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tions de simple police, au contraire, le nombre annuel va en croissant d'une manière très-notable. Cet accroissement, variable et offrant des alternatives accidentelles si l'on considère chaque année séparément, est continu d'une période quinquennale à l'autre en ce qui concerne les délits de police correctionnelle, et la moyenne des cinq dernières années (1846 à 1850) offre sur celle des cinq premières (1826 à 1830) une augmentation de 41 pour 100 (1). Si même on met à part les délits spéciaux frappés par les lois forestières et fiscales, pour ne considérer que les délits communs frappés par le Code pénal ou par les lois qui s'y rattachent, on trouve que le nombre de ces délits communs de police correctionnelle a plus que doublé de 1826 à 1850 (2). -A l'égard des contraventions de simple police, l'augmentation, quoique moins régulièrement continue dans sa marche ascendante, est non moins considérable, et de 1826 à 1850, le nombre de ces sortes de contraventions est aussi plus que doublé (3).

694. N'oublions pas, à l'égard de ces chiffres, que nos statistiques criminelles, publiées par le ministère de la justice, ne tiennent compte que des infractions à la loi pénale qui ont fait l'objet de poursuites et qui ont été jugées par nos juridictions ordinaires; de sorte que tous les faits non déférés à ces juridictions ou en dehors de leur compétence restent également en dehors de nos chiffres. Nous ne parlons pas des crimes, des délits ou des contraventions commis en réalité, mais seulement des affaires portées, avec l'une ou l'autre de ces qualifications, devant nos tribunaux de droit commun.

§ 5. Délits politiques ou non politiques.

1° Suivant la science rationnelle.

695. L'Etat, nous le savons, c'est-à-dire la société, la nation organisée et vivant en être collectif, partie intéressée déjà dans tout délit quelconque, peut se trouver lui-même directement attaqué par le délit; le délit peut être dirigé directement contre lui (ci-dess., no 546). Or, parmi les actes nombreux dont il peut être ainsi le sujet passif, il en est qui portent un caractère distinct et qui méritent une attention à part.

696. Un peuple, être collectif, formé par la réunion d'êtres individuels humains de tout âge et de tout sexe, bien qu'il soit érigé en personne morale, n'est point une personne réelle, et ne peut agir par conséquent comme tel par lui-même. Il faut qu'il se fa

(1) Voir dans la même statistique le tableau D. La moyenne des cinq premières années, 1826 à 1830, est de 119,446, et celle des cinq dernières années, 1846 à 1850, de 169,026. Même observation qu'à la note précédente quant à l'augmentation de population.

(2) Voir le rapport précédant la même statistique, page LII.

(3) De 1826 à 1830, la moyenne est de 97,568 par an; de 1846 à 1850, est de 197,343. (Même rapport, pages LXXVIt et suiv.)

elle

conne en quelque sorte à l'image d'un homme; qu'il se crée, en y employant de diverses manières les individus dont il se compose, des organes de sensibilité, d'intelligence, de résolution et d'activité collectives, par lesquels il puisse exercer ses facultés et ses forces en dedans de lui comme au dehors. C'est lorsqu'un peuple, bien ou mal, est ainsi organisé, c'est-à-dire pourvu d'organes publics, ainsi constitué, c'est-à-dire établi et coordonné en un seul corps ayant sa vie et ses fonctions à lui, c'est alors, et seulement alors, qu'il prend le nom d'un Etat.

697. Que la constitution soit conçue dans tel système ou dans tel autre; assise sur des précédents, sur des usages plus ou moins anciens ou sur des actes écrits; imposée, acceptée ou décrétée avec un assentiment plus ou moins général, pour le moment la question n'est pas là: ce qui concerne cette organisation des grands pouvoirs publics de l'Etat, la part que les divers membres ou que certains membres de l'association peuvent être appelés à prendre à ces pouvoirs, le jeu de leur mécanisme et leur fonctionnement à l'intérieur ou à l'extérieur, la direction générale et supérieure des affaires de l'Etat qui en résulte, tout cela est compris sous le nom de politique, ordre politique, mot dont la racine, qui réveille l'idée même de la cité, nous est connue (ci-dess., no 612), et dont l'acception peu arrêtée est prise, suivant l'occurrence, en des sens plus ou moins étendus.

698. A part cette formation et ce fonctionnement des grands pouvoirs publics, un autre point fort important est à considérer dans la constitution de l'Etat: Quelle est la condition qui y est faite aux êtres individuels par rapport à l'être collectif? En quelque sorte ce que chacun met de sa propre personne dans l'association.et ce qu'il peut en retirer, comme qui dirait sa mise et sa part sociales? -Les individus y sont-ils divisés par castes ou par classes différentes, ayant des droits inégaux, ou bien y a-t-il entre tous égalité de droits? La propriété individuelle et la liberté pour chacun de son activité y sont-elles assises et garanties pleinement, ou coordonnées elles-mêmes en de certains arrangements restrictifs, ou détruites dans tel ou tel système de propriété et de labeur collectifs, avec asservissement à l'Etat de l'activité et des forces individuelles? Une seule religion collective y est-elle imposée, toutes les autres étant proscrites, ou bien y a-t-il et dans quelle mesure y a-t-il liberté individuelle de croyance ou de culte? Questions analogues pour la liberté individuelle d'émettre sa pensée par les divers moyens de publication et notamment par la voie de la presse, pour la liberté individuelle de sa personne et l'inviolabilité de domicile sous l'action de la force publique, pour la liberté individuelle de réunion ou d'association entre particuliers? Et jusqu'à quel point les étrangers, qui s'ils ne font pas partie de la société spéciale de l'Etat n'en font pas moins partie de la grande société humaine, participeront-ils à ces diverses conditions ou en seront

ils exclus? Ces autres éléments de la constitution de l'Etat sont compris aussi sous le mot de politique, ordre politique, si l'on prend ce mot jusque dans sa racine et dans son étendue la plus large; mais pour y mettre une distinction plus marquée, on les a désignès, de nos jours surtout, par les mots d'ordre social, organisation sociale, réservant ceux d'ordre ou d'organisation politique pour tout ce qui se réfère à la formation et au mécanisme des grands pouvoirs publics.

699. Si l'on suppose maintenant que des actes soient commis ayant pour but, par des moyens contraires à la loi et frappés de peines par elle, soit de renverser ou de modifier cette organisation des grands pouvoirs publics de l'Etat ; soit de détruire, d'affaiblir ou de déconsidérer l'un de ces pouvoirs; soit d'étendre ou de restreindre la part que les divers membres ou que certains membres de l'association sont appelés à y prendre; soit d'exercer, dans un sens ou dans un autre, une action illégitime sur le jeu de leur mécanisme ou sur la direction générale et suprême qui en résulte pour les affaires de l'Etat; soit de détruire ou de transformer en quelqu'un de leurs éléments ou en tous les conditions sociales. faites par la constitution aux individus; soit enfin de susciter des troubles, des haines, ou des luttes de violence dans la société à propos de l'un ou de l'autre des objets qui précèdent: ces actes, tous puisés à une idée commune d'atteinte à l'ordre social ou à l'ordre politique établis, seront qualifiés de délits politiques. Par opposition, tous les délits qui n'auront pas ce caractère seront des délits non politiques. On les trouve nommés quelquefois aussi, dans le sens de la même opposition, délits ordinaires, délits communs ou de droit commun; mais l'antithèse n'est pas complète ces dernières dénominations, si variables d'ailleurs par elles-mêmes, comme nous l'avons déjà montré (ci-dess., no 649 et suiv.), ne désignant, dans toutes les hypothèses, que certaines catégories de délits non politiques.

700. Le but et le caractère général des délits politiques étant connu, il reste à en déduire si rationnellement ces délits doivent être séparés, en droit pénal, des délits non politiques; par quels motifs et en quoi ils doivent en être séparés.

701. Au point de vue de la justice, cette organisation des grands pouvoirs publics de l'Etat, que le délit politique avait pour but de modifier on de détruire, a-t-elle une origine légitime ou illegitime? A part même son origine et en la considérant en elle-même, estelle en accord, dans ses arrangements, avec la justice ou ne la bresse-t-elle pas? Ce pouvoir attaqué est-il légitimement ou illégitimement établi? L'action qui lui est donnée dans le mécanisme social est-elle conforme à la raison du droit ou n'est-elle pas exagérée jusqu'à blesser cette raison? Ce pouvoir se renferme-t-il dans la limite qui lui est assignée, ou n'est-il pas sorti de cette limite et n'a-t-il pas ainsi rompu lui-même l'ordre politique dont

il faisait partie? La part qui est faite à certains membres ou aux divers membres de l'association, soit dans les charges et dans les avantages sociaux, soit dans la participation aux pouvoirs politiques, est-elle dans une proportion équitable, ou ne crée-t-elle pas, au bénéfice des uns et à l'encontre des autres, des inégalitės injustes et choquantes ? La direction générale et supérieure donnée aux affaires de l'Etat est-elle conforme aux lois de cet Etat et à l'esprit de ses lois, ou n'y est-elle pas contraire? Ces diverses questions s'agitent, l'une ou l'autre, quelquefois plusieurs réunies, au fond des délits politiques.

702. Tous les gouvernements, tous les pouvoirs établis sont convaincus ou s'annoncent comme convaincus de leur légitimité, de la légitimité de l'organisation politique dont ils font partie, de la légitimité des actes par lesquels ils exercent leurs fonctions, de la direction qu'ils y donnent, et la plupart ne permettent pas même de mettre en doute cette légitimité. Celui-ci invoquera une tradition de plusieurs siècles, un droit de succession dynastique ou un droit de conquête par les armes que le temps a consolidé; celui-là un vote d'assemblée délibérante, ou un mouvement général de révolution avec adhésion tacite de la nation; cet autre un suffrage universel recueilli et compté en forme; tandis qu'on contestera aux uns ou aux autres, suivant le cas, le droit de succession patrimoniale appliqué aux peuples, le droit de conquête ou de prescription, le pouvoir d'une assemblée délibérante restreint, la généra lité du mouvement révolutionnaire, la réalité de l'adhésion tacite, la sincérité des opérations ou la liberté des votes dans le suffrage universel; et qu'en fin de cause on niera que la nation puisse jamais, en ce qui concerne sa propre organisation, enchaîner sa volonté souveraine et cesser d'être maîtresse de sa destinée. Les divergences sont bien plus grandes encore lorsqu'il s'agit de la justice ou de l'injustice des systèmes politiques et des systèmes sociaux considérés en eux-mêmes, des arrangements qu'ils consacrent et de la part qui y est faite aux divers membres de la société. -Les idées les plus opposées ont cours, sur tous ces points, parmi les partis, considérées comme justes par les uns, comme iniques par les autres, et consacrées, suivant les hasards de la fortune, dans un pays ou dans un autre, dans un temps ou dans un

autre.

Je suppose que la raison du droit, qui existe en ces sortes de relations humaines comme en toutes les autres, s'élève au-dessus de ces opinions divergentes des partis, et vienne démontrer que véritablement le droit est pour tel système d'organisation sociale et politique, pour tel pouvoir établi toujours est-il que ceux qui allaquent ce système ou ce pouvoir agissent mus par d'autres convictions et sous l'empire des idées contraires. Dira-t-on qu'on ne s'inquiète pas, lorsqu'il s'agit de punir un voleur, un meurtrier, un incendiaire, de savoir si, par une aberration de sa raison,

il ne s'est pas fait une théorie qui légitime le vol, le meurtre ou l'incendie? Mais celui-ci est en opposition avec le sentiment général et partout reçu de la justice; il cherche en vain à se tromper lui-même et ne peut échapper au cri réprobateur de sa conscience. Celui-là, au contraire, s'abuse en des questions où, de la meilleure foi, l'esprit humain vacille lui-même et se divise de toute part. Même en se trompant, il invoque une justice dans laquelle il croit, et dans sa croyance il a l'assentiment, souvent les sympathies de plusieurs, au dedans comme au dehors. Voilà pour la légitimité.

703. Veut-on prendre le côté de l'utilité : cette organisation sociale ou politique est-elle celle qui convient le mieux à la nation et qui peut le mieux assurer sa prospérité, ou n'est-elle pas directement contraire à cette prospérité? Ce pouvoir établi use-t-il des fonctions qui lui sont confiées dans l'intérêt de tous, ou ne cherchet-il pas à les tourner à son intérêt propre, au détriment du bien public? La direction qu'il donne aux affaires de l'Etat est-elle une bonne direction, conduisant à l'avantage commun, ou n'est-elle pas une direction funeste, conduisant à des calamités qu'il est urgent d'éviter? Ne se trouve-t-on pas dans une crise où le salus populi s'érige en loi suprême? et l'heure n'est-elle pas venue d'acheter, au prix de commotions et de déchirements momentanés, le bien-être de l'avenir? Les gouvernements, les pouvoirs établis, comme leurs adversaires, invoqueront toujours le bien public; le bien public est un manteau dont chacun se couvre dans l'arène politique, et les partis et la population seront divisés bien plus ardemment sur ces questions que sur les précédentes.

704. Ce n'est pas à dire que les délits politiques n'aient en euxmêmes aucune criminalité, ou, en d'autres termes, qu'aux yeux de la science ils n'existent pas comme délits. Le relâchement des caractères publics, les fluctuations multiples par lesquelles ont ondoyé, de nos jours, les Etats et nous avec eux, l'habitude de voir si souvent les mêmes hommes passer de la condamnation au pouvoir et du pouvoir à la condamnation, ne disposent que trop à tirer des faits une telle conclusion. Nous sentons vivement la criminalité du délit qui attaque l'homme privé, parce que chacun dans un tel délit se voit déjà menacé lui-même. Nous sommes pleins de faiblesse à l'égard du délit qui s'en prend à l'Etat, parce que le mâle sentiment du lien qui attache l'individu au tout dont il fait partie demande une pensée plus haute, avec une âme moins vulgaire.

Si l'ordre social ou politique attaqué a pour lui le droit, dans son origine, dans son existence, dans ses conditions, la criminalité du délit qui y porte atteinte, aux yeux de la science rationnelle est hors de doute, que l'atteinte vienne de personnes privées, ou de quelqu'un des pouvoirs en révolte ouverte ou en hostilité sourde contre les propres lois de son existence.

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