Images de page
PDF
ePub

nons la définition dans Pothier, «le fait par lequel une personne, par dol ou malignité, cause du dommage ou quelque tort à une autre; tandis que le quasi-délit était le fait par lequel une personne a causé le tort « sans malignité, mais par une imprudence qui n'est pas excusable (1). » Cette acception était reçue même par les criminalistes (2), qui employaient néanmoins le mot dans un autre sens; et c'est celle qui a cours encore aujourd'hui dans l'interprétation de cette rubrique de notre droit civil: Des délits el des quasi-délits (Code Nap., art. 1382 et suiv.) (3) sans s'inquiéter si les faits dont il s'agit sont frappés ou non d'une peine publique, parce que le droit civil ne les envisage qu'au point de vue de l'obligation privée qui en naît de réparer le préjudice.

563. Au contraire, en droit pénal, le délit dans un sens générique (lato sensu) sera tout fait tombant sous le coup de la loi pénale et méritant une peine publique, sans distinction de ceux qui sont graves ou de ceux qui sont légers. C'est ainsi que le terme est communément employé dans la science théorique; qu'il l'était aussi fort souvent dans l'ancienne jurisprudence criminelle; qu'il figurait dans l'intitulé du Code des délits et des peines du 3 brumaire an IV; et qu'il figure encore dans notre pratique et dans plusieurs articles soit de notre Code pénal, soit de nos autres lois répressives, notamment en ces expressions consacrées, flagrant délit (C. I. Cr., art. 41, 59 et suiv.), délits connexes (Ibid., art. 226 et 227), corps du délit (C. pén., art. 11).

564. Cette seconde signification est plus restreinte sous certains rapports, et sous d'autres rapports moins restreinte que celle qui précède: - plus restreinte, car il y a des délits de droit civil, c'est-à-dire des violations de droit commises avec mauvaise intention et causant un préjudice à autrui, qui ne sont point frappées de peines publiques et ne constituent pas de délit en droit pénal;

moins restreinte, car il y a des quasi-délits de droit civil, c'est-à-dire des violations de droit commises sans mauvaise intention, qui sont frappées néanmoins de peines publiques et constituent des délits de droit pénal. - D'un autre côté, la circonstance qu'il y a eu préjudice est une condition essentielle du délit et du quasi-délit de droit civil, puisque ce droit ne s'occupe que de la réparation du préjudice; tandis que le délit pénal existe par cela seul que l'acte coupable a été commis, même lorsqu'il n'a pas eu de suites dommageables. Le préjudice occasionné est sans doute un élément à considérer en droit pénal pour la mesure

(1) POTHIER, Traité des obligations, partie 1, ch. 1, section 2, § 2. (2) JOUSSE, Traité de la justice criminelle, part. 4, tit. 60, Des quasi-délits. (3) Rien n'empêcherait toutefois d'entendre aujourd'hui, dans cette rubrique, par délit, tout fait préjudiciable au droit d'antrui puni par la loi; et par quasi-délit tout fait préjudiciable au droit d'autrui non puni par la loi. Mais cette interprétation, plus conforme au droit romain et qui éviterait des doubles sens, serait beaucoup moins conforme à notre ancienne jurisprudence et à la filiation historique de notre Code,

de la peine; mais il ne forme pas une condition essentielle pour l'existence du délit.

565. Enfin, dans un troisième sens plus étroit, reçu dans l'usage ordinaire de notre langue, on n'entendra plus par délit que des faits punissables d'une gravité peu élevée, réservant pour les délits plus graves le nom de crime. Spécialement en notre droit pénal positif, les délits, dans cette troisième acception plus étroite (stricto sensu), seront uniquement les actes punis de certaines peines que notre loi a qualifiées de peines correctionnelles.

566. D'où il suit que l'expression de délit est une expression trop générale, qui se prend, précisément à cause de cette trop grande généralité, dans un sens tantôt plus, tantôt moins restreint; et dont la diversité d'acception dénote une langue scientifique mal faite; mais difficilement on voudrait changer de tels usages: il nous suffira d'en avoir signalé les variations.

§ 2. Définition.

567. Si, après la question du mot (quæstio nominis), nous passons à celle de l'idée elle-même, et que, prenant le délit dans son sens le plus large en droit pénal, nous cherchions à le définir, c'est-à-dire à marquer les confins, à le déterminer, c'est-à-dire à poser les termes entre lesquels il existe et hors desquels il n'existe plus, nous trouverons une grande différence entre la science rationnelle et la jurisprudence pratique dans cette défi

nition.

568. La science rationnelle, sans se préoccuper d'aucun texte législatif, lesquels peuvent être bons ou mauvais, cherche ce qu'est le délit en soi, suivant les vérités mêmes qui servent de fondement à la pénalité sociale. Il ne suffira pas de dire, en considérant le délit dans la personne de l'agent, qu'il est la violation d'un devoir, ni, en le considérant dans la personne du patient, qu'il est la violation d'un droit; il faut arriver aux caractères distincts qui le constituent, et qui lui servent en même temps de limite. Or c'est là précisément un problème que nous avons démontré appartenir à la théorie fondamentale du droit pénal, et dont nous avons déjà donné la solution (ci-dessus, n° 203 et suiv.), en disant que le caractère, la mesure et la limite des délits, pour la pénalité humaine, sont renfermés dans ces deux conditions: que l'acte soit, d'une part, contraire à la justice absolue, et d'autre part, qu'il importe à la conservation ou au bien-être social qu'il soit réprimé. Il ne s'agit plus que d'en faire sortir quelques conséquences de détail.

569. Les nécessités morales imposées à l'activité de l'homme étant des nécessités d'action ou d'inaction, la justice absolue et les intérêts sociaux peuvent se trouver lésés par la violation soit des

unes soit des autres; d'où il suit que le fait constitutif du délit peut être soit une action soit une inaction.

570. Et comme les actes psychologiques purement internes, renfermés en l'homme sans aucune manifestation au dehors, quelque condamnables qu'ils puissent être aux yeux de la justice absolue, ne sauraient compromettre ni affecter les intérêts sociaux, sans compter que la justice sociale serait impuissante à saisir la preuve de leur existence et à les constater, il va sans dire que les actions ou inactions constitutives de délits ne peuvent être que des actions ou inactions à l'extérieur.

571. Mais faut-il que ces actions ou inactions aient été prévues et menacées de peine à l'avance par la loi; ou bien toutes les fois qu'elles auront par elles-mêmes ce double caractère d'être à la fois contraires à la justice absolue et contraires à l'intérêt de conservation ou de bien-être social, cela suffira-t-il, même en l'absence de toute loi antérieure, pour qu'elles soient punissables par la société? 572. Si l'on ne décidait la question que par les principes de la justice absolue, il faudrait répondre affirmativement. Qu'importe, en effet, qu'un acte ait été prévu ou non prévu à l'avance? S'il est bon ou mauvais en soi, il mérite, aux yeux de cette justice, récompense ou châtiment. Mais la pénalité sociale ne s'appuyant pas seulement sur les idées de justice absolue et devant avoir pour base à la fois le juste et l'utile, il faut voir si, quant à cette pénalité, quelque considération majeure d'utilité publique ne demande pas qu'il en soit autrement.

573. Nous n'invoquerons pas ici comme raison déterminante la nécessité que chacun ait été préalablement averti, ou ait eu du moins la possibilité de l'être. Cette raison, décisive à l'égard des délits variables qui tiennent uniquement aux intérêts, aux situations ou aux usages particuliers de chaque pays, et qui n'ont qu'une criminalité locale, serait impuissante du moment qu'il s'agit de crimes ou de délits de droit général, tels que le meurtre, le vol, l'incendie, qui sont tels en tous les temps et par tous les pays. Nous avons démontré du reste à quoi se réduit la prétendue présomption que nul n'est censé ignorer la loi, et comment on peut être puni, même à l'égard des délits variables, en vertu de dispositions qu'on a complètement ignorées (ci-dessus, no 388).

La vraie et majeure raison, c'est qu'il n'y aurait aucune sécu rité pour les habitants si la pénalité était, même à l'égard des actes passés, à la merci du législateur ou du juge. La loi et les juridictions pénales, qui sont faites dans les sociétés pour donner sécurité à la population, deviendraient elles-mêmes une cause d'alarmes, d'inquiétude incessamment suspendue sur chacun et feraient souvent en cela un mal plus grand que le mal auquel elles auraient pour but de remédier.

574. Joignez à cette observation que la société, dans sa législation et dans ses juridictions répressives, ne joue pas un rôle èn

tièrement conforme à celui de la pure justice. Étant toujours ellemême lésée par les délits, et n'ayant le droit de s'immiscer dans la répression qu'à cause précisément de cet intérêt, elle est à la fois juge et partie dans cette répression, soit qu'elle la décrète, soit qu'elle l'applique. C'est là un vice inévitable de situation que les institutions publiques doivent s'efforcer de pallier. La loi décrétée à l'avance, qui pose au moins une barrière aux ressentiments, aux passions ou aux exagérations du moment, est un des palliatifs indispensables à cette imperfection.

575. Ainsi la raison démontre qu'il est dans les conditions imparfaites de la pénalité humaine de ne frapper un acte, quelque condamnable moralement et quelque nuisible socialement qu'il puisse être, qu'en vertu d'un texte de loi antérieurement édicté.

576. Nous disons un texte de loi, c'est-à-dire un acte émané du pouvoir législatif. La pénalité, en effet, ou l'emploi d'un mal infligé au nom de la société comme châtiment public, à raison d'actes qui vont se trouver défendus ou commandés à l'activité de l'homme, est chose assez grave pour que le soin de la décréter ne soit pas abandonné au pouvoir chargé seulement de gouverner, d'administrer, d'exécuter. Les mêmes raisons de sécurité générale qui exigent que la disposition pénale soit antérieure aux faits poursuivis, exigent aussi que cette disposition soit une loi. Quelle que soit l'organisation politique du pays, et quelque légère que soit la peine; du moment qu'il y a peine publique, on peut tenir pour constant, en principe rationnel, que l'autorité législative seule a le droit de l'édicter.

577. Cependant il est impossible de méconnaître que dans les nécessités quotidiennes de la vie des hommes en société il entre un grand nombre de prescriptions de détail, à faire sous la sanction d'une peine, qui sont essentiellement variables suivant Texigence du moment et des circonstances, que le législateur n'est pas à même de fixer à l'avance, d'ordonner ou de retirer en temps opportun tandis que le pouvoir chargé de l'administration se trouve en mesure, par ses fonctions mêmes, de faire à propos et en parfaite connaissance cette appréciation, et de donner avec la célérité convenable les ordres qui doivent en découler. Comment concilier les exigences de cette situation avec le principe exposé au paragraphe précédent?

578. On y parvient simplement à l'aide du procédé que voici : le législateur lui-même, soit dans chaque loi spéciale dont l'application aura besoin d'être organisée par un règlement de détail, soit comme règle générale d'attributions pour certains objets à l'avance déterminés par lui, délégue expressément à l'autorité gouvernementale ou administrative le soin de faire sur ces objets les règlements nécessaires, et fixe lui-même par un texte de loi la peine qui sera applicable en cas de violation de ces règlements. Le détail de l'incrimination se prend alors dans le texte du règle

ment et la peine dans la loi; le délit que prévoit et frappe le législateur, c'est la violation du règlement.

579. Inutile de dire qu'il en est, et à plus forte raison, du rẻglement comme de la loi en ce qui concerne l'antériorité de temps: il n'y aura que les actes postérieurs à la fois et à l'une et à l'autre qui pourront en être atteints; la contravention au règlement ne peut pas exister, en effet, avant le règlement, ni être punissable avant la loi qui l'a frappée de peine.

580. Remarquons, pour terminer cette exposition rationnelle, que les mêmes principes ne sont pas applicables à la responsabilité civile, parce que les mêmes raisons d'utilité publique ne viennent mettre ici aucune restriction à ce qu'exige la justice relative aux intérêts privés. Tout fait, par cela seul qu'il est injuste et préjudiciable, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à rẻparer le préjudice qui en est résulté, sans qu'il y ait à se préoccuper de savoir si ce fait avait été ou non spécialement prévu et défini par une loi ou par un règlement antérieurs.

581. Le droit romain n'avait pas suivi la règle de pénalité que nous venons d'établir. Indépendamment des crimes qui faisaient l'objet d'une loi spéciale déterminant la peine, organisant la juridiction et la procédure, crimes qui, seuls, donnaient lieu aux instances qualifiées de publica judicia (1), on connaissait dans ce droit les crimes abandonnés à l'appréciation du magistrat, jugés et punis par lui hors des règles ordinaires (extra ordinem), en vertu de son propre pouvoir (ex officio), et nommés à cause de cela extraordinaria crimina (2).

582. Cet exemple n'a pas été sans influence sur la jurisprudence générale de l'Europe, particulièrement sur la pratique suivie en notre pays, et tout en se modifiant il y a produit des résultats analogues. La maxime que les peines étaient presque toutes arbitraires en notre royaume (3), avait pour effet, non-seulement de permettre aux juges, avec certaines restrictions il est vrai, de modifier en plus ou en moins, suivant les circonstances, les peines édictées par les ordonnances, ou établies par l'usage; mais surtout d'arbitrer, suivant leur propre appréciation, les peines qu'ils croiraient convenable d'appliquer à des cas non prévus. Ils avaient

[ocr errors]

(1) DIG., 48, 1, De publicis judiciis, 1, Fr. Macer. (2) DIG., 47, 11, De extraordinariis criminibus. 48, 19, De panis, 13, Fr. Ulp. Hodie licet ei, qui extra ordinem de crimine cognoscit, quam vult sententiam ferre, vel graviorem, vel leviorem ita tamen, ut in utroque modo rationem non excedat. » - Voir là-dessus notre Explication historique des Instituts de Justinien, liv. 4, tit. 18, De publicis judiciis, et les passages de notre Histoire de la législation romaine qui s'y trouvent indiqués.

:

[ocr errors]

(3) Pareillement auiourd'huy les peines sont arbitraires en ce Royaume. (IMBERY, Practique tant civile que criminelle, liv. 3, ch. 20, p. 686.) Les amendes et peines coutumières ne sont à l'arbitrage du juge; les autres si.» (LOYSEL, Institutes coutumières, liv. 6, tit. 2, règle 2.)

« PrécédentContinuer »