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juger et de l'exécuter sur place sans forme de procès (1); ou bien des peines plus fortes contre les délits flagrants que contre les délits non flagrants (2); sans compter les modifications de procédure ou de compétence.

767. Que décider en science rationnelle?

Aux yeux de cette science, le droit de légitime défense de soimême ou d'autrui, qui se rencontre fréquemment en cas de flagrant délit pour empêcher ce délit de s'achever ou de s'aggraver, n'est pas différent ici de ce qu'il est partout ailleurs, et il doit être restreint sous tous les rapports dans les limites marquées à cette défense (ci-dess., nos 417 et suiv.).

Le droit de s'emparer du coupable, de le maintenir ou de le conduire à l'autorité fera souvent partie de cette légitime défense ou de ce légitime secours, car ce sera souvent le moyen efficace et le moins dur de mettre obstacle au mal que le coupable avait commencé à commettre (ci-dess., no 424).

Que si les limites de cette défense sont dépassées, si par indignation, esprit d'irritation ou de vengeance, on se laisse emporter à quelques excès contre le coupable surpris en flagrant délit, de pareils actes seront illégitimes et pourront même, suivant leur caractère, constituer des délits pénalement punissables, le fait de flagrant délit intervenant seulement comme cause d'atténuation de la culpabilité, suivant les règles que nous avons exposées en traitant de la provocation (ci-dess., n° 446 et suiv.).

Quant à juger et exécuter sur place sans forme de procès, ce n'est pas de la justice, c'est de la vengeance: la justice doit se mettre en garde contre le premier ressentiment, et laisser à l'àme le temps de se calmer.

De punir l'homme surpris en flagrant délit plus que celui qui est parvenu quelque temps à se soustraire à la justice, on n'en saurait donner de bonnes raisons: vous avez, direz-vous, pleine certitude de sa culpabilité? mais jamais est-il permis de condamner quelqu'un sans la pleine certitude qu'il est coupable? Au fond

(1) Voir AYRAULT lui-même, L'ordre, formalité et instruction judiciaire, liv. 1, § 11. (2) On sait la différence mise par la loi des XII Tables entre la peine du vol manifeste et celle du vol non manifeste (voir notre Histoire de la législation romaine, VIIIe Table, § 4); différence adoucie par le préteur, qui la réduisit à une condamnation au quadruple pour vol manifeste et au double pour vol non manifeste. (Voir cidessous, no 773.) On rencontre aussi dans la loi des Lombards des dispositions pénales plus sévères contre le voleur pris en flagrant délit. (Lois de ROTHARIS, 258 et 259, 262 et 263; lois de LIUTPRANT, 6, 94 et 101.) — La différence du droit romain, du quadruple et du double, se retrouve en Espagne dans Las siete partidas d'Alphonse le Sage, et en Allemagne dans la Caroline ou constitution criminelle de Charles-Quint (voir ci-dessous, no 774.) — Enfin, si l'on cherchait en des civilisations différentes et plus anciennes, toujours cette aggravation de peines contre le coupable pris en flagrant délit apparaîtrait par quelque point; on la retrouvera jusque dans les lois antiques de l'Inde.

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je vois encore l'esprit d'irritation et de vengeance qui se cache dans cette aggravation de peine.

Ce qu'il y a de vrai, c'est que l'influence du flagrant délit étant une influence de certitude dans les preuves, d'urgence dans le secours à porter, d'urgence à recueillir tous les éléments du procès qu'on a sous la main et à assurer l'action de la justice contre le délinquant, c'est surtout sur les règles de procédure, sur les attributions d'autorité, quelquefois même sur la compétence des juridictions qu'elle devra s'exercer. Joignez-y ce qui concerne la légitime défense et l'atténuation de culpabilité pour cause de provocation, vous aurez le cercle de tous les effets qui peuvent rationnellement y être attachés.

768. Si, au lieu de se commettre actuellement, le délit vient de se commettre, on ne peut plus dire avec exactitude qu'il soit flagrant la flamme, pour suivre jusqu'au bout la même figure, est éteinte; ce qui reste, ce sont des vestiges chauds encore, ou des cendres encore fumantes. Le méfait n'est point présent, il est passé. Tout ce qui concerne la légitime défense, le secours légitime à porter n'a plus d'application: il est trop tard. Ce qui regarde la certitude est seulement pour l'existence du délit, mais non pour le coupable:

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Oui, mais qui te l'a donné? Encore restera-t-il souvent le doute de savoir si dans le spectacle matériel qu'on a sous les yeux il faut voir les suites d'un délit ou celles d'un accident. — Mais l'urgence qu'il y a à recueillir, avant qu'ils aient disparu, tous les indices de preuve, tous les éléments du procès qu'on a sous la main; l'espoir de découvrir et d'arrêter encore le coupable à ce premier moment qui suit le délit; la nécessité d'assurer l'action de la justice et de la montrer à l'œuvre au milieu de l'émotion populaire qu'a pu susciter le spectacle du délit récemment accompli, existent ici comme dans le cas précédent, et réclament encore des modifications de procédure ou d'attributions. Ainsi, sans être un délit flagrant et sans en produire tous les effets, le délit qui vient de se commettre peut y être assimilé sous certains rapports et en de certaines conséquences.

769. Nous en dirons autant, à plus forte raison, du cas où le délinquant est saisi sur le lieu même du délit au moment où il vient de l'accomplir, porteur encore des armes ou des objets, offrant sur lui des traces, ou surpris dans une attitude qui rendent évidente sa culpabilité; ou bien du cas où, parvenu à s'enfuir, il est poursuivi par la clameur publique, c'est-à-dire par la clameur jetée publiquement après lui : « Arrêtez! arrêtez! au voleur! à l'assassin arrêtez-le ! » C'est l'ancienne quiritatio des Romains:

-

« Adeste, Quirites! adeste, commilitones! (1)» ; le cri de haro de nos pères; « et tos cix (tous ceux) qui s'enfuient.... quand cris est après eux (2). Il ne faut pas croire qu'il soit nécessaire que le public crie: c'est au public que le cri est jeté, que l'appel est fait, n'y eût-il que le blessé, que le volé ou le premier survenu qui poussât le cri en poursuivant le malfaiteur. Ces deux hypothèses, outre qu'elles contiennent la précédente, puisque le délit vient de se commettre, offrent en plus la connaissance, la presque certitude du coupable: elles ne sont point cependant un cas de délit flagrant, et ne peuvent en avoir tous les effets ainsi, le délit étant accompli et le mal produit, il n'est plus question de légitime défense; mais elles doivent y être assimilées sous de certains rapports et quant à de certaines conséquences: ainsi l'excuse pour cause de provocation se placera particulièrement ici, et les modifications de procédure ou d'attributions y seront également nécessaires. Malgré cette assimilation partielle, la distinction est marquée par le langage même, et presque toujours, dans leur manière de s'exprimer, les jurisconsultes ou les textes de loi poseront en alternative les deux cas différents, des criminels « pris en flagrant délit, ou à la clameur publique (3). »

770. Si ce n'est que hors des lieux où le délit a été commis et quelque temps après ce délit qu'un homme est arrêté porteur d'armes, instruments ou objets de nature à faire soupçonner qu'il soit le coupable, la certitude, complète en cas de véritable flagrant délit, presque complète en cas de saisie au moment et dans le lieu où le délit vient de se commettre, ou bien à la clameur publique, n'est plus ici qu'une présomption dont la force probante aura plus ou moins d'intensité, suivant qu'on sera plus ou moins près, par le temps et par le lieu, de l'acte qui s'est accompli. La plupart des effets du flagrant délit, que nous avons analysés (ci-dessus, n° 766 et 767), ne se rencontrent plus ici. Tout ce qui a trait à la légitime défense, à l'excuse pour cause de provocation, est étranger à la situation. Tout au plus restera-t-il une certaine urgence à faire les actes de procédure nécessaires pour ne pas laisser disparaître les indices qui s'offrent à la justice, et pour suivre la trace indiquée par ces indices, lorsque le temps est assez voisin du délit pour faire présumer avec quelque autorité qu'on a mis la main sur le coupable.

771. Ainsi il faut distinguer du cas de véritable flagrant délit ceux qui y sont assimilés comme s'en rapprochant plus ou moins. -Cette assimilation n'est jamais complète; elle a lieu à certains égards et ne saurait avoir lieu à d'autres. Les conséquences

(1) TIT. LIV. 11, 55, et xxxm, 28. TERTULL., lib. 1, Adv. Valentin.

(2) BEAUMANOIR, cap. LXVII, no 22.

- Voir

(3) Ordonnance criminelle de 1670, tit. 2, art. 4, et tit. 10, art. 9. notre Code pénal, art. 121, et notre Code d'instruction criminelle, art. 16 et 106.

dans le droit pénal n'en sont pas identiques. Les unes ont trait à la pénalité; d'autres à la procédure, aux règles d'attributions ou de compétence. C'est par l'étude raisonnée des divers cas assimilés de plus près ou de moins près au flagrant délit qu'on jugera quelles sont, de ces conséquences, celles qu'ils doivent ou qu'ils ne doivent pas produire.

772. Il faut remarquer aussi que le flagrant délit et la plupart des cas assimilés au flagrant délit se réfèrent usuellement au délinquant, lequel a été saisi dans une situation qui donne la certitude ou des présomptions plus ou moins fortes de sa culpabilité. Mais il y en a aussi qui se réfèrent uniquement au délit, lequel vient de se commettre sans que le délinquant ait pu être saisi ou reconnu. Les effets n'en sont pas non plus les mêmes à tous égards.

2o Suivant la législation positive et la jurisprudence.

773. Le droit romain offrait à notre ancienne jurisprudence plusieurs dispositions relatives au flagrant délit véritable (ci-dess., n° 765, note 1, et n° 766, note 1 et 2), et d'autres relatives à certains cas assimilés au flagrant délit. De ces dernières, la plus remarquable est celle qui concerne le vol manifeste, frappé de peines capitales par la loi des Douze Tables, et finalement de la peine du quadruple par le préteur, tandis que le vol manifeste était puni seulement de la peine du double (1). Nous voyons, par les Instituts de Gaius et par les Sentences de Paul, que quatre opinions, donnant plus ou moins d'extension au vol manifeste, avaient été émises. Selon les uns, pour qu'il y eût vol manifeste, il fallait que le voleur eût été pris sur le fait même; selon d'autres, il suffisait qu'il eût été pris encore sur le lieu du vol; suivant une troisième opinion, dans un lieu quelconque, mais nanti encore de la chose, avant d'être arrivé au lieu où il voulait la transporter; enfin suivant une quatrième, en quelque temps et en quelque lieu que ce fùt, s'il avait été pris tenant la chose volée (2). La troisième opinion, la plus suivie d'ailleurs, fut celle que consacra le droit de Justinien (3).

(1) Pœna manifesti furti ex lege XII Tabularum capitalis erat; nam liber verberatus addicebatur ei cui furtum fecerat... (Ici Gaius parlait de l'esclave, lequel devait être frappé aussi de verges, puis précipité de la roche Tarpéienne; mais cette partie du manuscrit a été illisible.)... Postea improbata est asperitas pœnæ, et tam ex servi persona quam ex liberi, quadrupli actio Prætoris edicto constituta est. (GAIUS, 3, $189.) Servos item furti manifesti prensos, verberibus affici et e saxo præcipitari. (AULU-GELLE, Noct. Attic. xi, 18, et vii, 15.)

(2) GAIUS, 3, § 184; PAUL. Sentent. 2, 31, § 2. Voir notre Explication historique des Instituts, liv. 4, tit. 1, § 3.

(3) Manifestus fur est quem Græci ' abraçópy appellant; nec solum is qui in ipso furto deprehenditur, sed etiam is qui in eo loco deprehenditur quo furtum fit: veluti qui in domo furtum fecit, et nondum egressus januam deprehensus fuerit; vel qui in oliveto olivarum aut in vineto uvarum furtum fecit, quamdiu in eo oliveto aut vineto fur deprehensus sit. Imo ulterius furtum manifestum est extendendum quamdiu eam rem

774. Nous la retrouvons dans Las siete Partidas d'Alfonse le Sage (en 1250), avec la même différence de pénalité quant aux peines pécuniaires du vol manifeste ou non manifeste (1). Nous la retrouvons, toujours avec cette différence de pénalité, dans la Caroline, ou constitution criminelle de Charles-Quint, en 1532 (2); et par conséquent dans le droit commun de l'Allemagne, jusqu'à la publication des codes particuliers. Les anciens criminalistes de l'Europe en avaient tiré en général la définition qu'ils donnaient du flagrant délit.

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775. Cette influence se fait sentir encore, en ce qui concerne cette définition, chez nos anciens criminalistes français, qui néanmoins paraissent plus portés à restreindre le cercle du flagrant délit; mais la différence de peine entre le vol manifeste et le vol non manifeste n'était pas admise par notre jurisprudence (3).

:

776. L'ordonnance criminelle de Louis XIV, de 1670, quoique contenant plusieurs dispositions relatives aux accusés pris en flagrant délit ou à la clameur publique (4), n'avait point donné de définition du flagrant délit. Le Code de brumaire an IV, après avoir décrété que « en cas de flagrant délit, tout dépositaire de la force publique, et même tout citoyen, est tenu de saisir le prévenu et de l'amener devant le juge de paix (art. 62),» ajoutait immédiatement: « à cet égard, la loi assimile au cas de flagrant délit celui où le délinquant, surpris au milieu de son crime, est poursuivi par la clameur publique, et celui où un homme est trouvé saisi d'effets, armes, instruments ou papiers servant à faire présumer qu'il est l'auteur d'un délit (art. 63); » assimilation bien étendue dans ses derniers termes, mais que le Code de brumaire n'établissait qu'à l'égard de la nécessité de saisir cette personne et de la conduire devant le juge de paix. - Enfin, le Code d'instruction criminelle a donné la définition que voici : « Art. 41. Le dé» lit qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre est " un flagrant délit. - Seront aussi réputés flagrant délit, le cas où » le prévenu est poursuivi par la clameur publique, et celui où le » prévenu est trouvé saisi d'effets, armes, instruments ou papiers faisant présumer qu'il est auteur ou complice, pourvu que ce soit dans un temps voisin du délit. »

777. Nous nous référons, pour l'appréciation de cette définition, à ce que nous avons déjà dit, dans notre exposé rationnel,

fur tenens visus vel deprehensus fuerit, sive in publico sive in privato, vel a domino vel ab alio, antequam eo pervenerit quo perferre ac deponere rem destinasset. Sed si pertulit quo destinavit, tametsi deprehendatur cum re furtiva, non est manifestus fur. (INSTITUT. JUSTINIAN., liv. 4, tit. 1, § 3.)

(1) Las siete Partidas, Partid. vn, tit. 14, ley 2 et 18.

(2) Voir la Caroline, art. 158.

(3) Jorsse, Traité de la justice criminelle, tom. 4, p. 167.

(4) Ordonnance de 1670, tit. 2, art. 4; tit. 6, art. 4; tit. 10, art. 9; et tit. 14, art. 14.

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