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le soin de tenir compte, dans chaque cause, de ces sortes de considérations, rentre dans l'office du juge, suivant la latitude qui lui est laissée.

855. Il est, néanmoins, quelques-unes de ces considérations sur le lieu du délit, qui, étant de nature à s'étendre à un certain nombre de délits divers, s'offrent au criminaliste avec un caractère moins spécial, et doivent, par conséquent, attirer ici notre attention. Nous comprendrons dans cette classe celles relatives aux lieux publics, aux lieux religieux, aux lieux où s'exerce la justice, aux maisons, ou lieux habités ou servant à l'habitation.

856. La publicité n'est pas une circonstance qui agisse de la même manière sur la criminalité des délits. Certains actes commis en secret seront plus coupables que s'ils avaient été commis ostensiblement, parce qu'ils contiendront en eux un esprit de trahison ou d'hypocrisie, et qu'ils seront plus dangereux. Dans d'autres, au contraire, et ce seront les plus nombreux, la circonstance de publicité dénotant plus d'audace, plus de cynisme chez le coupable, emportant une violation de la foi, de la garantie publiques, occasionnant une atteinte plus grave à la sécurité, ou plus de trouble, plus d'alarme, plus de scandale, la criminalité du délit en sera augmentée (1). Enfin, il est des actions qui, bien qu'immorales en elles-mêmes, ou indifférentes si on considère les individus isolément, mais transformées en devoirs moraux par nos obligations envers la société (ci-dess., n° 613), ne tombent sous le coup de la pénalité sociale que lorsqu'elles ont été commises publiquement.

857. Bien qu'il y ait un rapport incontestable entre la publicité du lieu où le délit est commis et la publicité du délit, cependant, il ne faut pas les confondre l'une avec l'autre. Ces expressions : « un délit commis dans un lieu public» ou « un délit commis publiquement » sont bien loin de rendre la même idée; le législateur doit se garder de les employer comme synonymes, et le criminaliste pratique de les

dans la maison, l'atelier ou le magasin de son maître; ou par un individu travaillant habituellement dans l'habitation où il aura volé; art. 388, vols de certains objets dans les champs, de bois dans les rentes, de pierres dans les carrières, de poisson en étang, vivier ou réservoir; art. 452, empoisonnement de poissons dans des étangs, viviers ou réservoirs; art. 453 et 454, mort donnée sans nécessité à certains animaux désignés par le Code, suivant que le délit a été commis dans un lieu appartenant en propriété ou en jouissance au maître de l'animal tué, on à celui qui l'a tué, ou bien dans tout autre lieu; mort donnée sans nécessité à un animal domestique dans un lieu appartenant en propriété ou en jouissance au maître de cet animal; 479, no 5, fait d'avoir de faux poids ou de fausses mesures dans ses magasins, boutiques, ateliers ou maisons de commerce, ou dans les halles, foires ou marchés. - Joignez-y les dispositions d'un grand nombre de lois spéciales de police, notamment du Code forestier, des lois sur la police rurale, sur la police de la chasse, etc.

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(1) Car qui mal veut faire, selon le sage, au moins le face secrettement et sans troubler que le moins qu'il peut. (Somme rural de BOUTEILLER, liv. 1, tit. 29,

pag. 181.) Mais plus sage est le conseil de ne mal faire ni publiquement ni secrètement.

353 prendre l'une pour l'autre dans les textes de lois où elles peuvent se présenter. Il peut se faire, en effet, qu'un délit commis dans un lieu public n'ait pas été commis publiquement, si ce lieu était désert, si personne n'a été témoin du fait, qui est resté un acte secret; tandis qu'il peut se faire, en sens inverse, qu'un délit commis dans un lieu privé ait été commis publiquement, si ce lieu privé était exposé aux regards du public, ou si le fait a été commis devant un nombre de personnes et dans des circonstances suffisantes pour constituer la publicité.

858. Quelquefois le législateur aura pris en considération uniquement la publicité du lieu que le délit ait eu des témoins ou non, qu'il ait été ostensible ou secret, la circonstance à laquelle le législateur se sera attaché, c'est que l'acte aura été commis en tel lieu. Nous en donnerons pour exemples: les vols sur les chemins publics (Code pén., art. 383); le fait d'avoir établi ou tenu dans les rues, chemins, places ou lieux publics, des jeux de loterie ou d'autres jeux de hasard (Code pén., art. 475-5°); l'affichage dans les rues, places, ou autres lieux publics (loi du 10 décembre 1830 et décret du 31 août 1852); l'exercice, même temporaire, de la possession de crieur, vendeur ou distributeur d'écrits ou dessins, sur la voie publique, sans autorisation préalable (loi du 16 février 1834); le fait d'avoir annoncé dans les rues, places et autres lieux publics, les journaux, feuilles quotidiennes ou périodiques, jugements et autres actes de l'autorité, autrement que par leur titre (loi du 10 décembre 1830, art. 3); le fait d'avoir crié sur la voie publique tout autre écrit avant d'avoir fait connaître à l'autorité municipale le titre sous lequel on se propose de l'annoncer, et d'avoir remis à cette autorité un exemplaire de cet écrit (ibid.).

859. D'autres fois ce sera la publicité du délit : laquelle peut résulter non-seulement de la circonstance du lieu, mais de plusieurs autres circonstances de nature à faire que l'acte ait été public quoique le lieu où il a été commis fût privé. Il faut même

observer à cet égard que les conditions de la publicité incriminée ne sont pas les mêmes pour tous les délits. La nature particulière de chaque sorte de délit apporte ici ses règles spéciales, que le criminaliste ne doit pas perdre de vue, et sur lesquelles devront se baser les solutions de la pratique.

860. Tantôt il suffira qu'il y ait eu possibilité que le public fut offensé par le spectacle de l'action coupable, sans rechercher si en fait il y a eu ou non des témoins à cette action, et si cette publicité a été ou non dans l'intention du délinquant. Tel est l'exemple des outrages publics à la pudeur (Code pén., art. 330). Que le délit ait été commis la nuit, par des personnes qui cherchaient à se cacher, sur une voie publique écartée et peu passagère, du moment qu'il était possible que quelqu'un du public y passât; qu'il ait été commis dans un lieu privé, mais exposé aux regards de quelqu'un

du public, par exemple, dans un champ, dans un jardin, à une fenêtre ou même dans une chambre disposée de manière qu'on pût y être vu des personnes voisines ou des passants: cela suffit pour que l'outrage public à la pudeur, ou pour mieux dire, l'outrage à la pudeur publique existe. Tandis qu'en sens inverse, l'acte commis même dans un lieu public, si la situation était telle que nul du public ne pût y voir, par exemple, dans une voiture publique, s'il est prouvé par l'ensemble des circonstances que les personnes s'y trouvaient isolées et fermées à tous les regards, pourra, suivant ces circonstances particulières, ne pas constituer un outrage public à la pudeur.

861. Tantôt, au contraire, il faudra une publicité effective, ou du moins l'emploi d'un mode effectif de publicité, c'est-à-dire d'un mode destiné, dans l'intention du délinquant, à faire arriver à la connaissance du public les actes, les paroles ou les pensées. Tel est l'exemple des délits commis par la voie de la presse ou par l'un des moyens de publication qu'a définis, chez nous, l'article 1er de la loi du 17 mai 1819, article auquel le législateur s'est toujours référé depuis, savoir les discours, cris ou menaces proférés, les écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures ou emblèmes vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, les placards et affiches exposés au regard du public. Tels encore particulièrement les délits de diffamation ou d'injure publiques, c'est-à-dire commises par l'un des moyens que nous venons d'énumérer (1). — Les mots de lieux ou réunions publics font voir que la publicité dont il est ici question n'est pas seulement celle du lieu, c'est aussi celle de la réunion; or, il peut se faire que dans un lieu privé il y ait un concours de personnes tel, soit par le nombre, soit par la manière dont ces personnes y sont reçues ou convoquées, qu'on puisse dire que le caractère de réunion publique existe. — Les mots de discours, cris ou menaces proférés font voir qu'il s'agit, dans ce moyen spécial de publication, de paroles adressées hautement à des personnes qui les entendent, portées devant des auditeurs (pro-ferre), c'est-à-dire d'une publicité effective; la publicité du lieu ne suffirait pas des paroles dites à voix basse, confidentiellement, aux personnes avec lesquelles on cause, quoique dans une rue, à une table d'hôte, ou bien des paroles dites même à haute voix dans une rue, dans un lieu public, déserts en ce moment, où l'on se trouverait seul avec la personne injuriée, par exemple, ne rentreraient pas dans le cas de cette publicité. Ainsi, les règles interprétatives de ce qui constitue la publicité dans les délits commis par la voie de la presse ou par quelqu'un des moyens de publication ne sont même pas identiques à l'égard de chacun de ces moyens. C'est une des difficultés ma

(1) Code pénal, art. 1819, art. 13 et suiv.;

375, abrogé par la loi de 1819, art. 26 ; — loi du 17 mai plus quelques lois et décrets postérieurs.

jeures pour la doctrine et une des tâches essentielles de la jurisprudence pratique en ces sortes de délits, que l'appréciation de ce caractère de publicité. — Nous rangerons sous des règles analogues le fait d'avoir porté publiquement un costume, un uniforme ou une décoration qu'on n'avait pas le droit de porter (C. pén., art. 259). 862. Tantôt, enfin, ce ne sera qu'une sorte spéciale de publicité que la loi pénale aura incriminée, comme dans les art. 201 à 203, où il s'agit de discours que prononceraient des ministres des cultes dans l'exercice de leur ministère et en assemblée publique : l'assemblée publique dont il s'agit ici est uniquement celle au milieu de laquelle le ministre du culte exerce son ministère.

863. Le fait qu'un délit a été commis dans un édifice consacré à un culte légalement établi, ou dans quelque lieu destiné ou servant au moment même à l'exercice d'un de ces cultes, dénote incontestablement chez l'agent un surcroît de culpabilité. A part ses propres croyances, et quelles qu'elles pussent être, le respect dù aux croyances d'autrui, à la destination du lieu ou au service de religion qui s'y accomplissait, étaient des freins de plus par-dessus lesquels il lui a fallu passer. Le droit religieux de chaque culte, le droit canonique chez nous, envisageront nécessairement de pareils actes sous le rapport de la religion, et pourront y voir, suivant les cas, une profanation, un sacrilege. Cet aspect religieux de la culpabilité est placé, nous le savons, en dehors de la sphère de la justice pénale temporelle (ci-dess., n° 553); mais l'augmentation de culpabilité tirée des considérations de morale universelle ou d'intérêt public, qui se présentent en de telles situations, tombe Sous la compétence de cette justice. La loi positive pourra prévoir et réglementer elle-même quelques-unes de ces hypothèses; à défaut de texte légal, ce sera au juge à prendre en considération ces circonstances dans la mesure de la culpabilité individuelle. Nous trouvons pour exemples des dispositions positives de la loi à ce sujet, dans notre Code pénal: L'article 261, - L'article 261, contre ceux qui auraient empêché, retardé ou interrompu les exercices d'un culte par des troubles ou désordres causés dans le temple ou autre lieu destiné ou servant actuellement à ces exercices; de telle sorte que si les troubles ou désordres n'ont pas pénétré dans ces lieux, mais se sont arrêtés à l'extérieur, la disposition cesse d'être applicable; l'article 262, contre toute personne qui aura, par paroles ou gestes, outragé les objets d'un culte dans les lieux destinés ou servant actuellement à l'exercice de ce culte : ce qui comprendrait, aussi bien que dans le cas précédent, un exercice même temporaire, transitoire, tel que celui d'une procession dans la rue où elle passe, et au moment où elle y passe; enfin l'article 386, no 1, au sujet des vols commis dans les édifices consacrés aux cultes légalement établis en France. Notre Code a fait de celte circonstance de lieu une cause d'aggravation du vol, non pas lorsqu'elle est seule, mais lorsqu'elle est jointe soit à celle de

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nuit, soit à celle que le vol a été commis par deux ou plusieurs personnes. Séparée de l'une ou de l'autre de ces deux dernières circonstances, elle cesse d'être une cause légale et impérative d'aggravation de la peine. C'est au juge à en tenir compte, selon la latitude de ses pouvoirs, pour la mesure de la culpabilité individuelle; de même qu'il devra le faire en cas de tous délits autres que le vol.

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864. Des observations analogues s'appliqueront aux délits commis dans un lieu où s'exerce la justice et au moment où elle s'y exerce.. Notre Code pénal a prévu et frappé de peines plus sévères l'outrage par paroles, par gestes ou menaces, ainsi que les violences contre un magistrat dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, lorsque ces faits auront eu lieu à l'audience d'une cour ou d'un tribunal (Code pén., art. 222, 223 et 228).-Notre Code d'instruction criminelle a prévu le cas de crimes, de délits de police correctionnelle, ou de contraventions de simple police qui seraient commis à l'audience ou en tout autre lieu où se fait publiquement une instruction judiciaire, sous le rapport des modifications de compétence qui en résultent pour les attributions de police ou de jugement (art. 504 et suiv.). Quant à la peine, la loi n'ayant prononcé aucune aggravation, l'influence que peut avoir cette circonstance de lieu est renfermée dans les limites des pouvoirs du juge. 865. Si du respect, si de la garantie publique qui sont dus à toute clôture on est autorisé généralement à conclure qu'il y a aggravation de criminalité dans les délits où se rencontre une violation de clôture, ainsi que nous l'avons déjà vu pour ceux commis à l'aide d'effraction, d'escalade ou de fausses clefs (ci-dessus, n° 832), à plus forte raison en sera-t-il ainsi des délits dans lesquels ce sera le respect, ce sera la protection dus aux lieux habités ou servant à l'habitation qui auront été violės. De pareils délits, quel qu'en soit le but principal, ne sont pas seulement des délits contre les biens, ils portent atteinte à des droits personnels, celui de la tranquillité, de la sécurité de l'homme dans la demeure qu'il habite. C'est à la partie spéciale du droit pénal à déterminer quels sont les délits à l'égard desquels cette circonstance de lieu habité ou servant à l'habitation aura un caractère aggravant, et à mesurer, quant à la culpabilité absolue, la portée de cette aggravation. Notre Code pénal l'a fait à l'égard de trois délits, ceux de mendicité, de vol et d'incendie. Mais les motifs, à l'égard des deux premiers et à l'égard du troisième, sont bien loin d'être identiques.

866. Dans les deux premiers, la mendicité et le vol, c'est l'introduction du délinquant dans l'enceinte de l'habitation, c'est la violation par lui commise de cette enceinte, la perpétration du délit dans cette enceinte même, qui est l'élément d'aggravation de la culpabilité. Aussi, que le délinquant se soit introduit, qu'il ait commis son délit dans l'habitation même, ou dans une des dépendances de l'habitation, telles qu'une écurie, un hangar, un ma

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