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eut toutes parcourues. Mais, utile en beaucoup de points, surtout sous le rapport de l'effet sanctionnateur de la pénalité, qui serait mis partout en évidence, cette classification offrirait de grandes défectuosités quant au caractère et à l'ensemble du droit pénal lui-même.

785. On pourrait prendre pour base a considération du patient du délit délits contre l'Etat; délits contre les êtres juridiques collectifs, tels que communes, colléges, corporations; délits contre les particuliers. Puis arrivant aux points par lesquels le patient du délit peut être lésé : à l'égard de l'Etat ou des autres êtres juridiques collectifs, délits contre leur existence ou leur sûreté, délits contre leurs intérêts moraux, délits contre leurs droits de propriété, de créance ou autres semblables. De même à l'égard des particuliers délits attaquant la personne lésée dans son corps, délits attaquant la personne lésée dans son moral, délits attaquant la personne lésée dans ses droits; et l'on suivrait ensuite la filière des nouvelles décompositions auxquelles chacun de ces termes peut être soumis. On obtiendrait ainsi une autre classification bien plus spécialement appropriée à l'ensemble du droit pénal, dont nous avons déjà donné un aperçu (ci-dess., no 539 et 544), et qui ne manquerait pas d'avoir son utilité, mais qui présenterait aussi ses désavantages.

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786. Mettant donc de côté la prétention d'un ordre qui puisse être à l'abri de toute critique, bien que nous ayons sous les yeux la plupart de ceux qui ont été adoptés par les divers codes criminels des autres nations nous nous contenterons de donner, dans ses grands délinéaments, une idée succincte de celui qu'a suivi notre Code pénal.

787. En dehors de son cadre, notre Code a laissé non-seulement les délits spéciaux tant de l'armée de terre que de la marine, mais encore un grand nombre de délits sur des matières de droit politique, ou de droit administratif, ou de police générale ou locale, lesquels, par des causes diverses, les unes raisonnées, les autres accidentelles, ont fait l'objet de lois particulières. Nous savons qu'on nomme, en un certain sens, délits communs ou ordinaires les délits compris dans le Code pénal, et délits spéciaux ceux qui sont régis par des lois à part (ci-dess., no 654); nous savons aussi que l'importance de ces derniers dans notre pratique judiciaire est considérable, et que le nombre de ces délits spéciaux commis chaque année dépasse, en ce qui concerne la police correctionnelle, celui des délits ordinaires (ci-dess., n° 656).

788. Quant aux délits compris dans son cadre, notre Code pénal les a divisés d'abord en deux parts, suivant leur gravité : il a traité, en les réunissant ensemble dans un même livre, des crimes et des délits ou contraventions de police correctionnelle (liv. 3, Des crimes, des délits et de leur punition); puis, dans un livre

à part, des délits ou contraventions de simple police (liv. 4, Contraventions de police et peines); première séparation qui peut se justifier, nous l'avons déjà dit, par cette considération que les crimes et les délits ou contraventions de police correctionnelle ont tous, quoiqu'à des degrés divers, ce caractère commun qu'ils sont d'importance générale; tandis que les délits ou contraventions de police simple n'ont qu'une importance locale (ci-dess., no 660 à 664, 687 et suiv.).

789. Pour les crimes et les délits correctionnels, une distinction prédominante les partage en crimes et délits contre la chose publique (tit. I); crimes et délits contre les particuliers (tit. II). Cette distinction capitale est assise sur la considération de la personne directement attaquée par le délit. Les êtres juridiques collectifs autres que l'Etat lui-même n'y forment pas une classe distincte, par le motif que ces êtres métaphysiques jouant, à peu de chose près, quant aux droits reconnus à leur personnalité juridique, le rôle d'un particulier, les délits dont ils peuvent être victimes se confondent, à de légères nuances près, avec ceux commis contre les particuliers.

que nous

790. Les crimes et délits contre la chose publique sont décomposés à leur tour en crimes et délits contre la sûreté extérieure ou intérieure de l'Etat (chap. 1); crimes et délits contre la constitution (chap. 2); crimes et délits contre la paix publique (chap. 3). Tandis que les crimes et délits contre les particuliers le sont en crimes et délits contre les personnes (chap. 1), et crimes et délits contre les propriétés (chap. 2). Cette nouvelle décomposition est toujours prise dans la considération de la personne victime du crime ou du délit, sous le rapport de l'espèce de droit ou d'intérêt qui se trouve lésé en elle: c'est une idée analogue à celle avons présentée ci-dessus (n° 785, 544 et 539), mais l'analyse est loin d'être précise et complète. Les subdivisions qui viennent ensuite se ressentent des imperfections de celles que nous venons d'indiquer; elles sont prises successivement à des idées différentes les unes des autres; c'est là que se font sentir les défectuosités inséparables en général d'une classification de cette nature, et celles propres en particulier au système adopté par notre Code. Les grands délinéaments se tracent avec une certaine facilité apparente; tant qu'on s'y tient la confusion ne semble pas se produire encore, mais c'est quand on arrive au classement particulier de chaque fait que les embarras surgissent et qu'il est impossible d'en trouver un qui puisse échapper à toute critique.

791. En ce qui concerne les contraventions de simple police, notre Code, vu sans doute le peu de gravité de ces infractions, et par suite la faiblesse des nuances morales qui les séparent, n'a pas suivi d'autre méthode que de les ranger en trois classes suivant le taux de l'amende encourue, échelonnée elle-même par trois chiffres différents, indépendamment des peines d'emprisonnement

et de confiscation qui peuvent en outre être prononcées dans les cas fixés par le Code (1).

CHAPITRE III.

ÉLÉMENTS DE FAIT DU DÉLIT.

792. Nous avons déjà dégagé par l'analyse les éléments personnels du délit, c'est-à-dire ceux qui résident dans la personne du sujet actif et du sujet passif (tit. I, no 219 et suiv.; tit. II, no 536 et suiv.). Nous arrivons maintenant aux éléments de fait. Ceux-ci, il est vrai, seront toujours indissolublement liés à ces deux personnes; ce seront toujours les deux acteurs, l'un actif et l'autre passif, qui y figureront mais après avoir étudié ces deux acteurs en eux-mêmes, il s'agit de les voir en action; après les éléments tirés de la considération même de leur personne, il s'agit de ceux tirés de la considération des actes accomplis par eux, contre eux ou autour d'eux.

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793. Deux observations générales doivent dominer toute cette étude: La première, c'est que rien dans les faits dont se compose le délit ou qui s'y réfèrent n'est étranger d'une manière absolue au criminaliste. Qu'il s'agisse des circonstances par lesquelles ou au milieu desquelles le délit a été amené, préparé ou accompli; de celles du temps, c'est-à-dire de la place que le délit occupe dans la durée; de celles du lieu, c'est-à-dire de la place que le délit occupe dans l'espace; ou de celles, enfin, relatives aux suites que le délit a pu avoir tout cela est susceptible d'influer, dans telle occasion ou dans telle autre, en plus ou en moins, sur les mille et mille nuances de la culpabilité (ci-dess., no 229), ou sur l'application du droit pénal. De telle sorte que tout en portant une attention particulière sur celles qui paraissent communément le plus importantes, et en bornant à celles-ci l'étude abstraite qu'on en peut faire, il faut bien se tenir pour averti qu'aucune d'elles, surtout dans la jurisprudence pratique, n'est à négliger.

794. La seconde observation capitale, c'est que le législateur ne peut prévoir et définir de ces diverses circonstances que celles qui sont de nature à influer d'une manière générale sur la culpabilité absolue (ci-dess., n° 230) ou sur l'application abstraite de la pénalité. Mais en dehors de celles ainsi prévues et limitées par le

(1) 1re classe, art. 471, depuis 1 franc jusqu'à 5 francs d'amende; emprisonnement et confiscation conformément aux articles 472, 473 et 474.-2e classe, art. 475, depuis 6 francs jusqu'à 10 francs d'amende; emprisonnement et confiscation conformément aux articles 476, 477 et 478. 3e classe, art. 479, depuis 11 francs jusqu'à 15 francs d'amende; emprisonnement et confiscation conformément aux articles 480, 481 et 482.

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législateur, il reste toutes celles dont le nombre et dont la variété sont indéfinis. Pour celles-ci, c'est à la sagesse du juge que doit être laissé le soin de les apprécier et d'en tenir compte dans la mesure que ce juge est chargé de faire, en chaque cause, de la culpabilité individuelle et de la peine à appliquer. C'est pour cela qu'une certaine latitude, quant à cette application de peine, lui est nécessaire (ci-dess., n° 230).

795. Nous trouvons en notre législation positive et en notre jurisprudence pratique une certaine application de ces observations: 1° dans les diverses circonstances prévues et déterminées à propos de chaque crime, délit ou contravention en particulier, par notre loi pénale, avec les effets qu'elles doivent produire; 2° dans la latitude que la distance entre le maximum et le minimum, quand il en a été établi, ou la déclaration de circonstances attėnuantes, laissent au juge pour le compte à tenir de toutes les nuances de fait que la loi n'a pu à l'avance préciser.

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796. C'est sous le bénéfice de ces deux observations que nous aborderons l'étude des principaux éléments de fait qui entrent dans le délit. Encore ne faut-il pas perdre de vue que cette étude se rattache dans ses détails à celle des délits eux-mêmes, considérés chacun en particulier d'où il suit que c'est dans la partie spéciale du droit pénal, à mesure que chaque délit y est passé successivement en revue, qu'elle trouve sa véritable place. Il ne s'agit ici que de quelques aperçus généraux, propres à étendre leur influence, avec plus ou moins d'expansion, sur les diverses spécialités.

797. Claudius Saturninus, dans un fragment bien connu du Digeste, fait observer que les actes à punir doivent être considérés de sept manières: Causa, persona, loco, tempore, qualitate, quantitate et eventu (1). » Cette analyse est devenue traditionnelle parmi les criminalistes: nous la trouvons déjà reproduite, à peu de chose près, et commentée dans le Grand coutumier de France, du temps de Charles VI; puis, avec quelques développements de plus, dans la Somme rural de Jehan Bouteiller, presque du même temps; et enfin jusque dans les dernières années de notre ancienne jurisprudence française (2). - Pour la simplifier, en y

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(1) Sed hæc quatuor genera consideranda sunt septem modis causa, persona, loco, tempore, qualitate, quantitate et eventu. » (Dio. 48, 19, De pœnis, 16, §§ 1 à 10, fr. Claud. Saturn.)

(2) Les meffaicts aggrauent ou allegent les peines en sept manieres. — La premiere, pour cause de la personne, si comme vne chetiue personne frappoit vne personne de grand' authorité ou au contraire, si vne haulte personne frappoit un varlet: ou quand aucun excès est faict par une personne folle ou yure. La seconde, pour cause du lieu, comme meffaire en sainct lieu, ou en vn hostel priuilegé, comme au Palais Royal, ou au luge seant au siege ou au Prestre celebrant la Messe, ou en foire ou en marché.... - La tierce, pour cause du temps, comme de nuict ou de jour.... La quarte, pour raison de la qualité, comme meffaire en appert (ouverte ment) ou d'aguet (de guet-apens).... La cinquiesme, pour cause de la quantité : car

faisant moins de divisions, en y employant des expressions moins scolastiques et en laissant de côté, comme épuisé déjà par nous, ce qui concerne le motif ou l'intention (causa), ainsi que la personne de l'agent ou du patient du délit (persona) (1), nous réduirons nos observations, sans prétendre exclure toutefois les autres considérations de fait qui pourraient se présenter utilement, aux éléments principaux que voici Le fait en lui-même; moyens de préparation et d'exécution (2); le temps; lieu; enfin le mal que le délit était destiné à produire, avec les suites qu'il a eues (3).

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§ 1. Du fait en lui-même.

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798. C'est dans la diversité des faits par lesquels le droit est violé et l'intérêt social compromis que gît la diversité des délits; l'étude de chacun de ces faits n'est autre chose que l'étude de chaque délit, et par conséquent l'objet même de la partie spéciale du droit pénal.

799. Nous savons que ces faits ne peuvent être que des actions ou inactions à l'extérieur de l'homme (ci-dess., no 570), réunissant ce double caractère, d'une part qu'elles soient contraires à la justice absolue, et d'autre part que la répression en importe à la conservation ou au bien-être social. Il n'est pas nécessaire de démontrer comment ce double caractère peut exister dans des actes proprement dits, dans des écrits, dans des paroles; mais peut-il se rencontrer dans des résolutions?

800. Tant que la résolution d'agir est restée enfermée dans le mystère des actes psychologiques qui s'accomplissent à l'intérieur de l'homme, il est certain qu'elle échappe à la pénalité humaine : füt-elle même avouée, elle ne saurait, par les raisons que nous en avons dites (ci-dess., no 570), tomber sous le coup de cette

plus doit estre puny celuy qui tue que celuy qui blesse, et qui emble (vole) 60 solz, que celuy qui emble un oyson, et qui a faict vn grand meffaict doit grand mal porter et soustenir. — La sixiesme, pour cause de l'intention, comme qui mesprendroit de certain propos (de propos délibéré), doit estre plus puny que qui blesseroit ou mesprendroit ignoramment. La septiesme, pour cause d'accoustumance, car qui est accoustumé de mal faire doit plus griefuement estre puny que celuy qui n'est pas accoustumé. » (Le Grand coustumier de France, liv. 4, ch. 6, des peines, p. 536.) — On voit que l'auteur a remplacé la septième considération du droit romain, eventus, par cette autre, l'accoustumance. Jehan Bouteiller la rétablit en l'ajoutant à celles du Grand coustumier, et en en faisant par conséquence une huitième, sous ce titre Pour cas d'aduenture. (Somme rural, liv. 1, tit. 29, des peines des délicts dessus touchez, p. 181.) - Voir, pour les derniers temps de notre ancienne jurisprudence, Jousse, Traité de la justice criminelle, tom. 1, p. 9; et MUYART DE VOUGLANS, Les lois criminelles de France, liv. 1, tit. 4.

(1) Persona dupliciter spectatur: ejus qui fecit, et ejus qui passus est. » (DIG. Loco citato, § 3.)

(2) C'est ce que le jurisconsulte romain veut indiquer par le mot qualitas.

(3) C'est ce que le jurisconsulte romain comprend dans les mots quantitas et eventus.

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