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forcés à temps ou à perpétuité, toutes peines de droit commun, notre jurisprudence pratique n'aurait rien à y changer; mais si c'est la peine de mort, cette peine se trouve abolie, et la peine nouvelle qui la remplace y doit être substituée.

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737. La place que les crimes et les délits politiques occupent dans notre pratique pénale sous le rapport du nombre n'est pas aussi considérable qu'on pourrait se l'imaginer. En cherchant à extraire la moyenne des affaires de cette nature jugées par nos juridictions ordinaires dans les vingt dernières années qu'embrassent nos statistiques (de 1831 à 1850) nous trouvons que cette moyenne est, pour les crimes politiques, de 29, et, pour les délits politiques, de 196, par an. Comparés à la moyenne annuelle totale des poursuites pour crimes ou pour délits correctionnels de toute nature (ci-dess., n° 691), ces chiffres reviennent, en négligeant les fractions, à cinq pour mille à l'égard des crimes et à un pour mille à l'égard des délits. Nous devons faire observer toutefois que les qualifications de crimes ou délits politiques, d'après lesquelles sont recueillis ces nombres, ne sauraient être d'une exactitude rigoureuse. Quant aux crimes politiques, ce n'est que par les indications très-générales portées dans les tableaux statistiques que nous avons pu juger de leur caractère (1). Quant aux délits polilitiques, ce sont ceux dont la connaissance a été attribuée comme tels ou comme réputés tels aux cours d'assises (2) qui figurent dans ces nombres; y compris les délits de presse, quoique plusieurs, de ces derniers surtout, ne soient pas politiques (3), et en excluant les contraventions ou délits non intentionnels (4). Enfin, quant aux uns et aux autres, restent en dehors de nos chiffres les affaires politiques, en petit nombre, jugées par la cour des pairs, par l'une ou l'autre des deux chambres, ou par la haute cour de justice, et celles, bien plus nombreuses, jugées par les conseils de guerre, depuis la révolution de 1848, lors des mises en état de siége.

738. Si du nombre des affaires nous passons à celui des personnes poursuivies, la moyenne sera, durant ce même espace de temps, pour les crimes politiques, de 108 accusés par an, et, pour les délits politiques, de 333 prévenus; soit, par comparaison avec le nombre total des personnes poursuivies pour crimes ou

(1) Indépendamment du compte porté sous la rubrique crimes politiques dans le tableau général pour les années 1826 à 1850 (Etat C, en tête de la statistique de 1850), c'est d'après le tableau de chaque année (état 1) que nous avons formé les chiffres qui sont donnés ici.

(2) Par la loi du 8 octobre 1830 ou par les lois spéciales subséquentes.

(3) Tels, par exemple, que les attaques contre la morale, les publications obscènes, les diffamations ou outrages envers des fonctionnaires publics.

(4) Voir, dans nos statistiques efiminelles, les états LX pour 1831, LXIII pour 1832, LXVIII pour 1833, LXV pour 1834, LXIX pour 1835, LXXI pour 1836, et LXXIII pour toutes les années suivantes.

pour délits correctionnels dé toute nature (ci-dess., n° 692), en' négligeant les fractions, sur mille accusés, 14 pour crimes "politiques, et, sur mille prévenus, 16 pour délits politiques.

739. Nous venons de procéder, pour tout un intervalle de vingt années, par moyennes annuelles; mais les choses, surtout à l'égard des crimes ou des délits politiques, sont bien loin de se passer ainsi. Rien de plus inégal que la répartition de cette nature de crimes ou de délits entre les différentes années. Les temps de révolution, d'effervescence et d'agitations politiques en augmentent subitement et considérablement le nombre, qui décroît ensuite, jusqu'à des chiffres presque inaperçus, dans les temps de calme. La nature des institutions y a aussi son influence: il est clair, par exemple, que si la censure est dans un pays, il n'y sera plus guère question de délits de presse. Partageons en quatre périodes de cinq années chacune les vingt ans écoulés de 1831 à 1850, nous trouverons pour moyenne, à l'égard des crimes: de 1831 à 1835, 90 crimes politiques par an; de 1836 à 1840, 13; de 1841 à 1845, 4; de 1846 à 1850, 9; et à l'égard des délits correctionnels de 1831 à 1835, 405 délits politiques par an; de 1836 à à 1840, 63; de 184 à 1845, 42; de 1846 à 1850, 272. Après avoir été à son plus haut point dans la période qui suit la révolution de 1830, la moyenne s'abaisse de plus en plus dans les périodes qui viennent après, pour se relever ensuite dans celle qui comprend la révolution de 1848. Un mouvement analogue se produit dans le nombre des personnes poursuivies : de 1831 à 1835, 249 accusés de crimes politiques par an; de 1836 à 1840, 30; de 1841 à 1845, 35; de 1846 à 1850, 120; et pour les délits, de 1831 à 1835, 640 prévenus de délits politiques par an; de 1836 à 1840, 91; de 1841 à 1845, 67; de 1846 à 1850, 532.

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Enfin, si, restreignant davantage le compte, c'est chaque année en elle-même qu'on examine, on verra que les années qui présentent les chiffres les plus élevés sont, pour les crimes politiques, celles de 1831 à 1834; et pour les délits politiques, d'une part les deux qui ont suivi la révolution de 1830, savoir 1831 et 1832, et d'autre part celles qui ont suivi la révolution de 1848, savoir 1849 et 1850 (1). On verra qu'en fait de crimes politiques, les seules années au-dessus de la moyenne générale (ci-dess., n° 738) sont les années 1831 à 1834; 1836 atteint exactement cette moyenne; toutes les autres sont au-dessous, et les chiffres, qui depuis 1833 jusqu'en 1848 exclusivement, suivent une diminution presque constante, finissent par tomber, en 1845 et en 1846, à zéro. En fait de délits politiques, les seules années au-dessus de la moyenne

(1) Pour les crimes politiques: 1831, accusations 152, accusés 533; 1832, accusations 325, accusés 1010; 1833, accusations 191, accusés 665. Pour les délits politiques: 1831, affaires 671, prévenus 1038; 1832, affaires 602, prévenus 939; 1849, affaires 546, prévenus 1137; 1850, affaires 632, prévenus 6661.

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générale (ci-dess., n° 738) sont, d'une part, les années 1831 à 1834, et, d'autre part, les années 1849 et 1850. Les chiffres suivent aussi une diminution presque constante de 1832 jusqu'en 1848, où ils commencent à se relever; on les voit tomber jusqu'à 32, 29, 33, comme en 1840, 1843 et 1845. On s'étonnera peut-être de voir les années qui ont suivi la révolution de 1848 bien au-dessous de la moyenne générale en fait de poursuites pour crimes politiques, tandis que celles qui ont suivi la révolution de 1830 sont si fort au-dessus, et tandis qu'à l'égard des délits politiques le même effet d'accroissement est produit à peu de chose près par l'une et par l'autre de ces révolutions. Mais cette différence bien qu'elle ne soit point sans réalité, n'est pas aussi forte qu'elle le paraît: elle provient, en grande partie, de ce que sous le gouvernement né de la révolution de 1830 les crimes politiques n'ont été jugés que par les cours d'assises, ou quelques-uns, en fort petit nombre, par la cour des pairs; après la révolution de 1848 il faut ajouter aux comptes des cours d'assises et de la haute cour de justice celui des conseils de guerre, qui n'est pas ici compris.

§ 6. Délits instantanés et délits continus, autrement dits successifs. et délits collectifs ou d'habitude.

Délits simples

que

les

740. Parmi les actions de l'homme, tant les bonnes mauvaises, il en est qui dès qu'elles sont accomplies cessent par cela même, sans pouvoir se prolonger au delà; d'autres, au contraire, même après leur premier accomplissement sont de nature à se continuer, identiques à elles-mêmes, pendant un temps plus ou moins long, peut-être indéfini or si nous supposons des actions illicites, frappées comme telles par la loi pénale, nous en voyons naître deux catégories bien différentes de délits.

741. Ceux qui naissent des actions de la première sorte sont des délits terminés aussitôt que commis; comme, par exemple, les délits d'homicide, d'incendie, de coups ou blessures. Quel qu'ait été le temps employé à les préparer et à les exécuter, dès que l'exécution s'en achève ils s'accomplissent et prennent fin au même instant. Dans cette catégorie se rangent le plus grand nombre des délits.

742. Ceux qui naissent des actions de la seconde sorte, bien qu'existants et accomplis du moment que l'action coupable a eu lieu, se continuent et se prolongent tant que l'action se continue et se prolonge elle-même; ils n'auront pris fin que lorsque l'action aura cessé. Nous citerons en exemples le port d'armes contre sa patrie, la détention de munitions ou armes de guerre prohibées, les séquestrations illégales, la possession de faux poids ou de fausses mesures dans des lieux où elle est interdite, et tant d'autres encore. Quoique les délits de cette espèce ne soient pas en majorité, ils ne laissent pas d'être très-nombreux : comme nous le montrerons tout à l'heure.

743. Nous appellerons les premiers de ces délits, délits instantanés, et les seconds, délits continus ou chroniques (continuatio delicti). Ces derniers sont plus usuellement connus sous le nom de délits successifs. Cette dernière expression, qui nous vient de l'ancienne jurisprudence (1), a cela de bon qu'elle indique bien qu'à quelque moment que l'on considère l'agent, tant que dure l'action coupable, on le trouve en état de délit; mais elle a quelque chose d'inexact en ce sens qu'elle semblerait dire qu'il y aurait dans le fait de cet agent comme une multitude de délits se succédant sans interruption (2), tandis que l'action de cet agent étant une, quoique avec plus ou moins de durée, elle ne forme véritablement qu'un seul délit plus ou moins prolongé. Voilà pourquoi nous préférons la dénomination de délit continu.

744. Ce que nous venons de dire des actions peut se dire également des inactions érigées par la loi en délit de droit pénal. Si le devoir auquel il a été manqué par cette inaction était un devoir instantané lui-même, consistant en un acte à faire à certaine époque marquée, comme, par exemple, celui de se présenter à heure dite à la cour d'assises pour y remplir les fonctions de juré ou celles de témoin, ou bien celui de faire, dans un délai donné, certaines déclarations à l'autorité (C. pén., art. 346, 347), le délit sera instantané. Si, au contraire, le devoir auquel il a été manqué était lui-même un devoir continu, se prolongeant pendant une durée plus ou moins longue et peut-être indéfinie, comme, par exemple, celui d'éclairer les matériaux qu'on a entreposés ou les excavations qu'on a faites dans les rues ou places, celui d'obéir à la sommation émanée de l'autorité administrative, de réparer ou démolir les édifices menaçant ruine, celui de placer à l'extérieur des charrettes circulant sur la voie publique l'indication du nom du propriétaire (C. pen., art. 471, nos 4 et 5; art. 475, no 4), et tant d'autres semblables, aussi longtemps qu'il n'est pas satisfait à un pareil devoir le délit se continue. Ainsi, dans les délits instantanés comme dans les délits continus il se rencontre tant des délits d'action que des délits d'inaction.

745. Il ne faut pas confondre l'action ou l'inaction constituant le délit avec les suites qu'elle peut avoir, avec le mal qu'elle a pu produire. La personne homicidée ne sera plus rappelée par nous à la vie, les objets incendiés sont détruits pour toujours, la mutilation d'un membre est irréparable, la maladie que des coups ou blessures ont occasionnée sera plus ou moins longue, le volé ne reverra de longtemps, peut-être plus jamais, la chose qui lui appartient qu'a-t-il fallu pour produire de tels effets? L'acte d'un

:

(1) JOUSSE, Traité de la just. crim., tome 1, p. 585, no 56.

(2) C'est bien ainsi même que l'expression est interprétée communément : . Dans ces sortes de crimes, dit Jousse (loco citato), on peut dire qu'il s'en commet un nouveau à chaque instant. »

moment. La continuité du mal n'empêche pas les délits d'homicide, d'incendie, de coups ou blessures, de vol et tant d'autres, d'être des délits instantanés.

746. L'ancienne jurisprudence criminelle avait bien une distinction qui se référait sous un certain rapport aux conséquences, aux vestiges matériels que peut laisser après lui le délit elle appelait délit de fait permanent (facti permanentis) le délit dont il reste des traces physiques, comme l'homicide, l'effraction, l'incendie, et délit de fait passager ou transitoire (facti transeuntis), celui dont il ne reste aucune trace matérielle, comme les injures verbales, Fadultère, le vol sans effraction ni signe apparent (1). Mais cette division, relative à la procédure, quant à ce qui touche aux moyens de prouver l'existence du délit, est étrangère à celle dont nous nous occupons ici, et ne doit pas être confondue avec

elle.

747. Le délit continu étant un délit unique, il ne peut y avoir qu'une seule pénalité encourue, qu'une seule poursuite: cela est ici incontestable. Mais la durée plus ou moins longue de ce délit, c'est-à-dire le temps plus ou moins long pendant lequel le délinquant y aura persévéré, est un élément à prendre en considération dans la mesure de la culpabilité. -Quelquefois cette considération sera assez importante pour influer sur la culpabilité absolue et pour devenir l'objet d'une disposition expresse du législateur: c'est ainsi que notre Code pénal a édicté des peines bien différentes contre la détention ou séquestration illégale de personnes, suivant que cette détention ou séquestration a duré moins de dix jours, de dix jours à un mois, ou plus d'un mois (art. 341, 342, 343). D'autres fois cette considération restera livrée à la seule appréciation du juge, dans la mesure qu'il est chargé de faire de la culpabilité individuelle, suivant la latitude du maximum au minimum qui lui est laissée à cet égard.

748. Une autre conséquence de la continuité des délits, que nous aurons à examiner plus tard, a trait à la prescription, dont le cours ne pourra pas évidemment commencer tant que le délit continu n'aura pas pris fin.

749. Il suit de ces différences qu'il est fort important dans la pratique de savoir si un délit est continu ou non; et comme la réponse dépend de la nature particulière de chaque délit, c'est à propos de chacun d'eux, par conséquent dans la partie spéciale du droit pénal, que cette réponse doit venir. Il est un grand nombre de délits à l'égard desquels aucun doute ne s'élèvera. Ainsi, pour nous borner à des exemples pris dans notre législation positive : porter les armes contre la France; porter publiquement un costume, uniforme ou décoration auxquels on n'a pas droit; porter

(1) Jousse, tom. 1, p. 9, no 11; tom. 2, p. 19 et suiv. RexAZZA, Elementa juris criminalis, liv. 3, c. 4, no 7.

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