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mier cas un délit instantané, et dans le second un délit continu. De telle sorte que tout se réduit à apprécier en fait, dans chaque cause, de quelle sorte d'usage il s'agit: est-ce d'un usage instantané ou d'un usage continu?

758. La continuité des délits, indépendamment de celle que nous venons d'examiner, peut se produire d'une autre manière différente, qu'il est nécessaire de signaler à part. La continuité qui précède est une continuité pour ainsi dire physique, matérielle, celle d'une seule et même action non interrompue, identique à elle-même et durant un temps plus ou moins long. Or il peut se faire qu'il y ait une continuité morale, unissant en un seul et même délit divers actes séparés, dont un seul aurait suffi pour constituer pénalement le délit, mais qui ont été répétés plusieurs fois, pendant un temps plus ou moins long, afin d'atteindre un même but. Tel serait, par exemple, le cas de celui qui, voulant dévaliser une maison ou un appartement, voulant voler le blé ou le vin qui se trouve dans une cave, soustrairait et emporterait ces objets en divers voyages successifs; tel encore le cas de celui qui, dans une même scène de violence, porte des coups répétés, ou fait coup sur coup plusieurs blessures à la personne qu'il a assaillie; ou celui du faux monnayeur qui, ayant fabriqué un faux moule, coule et frappe dans ce moule, en une même série d'opérations, plusieurs pièces de fausse monnaie; ou encore les crimes prévus par notre Code pénal, de pratiquer des machinations ou manœuvres, d'entretenir des intelligences ou des correspondances coupables contre la France avec des puissances étrangères ou ennemies. (Code pén., art. 76, 77, 207 et 208.)

Bien qu'il y ait, en des cas pareils, divers actes, chacun instantané et chacun suffisant pour constituer le délit, ces actes ne forment pas cependant autant de délits distincts et réitérés ; l'unité de conception, de résolution et de but les relie en un seul et même délit qu'on peut qualifier de délit continu ou successif.

759. C'est dans cette sorte de continuité que pourront venir se ranger, suivant la manière dont les faits auront eu lieu, le recel et le complot, ainsi que nous l'avons expliqué ci-dessus (nos 754, 755); et même l'usage d'un faux poinçon, d'un faux timbre ou d'un acte faux, par exemple d'un faux passe-port, d'une fausse feuille de route. Il pourra arriver, en effet, que cet usage, sans être continu physiquement et par sa propre nature, comme le serait l'exposition (ci-dess., no 757), reçoive des faits le caractère de continuité morale.

760. Cette sorte de continuité accidentelle forme la transition qui conduit du délit simple au même délit plusieurs fois réitéré. C'est au juge à apprécier, d'après les circonstances, si plusieurs faits ayant été commis, il y a entre eux un tel caractère d'unité morale qu'il ne faille y voir qu'un seul délit continu; ou bien si chacun de ces faits constitue le même délit autant de fois répété.

Dans le premier cas, il n'y a, sauf l'aggravation de culpabilité, qu'une seule pénalité encourue, qu'un seul droit de poursuite, qu'une seule prescription à partir du dernier acte; tandis que dans le troisième cas il y aurait plusieurs pénalités encourues, sauf à combiner ces pénalités suivant le système prescrit par la loi, plusieurs droits de poursuite et plusieurs prescriptions ayant chacune leur point de départ et leur cours distincts.

761. La considération des faits dont un délit peut se composer nous amènera, étant poussée plus loin, à une autre division des délits, voisine de celle qui précède, quoiqu'elle en soit différente. Tandis que dans la plupart des cas, même dans ceux dont il vient d'être question, un seul fait ayant les caractères marqués par la loi pénale suffit pour qu'il y ait délit, de telle sorte que la pluralité de ces faits n'est qu'une modalité accidentelle qui peut se présenter ou ne pas se présenter, dans d'autres cas, au contraire, cette pluralité forme une condition sine quâ non du délit. Il arrive, en effet, quelquefois, par exception, que le législateur n'a pas voulu frapper pénalement un fait isolé, mais qu'il a attendu, pour y voir un délit, la réunion d'un certain nombre de faits du même genre, dénotant chez l'agent une habitude vicieuse, et faisant naître dès lors un intérêt de répression pour la société. Tels sont, chez nous, les délits « de se livrer habituellement à l'usure» (1); ou d'attenter aux mœurs « en excitant, favorisant ou facilitant habituellement la débauche ou la corruption de la jeunesse de l'un ou de l'autre sexe au-dessous de vingt-un ans. » (C. pén., art. 334). Dans cette catégorie se rangent aussi, avec quelques légères nuances de distinction, le délit de ceux « qui, connaissant la conduite criminelle des malfaiteurs exerçant des brigandages ou des violences contre la sûreté de l'État, la paix publique, les personnes ou les propriétés, leur fournissent habituellement logement, lieu de retraite ou de réunion (C. pén., art. 61); et le délit des « mendiants d'habitude, valides, » dans les lieux où il n'existe pas de dépôt de mendicité (C. pén., art. 275). Telle encore l'habitude d'ivresse, dans les législations qui l'ont pénalement réprimée (ci-dess., n° 348, note 2). Ces sortes de délits se nomment délits collectifs, ou délits d'habitude; tandis que ceux à l'égard desquels un seul fait isolé est suffisant pour former le délit se nommeront, par opposition, délits simples.

762. Quel sera le nombre de faits nécessaires pour constituer le délit collectif? Si le législateur l'avait marqué lui – même, appliquant la peine après le deuxième fait, par exemple, ou après le

- La

(1) Lois du 3 septembre 1807, art. 4, et du 19 décembre 1850, art. 2. nécessité de l'habitude d'usure pour constituer le délit a été maintenue, malgré la proposition contraire, lors des délibérations de cette dernière loi dans l'assemblée législative. Mais cette habitude n'est plus exigée pour constituer le délit en récidive, lequel résultera d'un seul fait nouveau d'usure si ce nouveau fait est survenu dans les cinq ans de la première condamnation (art. 3).

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troisième, ou après tout autre nombre, il n'y aurait qu'à suivre ses prescriptions. Mais si le législateur n'a rien ordonné sur ce point, se bornant à punir l'habitude ou les faits commis habituellement, c'est à la jurisprudence à apprécier, dans chaque affaire, si l'habitude existe, si l'on est autorisé à dire de l'inculpé qu'il a commis habituellement les faits poursuivis. Cette appréciation ne saurait être la même pour tous; elle doit ressortir des éléments divers de chaque cause. Il pourra se faire que deux faits suffisent, rapprochés de l'ensemble des documents fournis par le procès, du caractère et des précédents démontrés à la charge de l'inculpé, pour donner au juge la conviction qu'il y a chez cet inculpé habitude; tandis que, d'autres fois, un plus grand nombre de faits sera nécessaire pour opérer cette conviction.

Notre jurisprudence pratique a même conclu, de la manière dont est rédigé l'article 275 de notre Code pénal, qu'à l'égard des mendiants d'habitude valides, la poursuite peut être assise même sur un seul fait de mendicité constaté, et que, pourvu que l'habitude ressorte aux yeux du juge des divers autres éléments du procès, cela suffit pour la condamnation. Quelque chose d'analogue doit être appliqué au délit de l'article 61 du Code pénal, le fait de fournir logement où lieu de retraite pouvant avoir par lui-même une sorte de continuité suffisante pour constituer l'habitude dont il est ici question; tandis qu'à l'égard des délits d'habitude d'usure ou d'habitude d'excitation à la débauche, cette même jurisprudence pratique exige au moins deux faits constatés pour qu'il puisse y avoir base légale à la poursuite et à la condamnation.

Ainsi cette appréciation, en fait, de l'habitude, varie nonseulement dans chaque cause, mais encore dans chaque espèce de délit.

763. Est-il nécessaire qu'il y ait eu pluralité de victimes, ou bien sera-t-il permis aussi de voir le délit d'habitude dans des faits qui se seront reproduits à diverses fois, mais toujours contre la même personne?

Remarquez d'abord que tous les délits collectifs ne sont pas susceptibles de cette question ainsi le délit d'habitude d'ivresse, dans les législations qui le répriment, le délit de fournir habituellement logement ou lieu de retraite à des malfaiteurs, dans les termes de l'article 61 de notre Code pénal, même le délit d'habitude de mendicité, dans les termes de l'article 275, n'y peuvent donner occasion. Peu importe sans doute que ce soit aux mêmes malfaiteurs ou à des malfaiteurs différents qu'il ait été fourni habituellement logement ou lieu de retraite, que ce soit à la même personne ou à des personnes différentes que le mendiant d'habitude valide ait demandé l'aumône; mais ce n'est pas là ce qu'on entend par victime du délit.

tels

A l'égard des délits dans lesquels la question peut se présenter, que l'habitude d'usure, l'habitude d'exciter, de favoriser ou de

facu

la débauche ou la corruption de la jeunesse au-dessous de un ans, remarquez encore que la question d'habitude est une estion qui concerne la personne de l'agent: on la déplace lorsqu'on en veut poser les éléments dans la personne lésée. C'est chez l'agent qu'existe l'habitude, c'est en lui qu'elle dénote un vice persistant, une immoralité usuelle d'où résulte un plus grand danger pour la société; or, ces caractères se rencontrent, que l'agent ait multiplié ou non le nombre de ses victimes, du moment qu'il a multiplié le nombre des faits coupables. Nous posons donc en principe rationnel et général que la diversité des victimes n'est pas une condition nécessaire pour l'existence du délit collectif; il faudrait, pour qu'il en fut autrement, que le législateur eût textuellement exigé cette nouvelle condition, ou que la nature particulière du délit la commandát par exception. Rien de pareil ne se rencontre dans notre droit positif au sujet des deux sortes de délits d'habitude que nous venons de citer; nous y appliquerons donc sans hésiter la règle générale.

:

Seulement il est important de ne pas confondre avec la pluralitė des faits, condition essentielle pour l'existence du délit collectif, une particularité qui est de nature à se présenter quelquefois lorsqu'il n'y a qu'une seule victime, celle d'un fait unique et continu quoique divisé en plusieurs actes. Ainsi, par exemple, un homme, en prêtant une somme d'argent, se fait promettre des intérêts usuraires voilà un fait d'usure instantané; nous ne considérons pas ce fait comme se prolongeant de lui-même et d'une manière continue tant que dure l'obligation. Mais à chaque échéance le créancier touche les intérêts usuraires par lui stipulés : voilà de nouveaux actes qui viennent se joindre au premier, et dont chacun serait suffisant à lui seul pour constituer un fait d'usure. Néanmoins, comme ils se rattachent tous au contrat primitif dont ils ne que l'exécution, comme ils sont tous liés par l'unité de conception et de but, nous ne verrons dans la réunion qu'ils forment qu'un fait d'usure unique et continu (non pas continuité physique, mais continuité morale, ci-dess., n° 758), et dès lors nous dirons que les éléments multiples d'un délit collectif n'existent pas. Supposez, au contraire, que l'échéance du capital étant survenue, le créancier renouvelle le prêt avec son débiteur aux mêmes conditions, ou bien qu'il fasse, toujours au même débiteur, un second prêt à des conditions usuraires aussi voilà de nouveaux actes d'usure distincts du premier, la pluralité des faits existe, le délit d'habitude peut s'y rencontrer.

sont

:

764. Les délits collectifs ont cela de singulier qu'étant composés d'un certain nombre de faits dont la réunion seule forme le délit, il est impossible de dire d'aucun de ces faits considéré isolément qu'il soit un délit; d'où plusieurs difficultés relatives : — å l'action civile lorsque ce sont des personnes différentes qui ont été lésées chacune par l'un de ces faits; à la juridiction com

pétente lorsque ces faits se sont passés chacun en des différents; enfin à la prescription lorsqu'il s'agit de saprts chacun de ces faits est ou n'est pas susceptible d'être couvert issi ment par la prescription. Ce sont des difficultés que nous examinerons plus tard, en traitant des points auxquels elles se réfèrent.

§ 7. Délits flagrants ou non flagrants.

10 Suivant la science rationnelle.

765. Un délit est flagrant (encore en feu, encore en flamme) au moment où il se commet, où le coupable l'exécute : si l'on survient, le coupable est pris sur le fait, en flagrant délit, en présent meffaict, comme disait notre ancien langage (1). Cette idée du feu, de la flamme, se retrouve comme racine de plus d'une locution, et nous usons de la même image quand nous disons.: " Dans le feu, dans la chaleur de l'action. »

766. Observez, en cas de flagraut délit, les faits qui se produisent, vous y trouverez droit de défense, droit de secours; indignation, irritation passionnées contre le coupable; certitude de sa culpabilité; scandale plus grand et émotion populaire parmi ceux qui en sont témoins. Aussi n'est-il pas rare de voir, surtout dans les législations à leur enfance, lorsque ces législations se modèlent encore sur les instincts matériels et vindicatifs, le droit non-seulement pour chacun de s'emparer de la personne du coupable surpris en flagrant délit, mais encore, dans certains cas, celui de le tuer pour peu qu'il fasse résistance (2), celui de le

(1) I. BouteilleR, Somme rurale, liv. 1, tit. 34. ciaire, liv. 3, ch. 2, § 4.

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Ubi inventi fuerint in ipsa rapina, et adhuc flagranti crimine comprehensi. » (COD. 9, 13, De raptu virginum, const. unic. Justinian. pr.) In objecto flagitio deprehensus, ut vix etiam ipse ea quæ commiserit negare sufficiat.» (Cop. 9, 47, De panis, 16, const. Constant.) In ipso latrocinio vel congressu violentiæ aut perpetrato homicidio, stupro vel raptu vel adulterio deprehensus. (Cod. Theod. 9, 2. De exhibendis vel transmittendis reis, 5, const. Honor. et Theod.) — « Qui in ipso furto deprehenditur. (INSTIT. 3, 1, De obligationibus quæ ex delicto nascuntur, § 3.) Dum fit deprehenditur. (GAIUS, 3, § 184.) — Qui in faciendo deprehensus est. (PAUL. Sentent., 2, 31, § 2.) In adulterio deprehensus, deprehensa.» (DIG. 48, 5, Ad legem Juliam de adulteriis, 24, pr. Fr. Macer; 38, § 8, Fr. Papinian. 48, 8, Ad legem Corneliam de sicariis, 1, § 5, Fr. Marcian. Cop. 9, 9, Ad legem Juliam de adulteriis, 4, const. Alexand.) deprehensa.» (Dig. 48, 5, Ad leg. Jul. de adult., 23, Fr. Ulp.) In ipsa turpitudine de adulterio

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(2) La loi des XII Tables permettait, comme chacun le sait, de tuer le voleur pris en flagrant délit durant la nuit, et aussi celui pris en flagrant délit durant le jour s'il se défendait avec une arme quelconque. (Dig. 9, 2, Ad legem Aquiliam, 4, § 1, fr. Gai. 17, 2, De furtis, 54, § 2, Fr. Gai.) - On trouve des dispositions analogues, soit quant au voleur de nuit, soit quant au voleur de jour, dans les lois barbares, notamment dans celles des Visigoths, des Bavarois, des Lombards, des Thuringiens et des Anglo-Saxons.

En cas de rapt de fille ou de veuve, le droit romain permet aux parents de la personne enlevée de tuer le ravisseur s'il est surpris in ipsa rapina et adhuc flagranti crimine. (COD. 9, 13, De raptu virginum seu viduarum, const. unic. Justinian. pr.)

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