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dont la protection a subi un échec, dont la population prend l'alarme et entre en défiance, au sein duquel surgit le danger du mauvais exemple, à moins que l'exemple de la peine publique marchant à la suite du délit ne vienne arrêter les uns et rassurer les autres; que le délinquant soit un national ou un étranger, que fait cette circonstance à la question? Du moment qu'il y a dans l'auteur de l'action moralement coupable un homme avec les conditions voulues de l'imputabilité et de la responsabilité pénales (ci-dess., no 220 et suiv.), le droit de punir cet homme existe, et il existe au profit de l'Etat lésé dans son intérêt de conservation ou de bien-être social par le délit. Laissant donc de côté toutes les raisons secondaires qui ont pu en être données, laissant de côté la phraséologie qui ne fait qu'affaiblir le raisonnement, on voit que c'est sur la base même fondamentale du droit pénal que vient s'asseoir cette vérité que chaque Etat a le droit de punir les délits commis sur son territoire, sans distinction entre les délinquants nationaux ou étrangers. Et quelle loi y appliquera-t-il? Evidemment celle qui est tenue dans cet État pour juste et nécessaire, c'est-à-dire celle qui y est en vigueur, qui est la loi de cet État. Objectera-t-on que cette loi peut être mauvaise? C'est le sort possible de toute loi positive: mais alors elle est mauvaise contre les nationaux non moins que contre les étrangers; vous faites le procès à la loi existante, vous ne prouvez rien contre le droit de punir qui appartient à l'Etat.

Quant à cette première situation, en science comme en fait, sauf les différentes manières de raisonner, tout le monde est d'accord sur la conclusion. C'est sous ce premier rapport qu'on peut dire, si l'on veut, que la loi pénale est essentiellement territoriale. 882. En ce qui concerne les délits commis hors du territoire, deux théories radicales et en sens inverse se sont produites.

Suivant l'une de ces théories, une action mauvaise étant mauvaise n'importe où elle ait été commise, le coupable mérite son châtiment n'importe où il se réfugie, et chaque Etat qui le tient en son pouvoir est en droit de lui infliger ce châtiment (1). Il est facile de voir que cette théorie n'est qu'une conséquence du système qui assied, pour les sociétés, le droit de punir sur l'idée seule de la justice absolue (ci-dess., n° 182); la condition de l'utilité ou de la nécessité sociale y est mise tout à fait de côté.

Suivant l'autre théorie, au contraire, la puissance pénale de chaque Etat est exclusivement restreinte aux actes commis sur son territoire; du moment qu'il s'agit d'actes qui se sont passés au

(1) M. PINHEIRO-FERRERA me paraît, entre les publicistes, celui qui a émis cette théorie le plus radicalement. Son système se résume, en définitive, en ceci jamais extradition, mais punition de toute personne sur le territoire et d'après la loi de ce territoire, pour tous délits commis même au dehors. Cours de droit public, t. 2, p 32 et suiv., 179 et suiv.

DÉLITS HORS DU TERRITOIRE. 363 dehors, quels que soient ces actes et quels qu'en soient les auteurs ou les victimes, nationaux ou étrangers, quelles que soient les circonstances qui aient amené chez lui la présence de ces auteurs, et quelques plaintes qui lui en soient faites, le droit de punir n'existe pas pour l'Etat. C'est sous ce second rapport que les partisans de ce système diront que la loi pénale est exclusivement territoriale: le mot, comme on le voit, est à double sens; il n'est pas étonnant qu'il en naisse des équivoques. Assise sur une limite toute matérielle, cette théorie ne donne satisfaction ni au principe de justice, ni à celui de la nécessité ou de l'utilité sociale, qui aurait souvent à en souffrir.

Celle-ci pas plus que la précédente n'est dans le vrai.

883. Notez bien que le problème n'est pas de savoir si un Etat peut aller punir sur le territoire d'un Etat étranger des actes coupables qui s'y sont passés, saisir les délinquants, entendre les témoins, exercer une autorité quelconque : qui mettrait en doute la négative? Ce n'est pas la puissance pénale seulement, c'est toute puissance, tout droit de souveraineté interne dont l'exercice, sauf quelques rares exceptions admises par le droit des gens, s'arrête pour chaque Etat à la limite des frontières : le principe est incontesté, et il n'est question d'y porter aucune atteinte. Le problème est de savoir si un Etat ne peut jamais punir chez lui, sur son territoire, des actes qui ont été commis au dehors. Le droit de punir appartient indubitablement à l'Etat sur le territoire duquel le délit a eu lieu, le problème est de savoir s'il n'appartient qu'à lui seul, et si d'autres Etats ne peuvent pas aussi en être investis. Je crains bien que la confusion entre deux idées aussi différentes ne soit pour beaucoup dans le sens attribué par quelques-uns à la maxime de la territorialité de la loi pénale.

884. Or pour la solution de ce second problème comme pour celle du premier, c'est toujours à la théorie fondamentale du droit de punir qu'il faut recourir, c'est toujours le mème principe et toujours la même conséquence, c'est toujours cette vérité que le droit de punir existe pour la société du moment que ces deux conditions se trouvent réunies : la justice ef la nécessité sociale; un acte méritant châtiment suivant la loi morale du juste, et un intérêt social autorisant l'Etat à s'immiscer dans l'application de ce châtiment (ci-dess., nos 187 et suiv.).

Prenant, en effet, ce point de départ, on conçoit qu'un Etat, lorsqu'un fait moralement coupable a eu lieu hors de son territoire, soit communément désintéressé dans la répression, et doive par conséquent y rester étranger.

Mais ne peut-il pas surgir une multitude de circonstances qui fassent naître pour lui un intérêt personnel de conservation ou de bien-être social à la punition méritée du coupable, et qui lui donnent dès lors le droit d'infliger cette punition? Si l'acte moralement coupable, bien que commis en pays étranger, a été dirigé

contre l'Etat lui-même, contre sa sûreté, contre sa fortune; s'il l'a été contre un de ses nationaux, auxquels cet Etat doit plus de protection, même au dehors; ou par un de ses nationaux, sur lesquels il a plus d'autorité quelque part qu'ils aillent; si le fait a été commis dans un certain rayon de ses frontières: par exemple, s'il s'agit d'attaques ou de vols sur grands chemins, aux abords du pays ou à quelques lieues de distance; si les produits du crime ont été apportés chez lui; enfin si, dans tous ces cas, le coupable, national ou étranger, est venu et se trouve sur son territoire, où la présence de cet homme est un danger, une cause d'alarme pour la sécurité commune, de telle sorte qu'il importe de rassurer les habitants, de montrer à tous que l'Etat n'est pas impuissant et désarmé contre les malfaiteurs qui sont là sous sa main et sous son autorité? Certes, voilà des hypothèses dans lesquelles l'Etat, suivant la gravité des faits, peut avoir à la répression méritée un intérêt personnel de conservation ou de sécurité sociale, et où par conséquent la théorie fondamentale elle-même du droit de punir nous dit que ce droit lui appartient.

885. Vainement objecterait-on que l'exercice de la souveraineté interne de chaque pays s'arrête aux limites du territoire il ne s'agit pas, ainsi que nous venons de l'expliquer, d'aller faire chez autrui un acte quelconque de souveraineté ; il s'agit d'exercer chez soi, sur son propre territoire, le droit de punir dont on est personnellement investi.

Vainement objecterait-on que c'est l'affaire de chaque Etat de garantir chez soi la paix et la sécurité publiques, et que nulle puissance étrangère n'a le droit de s'immiscer dans cette affaire : il ne s'agit pas de garantir la paix ou la sécurité d'un autre Etat, mais bien de garantir la sienne propre.

Vainement objecterait-on que les faits commis hors du territoire n'ont pu troubler la paix publique du pays : il est, au contraire, des cas où de pareils faits, suivant leur nature ou les circonstances qui sont venues à la suite, bien que commis à l'étranger, peuvent troubler gravement la paix publique du pays; il s'agit précisément de distinguer et de déterminer quels sont ces cas.

Vainement enfin objecterait-on que l'Etat qui veut punir des faits commis hors de son territoire est dépourvu d'un grand nombre de moyens pour la constatation de ces faits; qu'il ne peut ni faire ni ordonner aucune descente ou vérification sur le territoire étranger; ni assigner, avec le droit de commandement, les témoins qui s'y trouvent; qu'il est obligé de s'en remettre, pour ces actes d'instruction, aux secours officieux d'une puissance étrangère, à l'assistance mutuelle que les gouvernements peuvent se donner ou se refuser cela est vrai; mais ce ne sont là que des difficultés d'exécution auxquelles il doit être pourvu de la manière la plus convenable possible; des difficultés dans l'exercice du droit qui ne prouvent rien contre l'existence du droit en lui-même.

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886. Ce droit, pour chaque Etat, de punir, dans certaines bypothèses, des actes criminels commis hors du territoire national se présente donc, non pas comme une exception aux règles fondamentales de la pénalité, mais comme une application même de ces règles. Ici, comme ailleurs, la tâche du criminaliste quant à la science rationnelle, et celle du législateur quant à la loi positive; consisteront à déterminer quels seront les actes à l'égard desquels et quelles seront les hypothèses dans lesquelles les deux conditions de la justice et de l'intérêt social se trouveront réunies pour justifier et pour commander l'exercice de la puissance pénale. Quelques idées générales doivent présider sur ce point à l'appréciation des cas particuliers.

887. Une distinction première se présente, suivant que les délits commis hors du territoire de l'Etat l'ont été ou contre cet Etat lui-même, ou contre un Etat étranger, ou contre des particuliers. 888. S'ils l'ont été contre cet Etat lui-même, par exemple contre sa sûreté intérieure ou extérieure, contre sa fortune publique, contre ses institutions ou ses autorités, il n'est pas besoin d'aller chercher pour lui d'autre motif d'intérêt à la répression; attaqué directement et personnellement par le délit, c'est lui qui a le premier et le plus grand intérêt de conservation ou de sécurité sociale à ce que de tels actes ne restent pas impunis. Il passe même à cet égard avant l'Etat sur le territoire duquel les actes dirigés contre lui se sont accomplis, car cet Etat étranger n'y est engagé que d'une manière indirecte, il peut y être indifférent, ou même en être complice, suivant la nature de ces actes ou suivant les relations amicales ou hostiles existant entre les deux pays. Et peu importe, dans cette première hypothèse, que le coupable soit un national ou un étranger, qu'il soit venu et qu'il puisse être saisi sur le territoire ou qu'il se tienne toujours au dehors: cette présence du délinquant sur le territoire de l'Etat attaqué par le délit peut être de grande importance pour l'efficacité de la poursuite, mais ce n'est pas elle qui ouvre l'intérêt social ni par conséquent le droit de punir.

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889. Au contraire, si les actes commis à l'extérieur l'ont été contre un Etat étranger ou contre des particuliers, la présence du délinquant est une condition indispensable entre toutes les autres pour faire surgir au profit d'un Etat hors du territoire duquel les faits se sont passés un intérêt social de répression; parce qu'alors seulement le délinquant, par cette présence au sein de cet Etat, pourrait y devenir, s'il y jouissait de l'impunité, une cause de péril, de trouble à la sécurité publique, de mauvais exemple et de scandale pour l'autorité du droit. Cette présence, dans cette seconde hypothèse, n'est plus seulement de grande importance pour l'efficacité de la poursuite, c'est elle qui ouvre l'intérêt social et par conséquent le droit même de punir.

Mais ici de nouvelles distinctions sont à faire.

890. S'il s'agit d'actes qui ne sont point contraires à la loi morale universelle, mais contraires seulement aux lois politiques ou aux lois spéciales de police de l'Etat étranger sur le territoire duquel ils ont eu lieu, la culpabilité n'étant qu'une culpabilité locale, malgré la présence du délinquant au sein du pays où il s'est réfugié ce pays n'a pas à s'immiscer dans la punition. Chaque peuple a son organisation politique ou sociale et ses prescriptions de police intérieure, souvent contradictoires avec celles des autres ; nul d'entre eux n'est appelé à sanctionner celles de ses voisins par l'application de sa propre législation pénale à des faits qui se sont passés ailleurs que chez lui. Hors du territoire où ils ont été commis les délits politiques et ceux de police spéciale doivent donc être à l'abri de toute pénalité. Loin d'avoir à les poursuivre, les nations qui se respectent doivent se faire, au contraire, un devoir d'accorder asile aux réfugiés politiques de tous les partis, à la charge par ces réfugiés de s'abstenir en cet asile de tout acte d'hostilité contre des puissances amies; elles doivent se faire un honneur de pourvoir mème, autant que l'humanité l'exige et que les ressources financières de l'Etat le comportent, aux plus pressants besoins des réfugiés sur cette terre où l'hospitalité leur est donnée.

891. Même lorsqu'il s'agit d'actes contraires à la loi morale universelle du juste, si ces actes ont peu de gravité ils cesseront aussi d'être punissables en dehors du territoire où ils auront été commis, parce qu'alors ce sera l'intérêt social qui fera défaut. On conçoit, en effet, que pour que la seule présence, chez une nation, de l'auteur d'un acte illicite commis en pays étranger produise autour du coupable ce danger public, ce trouble à la sécurité, qui font naître pour l'Etat l'intérêt et par suite le droit de prononcer et d'appliquer la peine méritée, il faut que l'acte en question ait une certaine gravité, sinon, la nécessité sociale s'évanouissant le droit de répression s'évanouit aussi. Il est indubitable, par exemple, que si la présence sur un territoire d'un homme qui a commis en pays étranger un assassinat, un meurtre, un incendie, un vol, un attentat par violence contre les mœurs, inspire de justes craintes à ceux qui l'entourent et donne naissance à un danger sérieux pour la société, il n'en sera pas de même de la présence de celui qui aura commis hors du territoire quelque délit d'injure verbale, ou de rixe sans gravité, ou de blessures involontaires. Joignez à cela que les difficultés de l'application dont il faut aller chercher les éléments de solution en pays étranger se multiplient à mesure qu'il s'agit de faits de moindre importance, et que le législateur doit éviter de susciter, pour un minime intérêt, de tels embarras à la justice et à la diplomatie.

892. Cette distinction à raison de la gravité devra s'appliquer, par des motifs identiques, aux délits qui seraient commis hors du territoire d'un Etat, même contre cet Etat personnellement (cidess., n° 888). En effet, si le délit est tel qu'il eût été peu grave

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