s'en faut de beaucoup que les jurisconsultes romains aient traité ce qui concerne le droit pénal avec cette supériorité de raison et cette valeur scientifique que nous rencontrons dans leurs écrits sur certaines matières de droit privé. Toutefois, la législation romaine a exercé en Europe, sur ce point comme sur les autres, une influence dont nous apercevons la trace dans le droit canonique,

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