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contre un Français : s'il l'a été contre un étranger, pas de responsabilité pénale en France. -3° Que le coupable soit de retour en France: c'est ce retour et sa présence sur notre territoire qui font naître pour nous l'intérêt social de répression (ci-dessus, no 889 et 897). —4° Que le Français offensé rende plainte contre lui le législateur de 1808 a considéré cet intérêt social comme si peu marqué, que la plainte privée est nécessaire pour le faire surgir, de telle sorte que l'action publique se trouve enchainée à l'initiative de la partie lésée. -5° Enfin, que le coupable n'ait pas été déjà poursuivi et jugé en pays étranger: notre puissance pénale s'arrêterait, conformément aux principes rationnels, devant un jugement intervenu à l'étranger (ci-dessus, n° 908) (I).

915. Quant à l'étranger, il y avait plus d'incertitude dans notre ancienne jurisprudence. Il était bien admis que l'étranger qui se trouvait en France ne pouvait y être poursuivi à raison de faits criminels par lui commis en pays étranger contre un étranger; mais s'il avait commis ces faits contre un Français les solutions étaient divergentes. Tout en admettant en certains cas les poursuites contre lui, on y faisait certaines distinctions tirées principalement du caractère de son séjour dans le royaume, suivant qu'il y avait établi son domicile, ou qu'il s'y était réfugié, ou qu'il ne s'y trouvait que passagèrement et pour ses affaires distinctions sur lesquelles la doctrine des criminalistes ni la jurisprudence des parlements n'étaient bien fixées (2).

Le Code de brumaire an IV posait en règle l'irresponsabilité pénale de l'étranger en France pour les délits extra-territoriaux, n'importe contre qui ces délits eussent été commis. Seulement, s'il s'agissait de délits contre les personnes ou les propriétés, de nature à emporter, suivant les lois françaises, peine afflictive ou infamante, l'étranger, sur la preuve des poursuites dirigées contre lui à raison de pareils faits dans les pays où il était accusé de les avoir commis, devait être condamné par les tribunaux correctionnels à sortir du territoire français, avec défense d'y rentrer, jusqu'à ce qu'il se fut justifié devant les tribunaux compétents (C. brumaire an IV, art. 13).

Aujourd'hui, dans le silence du Code d'instruction criminelle, l'étranger reste non punissable en France pour les crimes ou les délits par lui commis hors du territoire, soit contre un étranger, soit même contre un Français, sauf le droit d'expulsion que le gouvernement peut exercer par mesure de police, sans que le tribunal soit appelé à y intervenir en aucune manière, comme dans

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(1) Code d'instruction criminelle, art. 7. « Tout Français qui se sera rendu coupable, hors du territoire de l'empire, d'un crime contre un Français, pourra, à son retour en France, y être poursuivi et jugé, s'il n'a pas été poursuivi et jugé en pays étranger, et si le Français offensé rend plainte contre lui.

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(2) Jousse, tom. 1, pag. 422, no 31 et suiv., avec les autorités par lui citées.

le système du Code de brumaire an IV, et sauf aussi la faculté d'extradition, qui appartient également au gouvernement (1).

916. Les inconvénients de cette législation pénale ne peuvent manquer de se faire sentir dans la pratique. -Un Français vole à Bruxelles la malle ou le portefeuille d'un autre Français, prend le chemin de fer et se hâte de rentrer en France; le volé prend la même voie, poursuit son voleur et le rejoint à sa première entrée sur notre territoire, nanti encore des objets volés: sauf le droit civil de restitution ou de dommages-intérêts, aucun droit pénal n'existe contre lui; car son délit n'est qu'un délit de police correctionnelle. Il a assassiné à Bruxelles un Belge et se sauve en France le voilà en lieu d'asile; ni extradition, ni expulsion, car il est Français; ni punition, car sa victime est un étranger. C'est un Français qu'il a assassiné à Bruxelles et il est parvenu à rentrer en France, les héritiers du mort s'accommodent à prix d'argent et s'abstiennent de porter plainte, le fait est notoire, le mépris, l'indignation, l'alarme sont autour de lui: notre puissance pénale est désarmée. Enfin, qu'on suppose un Français victime en pays étranger, de la part d'un étranger, d'un assassinat, d'incendie, de faux, ou une femme française victime de rapt, de viol: ce coupable étranger est en France, les Français, victimes de son crime, demandent justice, notre intérêt social la réclame tout se bornera à la faculté, pour notre gouvernement, d'une extradition, si cette extradition lui est demandée, ou d'une expulsion par mesure de police, qui laisserait impuni ou puni d'une manière illusoire ou insuffisante, peut-être, les crimes commis contre un de nos nationaux.

917. Les vices de cette législation peuvent se résumer en ces quatre termes : pas assez d'autorité sur les nationaux en pays

(1) Cette faculté d'expulsion par mesure de police, à l'égard des étrangers, n'a guère tardé, après le Code de brumaire an IV, d'être rendue au gouvernement (loi du 28 vendémiaire an VI, art. 7). Aujourd'hui la loi du 3 décembre 1849, sur la naturalisation et le séjour des étrangers en France, l'a ainsi réglée :

Art. 7. Le ministre de l'intérieur pourra, par mesure de police, enjoindre à tout étranger, voyageant ou résidant en France, de sortir immédiatement du territoire français, et le faire conduire à la frontière. Il aura le même droit à l'égard de l'étranger qui aura obtenu l'autorisation d'établir son domicile en France. Mais après un délai de deux mois la mesure cessera d'avoir effet, si l'autorisation n'a pas été révoquée suivant la forme indiquée par l'article 3 (c'est-à-dire par décision du gouvernement, qui devra prendre l'avis du conseil d'Etat). — Dans les départements frontières, le préfet aura le même droit à l'égard de l'étranger non résidant, à la charge d'en référer immédiatement au ministre de l'intérieur. »

Art. 8. Tout étranger qui se serait soustrait à l'exécution des mesures énoncées dans l'article précédent ou dans l'article 272 du Code pénal, ou qui, après être sorti de France, y serait rentré sans permission du gouvernement, sera traduit devant les tribunaux et condamné à un emprisonnement d'un mois à six mois. Après l'expiration de sa peine, il sera conduit à la frontière, »

Art. 9. Les peines prononcées par la présente loi pourront être réduites conformément à l'article 463 du Code pénal. »

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étranger; pas assez de protection aux nationaux en pays étranger; pas assez de protection à la société française contre des) criminels qui résident en son sein et qui peuvent y rester impunis; pas de satisfaction suffisante aux sociétés étrangères, qui ont pu être lésées par ces criminels sur leur territoire.

Ces vices produisent leurs mauvais effets surtout dans les environs de nos frontières, où la ligne de séparation des territoires, plus idéale souvent que matérielle, n'empêche pas entre les deux populations limitrophes des communications et des relations quotidiennes, qui se trouvent dépourvues, de notre part, de la protection de la loi pénale, quant au dehors. Aussi des réclamations nombreuses sont-elles adressées sur ce point, chaque fois que des faits nouveaux y donnent lieu, tant par les puissances voisines que par nos autorités administratives ou judiciaires dans les départements frontières.

Ces vices sont plus manifestes encore en présence de la législation des autres puissances. L'Angleterre, il est vrai, d'après sa Common Law, ou loi coutumière, suit encore le principe que les actes commis hors du territoire n'y sont pas punissables, et les États-Unis ont hérité de la même coutume; ce qui n'a pas empêché, néanmoins, que par des statuts ou lois spéciales sur la poursuite de certains délits, on ne se soit écarté souvent, dans ces deux pays, du principe coutumier. Mais sur le continent de l'Europe, sans parler de l'ancienne jurisprudence générale, tous les codes modernes de droit pénal, mis en vigueur, surtout depuis 1830, dans les divers États, au nombre de plus de dix-sept, sans exception à notre connaissance, sont rédigés en un sens contraire. Tous, avec des nuances sans doute, atteignent plus ou moins les délits commis en pays étranger par les nationaux ou contre les nationaux. Les peuples qui avaient reçu de nous nos articles du Code d'instruction criminelle de 1808 les ont modifiés; et les divers pays limitrophes de la France nous offrent, à cet égard, une législation pénale plus efficace que la nôtre.

918. La question d'une réforme semblable à opérer dans les articles de notre Code d'instruction criminelle est depuis plus de douze ans à l'ordre du jour chez nous. Divers projets de lois ont été présentés dans ce but, à plusieurs reprises, par le gouvernement (1). Mais le premier, adopté par la Chambre des députés, le 14 avril 1842, a été, dans la session suivante, rejeté par la Chambre des pairs, le 22 mai 1843; le second, voté par le Corps législatif, le 4 juin 1852, envoyé au sénat après le vote, a été retiré par le gouvernement avant la décision du sénat (2).

(1) On peut voir sur les détails de cette question le mémoire de la Faculté de droit de Paris, dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur : Observations de la Faculté de droit de Paris, consultée par M. le ministre de l'instruction publique, à la demande de M. le garde des sceaux, etc. Paris, 1847.

(2) Si j'ai été bien informé, le projet de loi aurait été retiré par suite de difficultés

919. Dans quelque système qu'on se place, les différences entre les délits commis sur le territoire ou hors du territoire d'un État étant bien marquées, il y a à déterminer ce qu'on entendra par territoire, et quels seront les lieux qui, sous le rapport de l'application de la loi pénale, pourront y être assimilés.

920. Nous pouvons dire avec exactitude que le territoire d'un État, dans le sens rigoureux et dans la valeur complète du mot, est l'espace de notre globe sur lequel un État a le droit de propriété internationale, le droit d'empire et de souveraineté interne. -Ces deux droits, le droit de propriété, le droit d'empire, sont parfaitement distincts l'un de l'autre aux yeux de l'analyse scientifique; mais communément ils se réunissent et marchent ensemble sur le même territoire, et le droit de souveraineté territoriale, lorsqu'il est complet, les comprend tous les deux (1).

921. Quelquefois, néanmoins, ils peuvent être séparės : — un État peut avoir le droit d'empire, soit d'une manière générale, par rapport à tous ceux qui s'y trouveront, soit d'une manière relalive, par rapport seulement à un certain ensemble de personnes émanées de lui et placées sous son autorité, en des lieux qui n'appartiennent en propriété à personne. Il peut se faire aussi qu'un Etat concède sur son propre territoire, soit transitoirement, soit d'une manière permanente, le droit d'empire sur certaines personnes, à raison de certains objets, à un autre Etat, qui aura ainsi, quant à ces personnes et quant à ces objets, le droit d'empire en des lieux dont il n'aura pas la propriété internationale. — L'état de guerre, les occupations et les possessions intérimaires qui peuvent en résulter, lesquelles ne sont pas la propriété, peuvent produire temporairement, avec plus ou moins d'étendue, de semblables résultats. Enfin, il peut se faire que sur des espaces qui ne lui appartiennent pas et qu'il ne prétend pas s'approprier, un Etat ne trouvant que des peuplades barbares, que des hordes grossières, sans institutions organisées et sans exercice d'un droit d'empire qui puisse faire obstacle à celui des autres peuples et donner en mème

dans la négociation de conventions diplomatiques, surtout avec l'Angleterre, au sujet des actes commis à l'étranger par des étrangers, qui pourraient être punís en France. Que le fait soit vrai ou non, des traités sur ce point seront toujours une source d'embarras et d'inégalités. Le projet de loi avait été fidèle aux principes rationnels en en repoussant l'idée quant aux actes des Français; mais, par un motif d'équité et afin que les étrangers fussent mieux avertis, il avait cru devoir admettre la nécessité de pareils traités quant aux actes des étrangers. C'était toujours soumettre à des conventions internationales un droit qui en est indépendant. Punissons chez nous, par une loi géné rale pour tous, les actes que nous croyons juste et nécessaire d'y punir, et n'attendons pas que le consentement d'autrui, variable de peuple à peuple, qui pourrait nous être refusé ou qui pourrait être rétracté après le temps convenu, nous y autorise.

(1) Voir l'analyse qui en a été faite avec soin dans l'ouvrage : Des moyens d'acquérir le domaine international, et de l'équilibre européen, par EUGÈNE ORTOLAN, docteur en droit, attaché au ministère des affaires étrangères, page 13 et suivantes, nos 12 et

suivants.

temps des garanties de justice et de protection, doive par cela même garder en de tels espaces son propre droit d'empire, quant à certaines personnes qui dépendent de lui.

922. Bien qu'on ne puisse qualifier véritablement de territoire d'un Etat que l'espace sur lequel cet Etat a les deux droits réunis de propriété internationale et d'empire, néanmoins, il faut remarquer qu'en ce qui concerne notre question de droit pénal, le droit essentiel, le seul droit décisif, c'est le droit d'empire; car c'est lui qui donne le pouvoir de faire, dans les lieux où ce droit est exercé, des injonctions ou prohibitions, d'édicter les peines à appliquer en cas de violation, de faire juger les violations et exécuter ces peines. D'où il suit qu'aux délits commis sur le territoire il faut assimiler entièrement, sous le rapport de la puissance pénale, les délits commis en des lieux où un Etat exerce le droit d'empire quoique n'ayant pas la propriété internationale de ces lieux dans les limites, bien entendu, de ce droit d'empire, c'est-à-dire par rapport seulement aux personnes, aux objets ou à l'étendue de pouvoir qui s'y trouvent compris.

923. Mais quels seront les lieux auxquels on reconnaîtra le caractère de territoire d'un Etat, c'est-à-dire d'un espace soumis à la fois à la propriété internationale et à l'empire de cet Etat? et quels seront ceux où, sans avoir le droit de propriété internationale, un Etat pourra avoir avec plus ou moins d'étendue un droit d'empire? Laissant de côté tout ce qui est uniquement de fait dans cette question, tout ce qui ne se réfère qu'à la détermination matérielle des frontières que les événements historiques et les causes légitimes d'acquisition, assignent à chaque peuple, c'est en droit que nous devons donner la réponse. Or, le droit dans lequel il faut chercher cette réponse n'est autre ici que le droit public international, dont nous aurons à combiner les règles avec celles de la pénalité. Diverses hypothèses sont à examiner d'abord quant à la mer, et ensuite quant à la terre.

924. Malgré des prétentions et des controverses à reléguer désormais dans le domaine de l'histoire, il est bien reconnu unaninement aujourd'hui, non-seulement en science rationnelle, mais aussi en droit positif entre les nations, que cette partie des mers qu'on nomme la pleine mer, la haute mer, n'est susceptible ni de droit de propriété ni de droit d'empire, au profit d'aucun peuple.

Elle n'est pas susceptible d'un droit de propriété, par deux raisons, toutes deux également décisives et radicales : — l'une qu'il est impossible à qui que ce soit de la posséder, c'est-à-dire de l'avoir de fait en sa puissance, d'être à même d'y exercer à chaque instant et à volonté son action, et d'en écarter toute action étrangère. L'autre, que la possession en fût-elle possible, la destination générale que Dieu lui a donnée dans la création s'oppose à de pareils droits de propriété. Elément dont la liberté est

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