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même dans les lois barbares et dans le droit féodal, mais qui devient plus marquée dès l'époque où le pouvoir monarchique se fortifie et commence à l'emporter sur la féodalité.

62. Les juridictions et la procédure criminelles s'étant fondées en Europe avec un caractère nouveau et distinct, se sont séparées du droit romain; mais, pour la pénalité, les textes romains, nommés souvent la loi écrite, ont été reconnus comme droit commun en tout ce qui n'était pas réglé différemment par des statuts spéciaux ou par la coutume. Les jurisconsultes de droit pénal ont montré la même habileté que les jurisconsultes de droit civil à plier aux usages et aux choses de leur temps ces textes faits pour une tout autre société; ils ont puisé, au besoin, dans les décisions données pour les matières civiles, et ils ont étendu, par analogie ces décisions aux matières criminelles; enfin, ils ont continuellement et systématiquement appliqué au droit pénal proprement dit ce que les jurisconsultes romains avaient écrit uniquement de ces sortes d'actions naissant des délits privés, qui prenaient l'épithète de pénales, mais qui n'étaient en réalité que des actions civiles pour la poursuite d'obligations privées. C'est ainsi que s'est assise et constituée, avec le secours fréquent du droit romain interprété suivant les besoins de l'époque, l'ancienne jurisprudence criminelle européenne, et, par conséquent, la nôtre (1).

§ 2. Droit canonique.

63. Le droit canonique, dont l'ensemble comprend, quant à l'église catholique, les préceptes du Christ et des apôtres, les règles posées dans les assemblées communes des premiers fidèles, les canons des conciles et les constitutions pontificales, n'a d'abord été recueilli que par essais particuliers, en des documents partiels et divergents, dont quelques-uns remontent jusqu'au quatrième siècle de l'Église.

A l'époque où dans les Universités d'Italie et de France, surtout dans celles de Bologne et de Paris, une activité extraordinaire se déploya pour l'étude du droit romain, le droit canon ne tarda pas à prendre sa part de cette activité. Une sorte de recueil méthodique mis au jour à Bologne, en 1151, par un moine camaldule du nom de Gratien, fut reçu comme texte de l'enseignement.

(1) Les textes du Corpus juris civilis romani plus spécialement relatifs au droit pénal sont les suivants :

Dans les Instituts, liv. Iv, tit. 1, 2, 3, 4, qui traitent des délits privés, et le titre 18, De publicis judiciis.

Dans le Digeste, les quatre titres du livre Ix, le titre 3 du livre x1 et les vingt-trois titres du livre xuvi, sur les délits privés; spécialement le titre 11, De extraordinariis criminibus; plus les vingt-quatre titres du livre XLVIII consacrés aux délits publics, et notamment le titre 19, De pænis.

Dans le Code, livre I, tit. 35 et 41, et livre vi, tit. 2, sur les délits privés; plus les cinquante et un titres du livre Ix, relatifs aux délits publics, et notamment le litre 47, De pænis.

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Sur cette base vinrent s'asseoir cinq autres parties, consacrées par la suite des temps et d'époque en époque aux nouveaux textes qui étaient survenus, et le tout revisé définitivement, approuvé en 1580 par le pape Grégoire XIII et déclaré clos, constitua le corps de droit canonique (corpus juris canonici), à l'imitation du corps de droit romain.

Pour compléter l'imitation, on y joignit des Instituta ou éléments divisés en quatre livres, qui n'ont pas d'autorité officielle, parce qu'ils ne sont que l'œuvre privée d'un jurisconsulte italien, Lancelot, mais dont l'adjonction a été autorisée, en 1605, par le pape Paul V.

64. Admis dans les universités de la chrétienté sur le même pied que le droit romain, avec lequel il avait d'ailleurs de nombreux points de contact, compris dans les études des légistes, qui se faisaient graduer dans l'un et l'autre droit (in utroque jure), le droit canon est entré comme un élément dans la formation de la société et des législations européennes. Il faut donc le compter au nombre des sources historiques de notre propre droit, sans oublier cependant que nos rois, nos jurisconsultes, nos hommes d'État, nos parlements se sont toujours montrés jaloux de conserver intacte la souveraineté séculière du pays, et que hors ce qui regarde la foi, les textes du droit canon n'avaient d'autorité en France, même pour la discipline ou la police temporelles de l'Église, qu'autant qu'ils étaient reçus et confirmés par les lois du royaume (1).

Influence du droit canonique sur la pénalité, sur les juridictions et sur la procédure pénales.

65. Le droit canonique et les institutions de l'Église figurent comme élément de l'ancien droit pénal, en ce qui touche soit la pénalité, soit les juridictions pénales, soit la procédure pénale.

66. Quant à la pénalité, ils y figurent par leur influence sur l'appréciation de divers cas, de divers degrés de culpabilité, de di

(1) Les textes du Corpus juris canonici qui se réfèrent plus spécialement au droit pénal sont les suivants :

1. Dans le décret de Gratien, seconde partie, Causes, 2, 3, 4, 5, 6, où sont agitées de nombreuses questions sur les accusations, et plus indirectement les Causes 22, 24, 26, 32, 35, pour certains délits;

2. Dans les Décrétales de Grégoire, le livre v tout entier, qui traite d'abord des accusations, inquisitions et dénonciations, et ensuite des divers crimes ou délits, selon le droit canon (tit. 1 à 33);

3. Dans le Sexte, le même livre v, et dans le même ordre (tit. 1 à 11);

4. Dans les Clémentines, le même livre v, et dans le même ordre (tit. 1 à 10);

5. Dans les Extravagantes, les titres 8, 9, 10, 12, De pœnis, et 13;

6. Dans les Extravagantes communes, toujours le livre v, dans le même ordre (titre

1 à 6);

7. Dans le Septième, ajouté en 1661, postérieurement à la révision définitive de 1580, le même livre v, dans le même ordre (tit. 1 à 18);

8. Dans les Instituts, le livre iv tout entier.

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vers principes relatifs aux peines et sur l'incrimination de nombreux actes matières sur lesquelles les livres canoniques contiennent des décisions que la législation ou la jurisprudence criminelles laiques se sont empressées de suivre en plus d'un point.

L'Eglise, bien que quelques textes de droit canon indiquent formellement la mort contre certains crimes (1), professait un éloignement absolu pour les peines corporelles et pour les peines de sang (2); mais elle livrait les coupables au bras séculier (3). Cependant, dès les premiers temps de la monarchie et dans les époques postérieures, les monuments nous montrent fréquemment son intervention servant à arracher des coupables au supplice capital et à faire composer les parties ou modérer la peine. Tel a été notamment l'effet du droit d'asile conféré aux églises et à divers établissements pieux par les constitutions des empereurs romains, par diverses lois barbares, par les capitulaires de nos rois et par des actes ou des usages postérieurs.

67. Quant aux juridictions pénales, l'Eglise et le droit canonique s'y trouvent intimement liés par la constitution des juridictions ecclésiastiques à côté des juridictions séculières, avec une attribution privilégiée à l'égard de certains délits ou à l'égard des clercs et des autres personnes assimilées aux clercs. Les questions de compétence ou de rapports possibles entre ces deux juridictions de nature diverse, jalouses chacune de leur autorité, ont formé dans notre ancien droit pénal une matière difficile et importante à étudier. L'exemple des officialités ecclésiastiques n'a pas été non plus sans influence dans la transformation de nos anciennes assises temporaires en des offices de judicature fixes et permanents.

68. Enfin, quant à la procédure pénale, c'est du droit canonique qu'est venue de bonne heure et à plusieurs reprises la réprobation des épreuves ou jugements de Dieu; et c'est par ce droit qu'a été imaginée, développée, puis de là introduite dans nos juridictions répressives, la procédure par inquisition.

Que ce soit l'autorité ecclésiastique et l'exemple de ses juridictions qui aient poussé dans cette voie, c'est ce qui est incontestable. L'ancienne coutume de Normandie le dit positivement en parlant des épreuves : « Et pour ce que saincte Eglise a osté ces choses, nous usons souvent de l'enqueste (4).

(1) Par exemple, Décrétales, livre v, tit. 7, chap. 1; et tit. 18, chap. 1.

(2) Aussi, les ecclésiastiques se plaignant devant le juge de quelque crime commis contre eux, doivent-ils, d'après les canons, protester formellement : « Quod ad vindictam sea pœnam sanguinis non intendunt.» (Décrétales, liv. v, tit. 4, chap. 2, Boniface VIII, an 1298); ce que nous retrouvons dans les Assises de Jérusalem en cette formule: « Il n'entent ne il ne viaut que, por lui ne por la clamor que il fait, vous deés procedre à pene de sanc.» (Abrégé du Livre des assises de la cour des Bourgeois, deuxième partie, §§ 38 et 39.)

livre

(3) Par exemple, Décrétales, livre v, tit. 7, chap. 9; livre xvi, chap. 4.tit. 2, chap. 6, etc.

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Le Sexte,

(4) Jadis, quand femmes estoient accusées de crime et elles n'avoient qui les de

69. Les textes par lesquels les papes ont commencé à réprouver, quoique vainement, les épreuves et le duel remontent au sixième, au neuvième siècles; dès la fin du douzième et dès les premières années du treizième, cette réprobation canonique, réitérée à différentes fois, parce qu'elle restait généralement inefficace, était constante et avérée de tous (1).

70. L'enquête ou audition de témoins faite séparément et rédigée par écrit, qui devint la procédure usitée à cause de la suppression des épreuves et des gages de bataille, comme le dit le passage que nous venons de citer de l'ancienne coutume de Normandie, est un procédé lettré, par conséquent clérical, à l'époque où clerc et lettré étaient synonymes. C'est également à la fin du douzième et aux premières années du treizième siècles qu'appartiennent les textes canoniques d'où l'on conclut que les dépositions des témoins étaient rédigées par écrit (et de singulis circumstantiis prudenter inquirens... cuncta plene conscribas), closes (cum attestationes ipsæ sint clausa), puis, à un moment donné de la procédure, lues publiquement aux parties et à l'auditoire ( solenniter publicata) (2); encore la rédaction de ces textes nous montre-t-elle qu'il s'agit là d'une forme parfaitement établie dans la pratique ecclésiastique, et non pas nouvellement introduite.

71. La dénonciation substituée à l'accusation, l'information secrète préalable, et enfin les poursuites d'office par le juge, trois points qui different du précédent, quoique venant s'y relier, dont l'un conduit à l'autre, et qui à eux tous constituent la procédure d'inquisition dans son ensemble, doivent aussi leur origine aux usages des juridictions ecclésiastiques. L'époque à laquelle on en trouve le règlement formel dans les lois canoniques est toujours la même la fin du douzième siècle et le commencement du trei

fendist, elles se expurgeoient par ignise, et les hommes par eaue ou par ignise quand la justice ou femmes les suyvoient de causes criminelles. Et pour ce que saincte Eglise a osté ces choses, nous usons souvent de l'enqueste. (Coutume de Normandie, ch. LXXVI, de suyte de femmes, dans le Coutumier général de Richebourg.)

(1) En nous tenant aux textes du Corpus juris canonici, nous en trouvons des papes saint Grégoire, mort en 604, et Etienne V, mort en 891 (décret de Gratien, deuxième partie, cause 2, question 5, ch. 7 et 20); puis des papes Célestin III, an 1195, Innocent III, an 1212, et Honorius III, an 1225 (Décrétales, livre v, tit. 35, De purgatione vulgari). — Voir aussi la prohibition des tournois par le concile de Latran, an 1179; et les constitutions d'Alexandre III, an 1172, et de Célestin III, an 1195, contre les ecclésiastiques qui offriraient ou accepteraient un duel judiciaire, même par champion, Secundum pravam terræ consuetudinem. » (Décrétales, livre v, tit. 13, De torneamentis; et livre xiv, De clericis pugnantibus in duello.) De pareils combats sont de vrais homicides: Tales pugiles homicidæ veri existunt, » dit cette dernière constitution pontificale du douzième siècle.

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(2) Décrétales, livre n, tit. 20, De testibus et attestationibus, ch. 25, Urbain III, an 1186; chap. 35 et 37, Innocent III, ans 1208 et 1210, d'où sont tirées les expressions par nous citées; chap. 31, Innocent III, an 1208, qui est précisément la constitution à laquelle renvoient les Establissements;

et plusieurs autres du

même pape.

zième, avec des indices d'une origine encore plus reculée. Organisées dans les Décrétales par les constitutions d'Innocent III, "de 1212, 1213 et 1216, tant comme inquisition particulière contre des faits précis que comme inquisition générale et indéterminée contre tout un diocèse, toute une localité (1), ces pratiques étaient en vigueur dans l'Église, comme mode exceptionnel de procédure, avant même les règlements d'Innocent III (2). Une constitution du pape Lucius III, de 1181, en contient le germe contre les hérétiques (2). Les dispositions de cette constitution étaient déjà nominativement dirigées contre les Catharins, Paterins, ou Pauvres de Lyon, désignés plus tard sous le titre de Vaudois ou Albigeois. L'application en fut faite d'une manière spéciale et énergique à ces sectaires, dès les années 1203 et 1204, dans une mission confiée à deux légats par le pape lui-même, Innocent III, pour l'extirpation de cette hérésie. La résistance du Languedoc amena ces croisades fanatiques d'une nouvelle espèce prêchées et formées dans toute la France, ces luttes acharnées, ces massacres de populations au nom du Christ (1208, 1209 et suiv.), événements d'où sortirent, au bout de quelque temps, deux résultats considérables dans l'histoire pour la France, l'adjonction à la couronne du comté de Toulouse et du pays albigeois (traité de 1226, traité de Meaux de 1229; réunion de toute la province du Languedoc, consommée en 1271); et pour la chrétienté, la constitution par l'Église d'un tribunal spécial d'inquisition, érigé en institution permanente contre les crimes d'hérésie ou autres semblables, et installé par la suite des années dans ceux des états chrétiens qui souffrirent une pareille institution.

72. Ainsi, c'est dans la Gaule narbonnaise, au milieu d'événements auxquels la France a pris une part active, que la procédure inquisitoriale ecclésiastique a été pratiquée sur une large échelle dès les deux premières années du treizième siècle, et que le tribunal spécial d'inquisition contre l'hérésie a eu son origine. La France, cependant, où le peuple et tous les pouvoirs ont toujours été jaloux de conserver intacte la puissance temporelle du royaume, ne pouvait pas être soumise à ce tribunal; toutes les tentatives faites dans ce but ont échoué. Les provinces méridionales elles-mêmes, où il avait été installé durant la lutte, se sont soulevées contre lui et ont fini par en être délivrées. Avignon et le

(1) Décrétales, livre v, tit. 1, De accusationibus, inquisitionibus et denunciationibus, chap. 16 et suiv., ch. 25.

(2) Décrétales, livre v, tit. 7, De hæreticis, chap. 9. Il y est enjoint à chaque archevêque ou évêque de parcourir son diocèse deux fois ou au moins une fois chaque année, par lui-même ou par son vicaire, ou par d'autres personnes compétentes et honnêtes, lorsque la renommée y signale des hérétiques, et d'informer pour reconnaître les coupables, qui doivent être punis des peines ecclésiastiques et livrés au bras séculier pour l'application des peines laïques.

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