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Influence du droit féodal sur la pénalité, sur les juridictions et sur la procédure pénale.

101. Le principal effet du régime féodal en matière de pénalité a été de transformer le droit de vengeance privée ou publique en un droit de vengeance du seigneur. C'est le seigneur justicier qui est offensé par le crime: peu importe de composer, de se pacifier avec les parents ou les amis de la victime, c'est de ce seigneur qu'il faut avoir trêve ou paix ; et lorsqu'il vous l'a donnée, tous, sur son territoire, doivent la respecter (1). Témoin cette paix le duc, dont parlent les vieilles coutumes de Normandie, que le délinquant, s'il l'a obtenue, doit porter un an et un jour pendue à son cou publiquement, ou autour de lui secrétement s'il est de noble lignage. Néanmoins, dans les cas les plus graves, le duc ne doit jamais accorder sa paix ni en prendre deniers, et dans d'autres il ne le peut que si la réconciliation privée a eu lieu (2). Le principe des compositions s'en est allé; mais on sent qu'il en reste encore les derniers souvenirs. Les guerres privées sont encore en usage, et elles servent d'excuse aux actes de violence entre gentilshommes mais elles sont interdites entre gens de poote et bourgeois.

graphes dont se compose ce monument, il y en a vingt-trois, principalement les premiers, qui ont trait au droit pénal. Il faut y joindre plusieurs dispositions des chartes suivantes, du même prince, et surtout de celle de son fils et successeur, Henri Ier. 3. Dans les Assises de Jérusalem: Haute Cour: Jean d'Ibelin, tout le second livre; Geoffroi le Tort, principalement les §§ 22, 25 à 27; Jacques d'Ibelin, les §§ 15, 16, 19, 22 et 23; Philippe de Navarre, les §§ 12 à 16, et 60; clef des assises de la haute Cour, les §§ 105, 106, 109 à 121, 127 à 140, 264. Cour des bourgeois; Le livre des Assises, chap. 4, 7, 134, 135, 149, 244 à 259, 262, 277, 299 à 303; l'Abrégé du livre des Assises, 1re partie, §§ 2, 3, 7 et 8; 2e partie, §§ 20 à 22, 25, 26, 38 à 40.

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4. Dans les vieux Etablissements, Coutumes et Arrêts de Normandie, un certain nombre de paragraphes fort intéressants, mais qui offrent trop peu de suite pour que nous les indiquions ici.

Quant aux monuments postérieurs, qui se réfèrent à l'époque où la féodalité est déjà attaquée, et qui péanmoins en portent encore la trace:

Le Conseil de PIERRE DE FONTAINES, où se trouve mêlé un emploi fréquent du droit romain, contient peu de chose sur le droit pénal.

Les Etablissements de saint Lovys, où les textes du droit canonique, et notamment les décrétales, sont cités très-souvent, offrent, au contraire, dans le livre i et dans le livre I, plus de soixante chapitres sur des matières liées à ce droit.

Enfin, dans les Coustumes et Usages de Biauroizins, par Philippe de BEAUMANOIR, il faut lire les chapitres 1, 10, 11, 30, parole des meffès; 31 à 33, 34, parole des prueves; 40, parole des enquesteurs; 52, 58, parole de haute justice et de basse; 59 et 60, guerres et trêves; 61 à 67, batailles et jugements; et 69, cas d'aventure.

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(1) Se li homicides puet aquerre la pès as amis à cels que il a ocis, ce ne vaut rienz se il n'a la pès le dục. (Etablissements de Normandie, édition Marnier, p. 27, des Fuitis.) Philippe de Beaumanoir intitule son chapitre xxx, où il traite des délits : . De pluries meffés et quele venjance doit estre prise de chascun meffet; et il déclare écrire ce chapitre pour que le commun peuple sache comment il doit être puni s'il méfait, et que li segneur sacent quele venjance il doivent penre de cascun meffet. » (2) Etablissements de Normandie, page citée à la note précédente.

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Une multitude de crimes et de délits sont prévus dans les textes de l'époque féodale; murdres et homicides, rapt ou forcement de femmes, arson de maisons, bature de bourgeois, qui sont les cas les plus fréquents pour les chevaliers, mescréance, sorcerie (sorcellerie), fausse monnoie, larrecins ou roheries, injures ou vilonies, et tant d'autres encore (1). De même pour les peines : pendaison et autres manières de supplice capital, amputation de mains ou de quelque partie du corps, fustigation, cheveux rasés, maison renversée ou brûlée, forbannissement, voyages en Terre-Sainte, ou à Rome, ou à Saint-Jacques en Galisse ou à d'autres destinations. pieuses, pénitences canoniques, eau de détresse et pain de douleur, amendes et afflictions de diverse nature. Mais la féodalité, en ce qui touche le contrat de fief, a une sorte de crime et une sorte de peine qui lui sont propres, c'est-à-dire qui dérivent du principe même de ce contrat, savoir le crime de félonie ou traïson, et la peine de commise ou déchéance au profit du sire du fief. A ce crime de trahison se ramènent contre le vassal la plupart des autres, et la commise marche toujours à la suite. Quoique celle commise (au profit du sire du fief) diffère de la confiscation proprement dite (au profit du sire justicier), cependant elle a réagi sur elle; c'est à l'influence du régime féodal qu'il faut attribuer la large extension de cette dernière peine en Europe; c'est là que les contumes postérieures ont puisé cette maxime presque générale ; Qui confisque le corps, il confisque les biens (2); » et c'est de là qu'en Angleterre, où le roi était reconnu sans conteste seigneur fieffeux et justicier de tous, et où les traces et le langage de la féodalité se maintiennent si longtemps, est venue l'expression de félonies usitée encore aujourd'hui pour désigner tout délit emportant, en principe, peine capitale et confiscation..

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102. L'influence de la féodalité en ce qui concerne les juridictions pénales a été plus marquée encore. C'est dans la transformation de ces juridictions, sans aucun doute, que se trouve, en fait de droit pénal, l'effet capital de la féodalité, son effet le plus empreint d'originalité. La juridiction devenue féodale, annexe du fief, quant aux relations du seigneur à ses vassaux; et patrimoniale, droit héréditaire du seigneur justicier, quant aux autres cas; divisée, suivant l'étendue de ses pouvoirs, d'abord en haute et basse justice, avec addition postérieure d'un troisième terme, la moyenne justice (3) telle est l'œuvre particulière du régime féodal, Quant aux

(1) Philippe de BEAUMANOIR, chap. LIX, Parole des guerres, § 5: Les gens de poote et bourgeois, il doivent estre justicié selonc le meffet, ne ne se poent aidier de droit de guerre.

(2) Ce n'était que par exception et privilége que plusieurs coutumes, telles que celles du Boullenois, du Maine, d'Anjou, de Touraine, de Saint-Sever, de Bayonne, de la Marche, portaient que confiscation n'avait pas lieu dans le pays, fors en crime de lèse-majesté au premier chef, ou autre restriction semblable.

(3) Dans Philippe de Beaumanoir, il n'est encore question que de la haute et de la

assises, à la semonce et au concours des hommes du fief, concours d'où dérive le principe, développé par l'inégalité des classes, que «< chascuns doit estre jugiez par ses pers, nous n'y voyons que l'organisation barbare, feodalement transformée (1). Parmi les monuments féodaux signalés par nous, ceux qui se rapportent aux deux royaumes d'Angleterre et de Jérusalem ne présentent pas le morcellement seigneurial de la justice, et cela par les raisons que nous avons indiquées. Ce n'est pas la paix du seigneur, c'est la paix du Roi qui est troublée par le crime, et les officiers qui président à la justice sont des délégués de l'autorité royale. Mais on y voit bien clairement les assises, la convocation des hommes sages, jurés, ou hommes du pays, pour former la décision, et le principe du jugement par ses pairs, qui est, dès cette époque, formellement et solidement assis en Angleterre (2). Au contraire, sur notre continent, le morcellement de la justice, devenue seigneuriale et héréditaire, est opéré, et si les assises avec le jugement par les hommes de fief existent d'après le pur droit féodal, déjà on voit poindre, au treizième siècle, sur tel point ou sur tel autre, des usages qui éloignent les hommes de fief, et qui plus tard ne laisseront plus le jugement qu'aux officiers du seigneur ou du roi (3).

basse justice (chap. x, § 2, et chap. Lvm, Parole de haute justice et de basse. ) Le plus ancien monument où il soit fait mention de la moyenne est une charte de Philippe de Valois, de février 1331 (rapportée par Brussel, De l'usage des fiefs, p. 299 et suiv.).

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(1) Les assises, portent les Établissements de Normandie, sont tenues par les chevaliers et par les léaux (loyaux) homes; chascuns doit estre jugiez par ses pers; li baron et li chevalier qui sevent (savent) les établissemenz de la loi, et qui criement (craignent) Dieu pueent bien jugier li uns l'autre, mès il ne loist pas à vilain ne à aucun del pueple à jugier chevalier ou clerc.» (Édition Marnier, p. 22.)

(2) Ainsi, la grande Charte d'Angleterre du 19 juin 1215, consentie par Jeansans-Terre, ratifiée à maintes reprises par ses successeurs, trois fois par Henri III, onze fois par Édouard Jer, et ainsi des autres, qui devait être lue deux fois l'an dans les cathédrales, avec excommunication et malédictions contre les infracteurs (statut 25 d'Édouard Ier), et qui forme la base vénérée de la constitution britannique, contient les dispositions suivantes :

Art. 22.

.... Nous enverrons une fois tous les ans dans chaque comté des juges qui, avec les chevaliers des mêmes comtés, tiendront leurs assises dans la province même... »

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Art. 48. Nul homme libre ne sera arrêté, emprisonné, dépossédé, privé de ses franchises, mis hors la loi, exilé ou lésé d'une manière quelconque; nous ne courrons sus et n'enverrons personne contre si ce n'est par le jugement légal de ses pairs et par la loi du pays.

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L'article 26 détermine le nombre de douze pour les jurés. (Voir mon Histoire du droit constitutionnel en Europe, constitutions du moyen âge, p. 375, où se trouve la traduction ou l'analyse des principales dispositions de cette grande Charte.)

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(3) Philippe de Beaumanoir, qui écrit en 1283, à l'époque où la féodalité commence déjà à être attaquée, indique les deux modes de procéder: « Il y a aucuns liex là u on fet les jugemens par le bailli et autre liu là u li homme qui sont home de fief font les jugemens. (Chap. 1, § 13.) Mais il ajoute immédiatement que le dernier mode est seul usité dans le comté de Clermont Tout aions-nous parlé des lieus où li bailliy font les jugemens, il n'en a nul en le conté de Clermont qui les face, ançois doivent estre fet tout li jugemens par les homes de le Cort de fief.» (Ibid., § 14.)

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L'institution des juridictions de saincte Eglise, par opposition aux Cours laies (Cours laïques), et la distinction des cas de compétence entre les unes et les autres, apparaissent fréquemment dans les monuments du droit féodal.

103. Enfin, quant à la procédure pénale, on voit dans ces monuments l'extension de l'emploi des preuves par témoins; la disparition des conjuratores, remplacés, surtout dans les Assises de Jérusalem, par les garants, qui ont quelque analogie avec les conjuratores, mais qui ne sont pas identiques; l'usage encore maintenu, quoique plus rare, de certaines épreuves, telles que celles par l'eau bouillante et par le fer rougi, que les établissements de Normandie nomment le jugement d'eve (d'eau), ou le jugement de fer; et la grande prédilection de la féodalité pour le combat, tornes ou gages de bataille, à tel point que l'auteur du Grand Coustumier nous montre : « les chanoines de sainct Marry qui ont en leur Auditoire deux champions combatans, pour signifiance qu'ils ont haulte Justice en leur cloistre (1). »

§ 5. Droit coutumier.

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104. Le droit coutumier, par sa propre nature, précisément parce qu'il se forme de jour en jour, sous l'empire des précédents, a dù suivre les phases diverses de la société, et passer successivement de l'époque barbare à l'époque féodale, et de celle-ci à l'époque royale, en prenant le caractère de chacune de ces époques. C'est, en effet, ce qui a eu lieu.

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105. La source primitive du droit coutumier est évidemment, à nos yeux, le droit barbare: ses institutions originales viennent de la. Mais le clergé a occupé dès le principe, dans la société nouvelle, une trop grande place pour que les lois et les traditions de l'Eglise ne soient pas entrées pour une bonne part dans les coutumes la trace de ces lois et de ces traditions y est évidente à chaque pas. Enfin, comme le droit romain était le droit temporel du clergé, qui en tirait plusieurs de ses priviléges et de ses pouvoirs; comme c'était aussi le droit d'une grande partie de la population, celle des vaincus, il s'est mêlé, dès l'origine, comme un élément dans la fusion graduelle d'où est sorti le droit coutumier. Il est facile encore de l'y reconnaitre. De telle sorte que le fond du droit coutumier, c'est le droit barbare, modifié par l'influence du droit canonique et du droit romain, puis continuellement approprié aux situations et aux habitudes successives de la société dans les diverses localités.

106. Lorsque dans ces habitudes est survenue l'institution des fiefs, développée, régularisée, et passée à l'état d'un système général, les coutumes s'en sont partout empreintes, et toutes les

(1) Livre IV, ch. v, De haulle justice, in fine.

conséquences de la féodalité, puisqu'elles étaient dans la vie sociale, se sont trouvées dans le droit coutumier de ces temps.

Lorsque le pouvoir féodal a reçu une première atteinte dans l'établissement des communes ou villes libres, villes de loi, par suite d'un mouvement parti, dès le dixième siècle, de l'Italie, puis de l'Espagne, et communiqué, par la Méditerranée et par la Baltique, au littoral et de là à l'intérieur du continent européen, le droit coutumier s'est encore ressenti de ce mouvement. Les communes, considérées à cette époque, ne sont autre chose que des corporations franches en tout ou en partie de l'autorité seigneuriale. Elles prennent leur place dans la société féodale comme des exemptions privilégiées. Leurs chartes, leurs règlements et leurs usages intérieurs apportent un élément important dans les institu

tions coutumieres.

Enfin, lorsque le pouvoir royal est parvenu par des progrès successifs à dominer la féodalité, à faire descendre de plus en plus la sphère de ses attributs et à fonder l'ère monarchique, le droit coutumier a suivi encore cette progression.

107. De telle sorte que prendre le droit coutumier à telle époque plutôt qu'à telle autre, c'est n'en prendre qu'une partie, et que, juger du tout par cette partie, c'est s'exposer à de graves méprises. Quelles différences n'y a-t-il pas, en effet, entre les coutumes, suivant qu'on en cherche l'expression dans les vieux monuments du onzième, du douzième et du treizième siècles, ou dans les rédactions qui en furent faites postérieurement à l'ordonnance de Charles VII, c'est-à-dire au quinzième, au seizième siècles, et jusque dans les premières années du dix-septième?

Il faut donc, pour apprécier le droit coutumier et pour se faire une idée exacte de la marche qu'il a suivie, recourir aux documents successifs qui en contiennent l'expression d'époque en époque, réunir ce que nos jurisconsultes ont appelé les nouvelles, les anciennes et les très-anciennes coutumes.

Ces documents du droit coutumier nous paraissent pouvoir être rangés en trois séries:

108. La première, appartenant à l'ère féodale, savoir : le texte des coutumes ou des chartes de commune, les recueils où sommaires d'arrêts et les traités judiciaires, dont la date est du dixième, du onzième, du douzième ou du treizième siècles, c'est-à-dire de l'époque où le régime féodal régnait en toute sa vigueur (1). Utiles, comme nous l'avons déjà indiqué, pour étudier le droit feodal, puisqu'ils en retracent les usages, plusieurs de ces documents sont de véritables textes du droit coutumier, et d'autres, tels que les Assises de Jérusalem, le Conseil de Pierre de Fontaines et le livre de Beaumanoir, nous en présentent le tableau.

(1) Voir l'indication que nous en avons donnée ci-dessus, no 100, avec la note.

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