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TITRE V.

DES PEINES.

CHAPITRE PREMIER.

DÉNOMINATION ET DÉFINITION.

1320. Le mot de peine indique, en son acception vulgaire, une douleur, une affliction; c'est le sens conservé de son origine latine pœna, et comme le remords, comme les reproches de la conscience occasionnent un regret, une douleur d'avoir mal fait, les mots qui expriment le repentir, pænitentia, pœnitere, se rattachent à la même racine (1). Cette racine, elle-même, est venue aux Latins des Grecs. Par une association d'idées bien logique aussi, πovηpíz, chez ces derniers, exprimait à la fois la souffrance, la misère, et la méchanceté, la scélératesse; movηpos était à la fois le malheureux et le scélérat. Nous avons conservé cette double acception dans notre mot de misérable.

1321. Varron, que saint Augustin appelait le plus docte des Romains, cherchant à pénétrer plus avant dans les secrets de la formation du langage, faisait dériver le mot de pœna d'une autre source, celle de poids (ponere, pondus); et quoique Quintilien l'en raille, cette dérivation philologique n'est pas sans porter en soi son enseignement. Les idées de douleur, de remords et de poids sont liées entre elles étroitement. Les effets physiques de la douleur morale, comme du remords, sont ceux d'une oppression, d'une lourdeur, d'un poids sur quelques-uns de nos organes, particulièrement sur ceux de la respiration et de la digestion: c'est ainsi qu'on dira fréquemment : « Cette douleur, ce remords, ce crime lui pèsent, l'étouffent; cette mauvaise action charge sa conscience, est un poids sur sa conscience. » Il y a de plus dans la dérivation présentée par Varron tout l'historique d'un procès criminel, avec l'explication des termes principaux qui y sont employés. Qui ne connaît cette vieille figure le juge criminel tenant d'une main la balance et de l'autre le glaive; les témoignages entendus, les faits établis sont à charge ou à décharge, placés en cette qualité dans l'un ou dans l'autre plateau; le juge délibère, c'est-à-dire qu'il soulève l'instrument et balance les deux plateaux (de librare, deliberare);

(1) La dénomination germanique, Strafe, a une tout autre origine.

l'un de ces plateaux tombe (decidit), le juge fait connaître la décision (1); et si c'est du côté de l'accusation, il place de l'autre le poids ou la peine nécessaire pour rétablir l'équilibre.

1322. L'enseignement à tirer de cette origine philologique serait qu'un jugement criminel est une exacte pesée à faire; la peine est le poids destiné à rétablir l'équilibre, qui ne comporte ni plus ni moins. Or celte rigoureuse équation est vraie pour la justice absolue, mais impossible pour la justice sociale, dont la mission s'appuie encore sur un autre principe (ci-dess., no 205, 3o conséq.).

1323. L'enseignement à tirer de l'origine vulgaire, c'est que la peine doit être une douleur, une affliction imposée au coupable; et cela est conforme aux données de la science rationnelle. Repoussant donc les dénominations nouvelles proposées dans divers systèmes de théories fondamentales (réparation sociale, défense sociale, mesures, ou autres), nous nous en tenons, comme parfaitement exacte, à celle de peine, et nous définirons la peine : « Un mal infligé par le pouvoir social à l'auteur d'un délit, à raison de ce délit. »

CHAPITRE II.

DES CONDITIONS DE LÉGITIMITÉ DES PEINES.

1324. Cette légitimité, nous le savons, déduite, quant à la pénalité humaine, d'une nature complexe, est assise sur une base complexe la justice, et la conservation ou l'utilité sociale; chacun de ces deux éléments y est également indispensable : l'un d'eux manquant, la légitimité des peines sociales cesse. C'est un point déjà démontré par la théorie fondamentale, à laquelle il nous suffit de renvoyer (ci-dess., no 185 et suiv.).

CHAPITRE III.

DU BUT DES PEINES.

1325. Ici encore nous n'avons que l'application à faire des vérités déjà acquises (ci-dess., nos 191 et suiv.). Nous savons que le but des peines peut être multiple, et comment l'analyse arrive à en signaler deux principaux : l'exemple et la correction morale. Quand ces deux-là sont atteints, les autres le sont aussi. S'il y a

(1) Cependant d'autres diront que decidere, dans ce sens, vient plutôt de cadere, couper, trancher, que de cadere, tomber.

nécessité d'opter entre les deux, l'exemple est le plus important pour la société.

CHAPITRE IV.

DE LA MESURE DES PEINES.

1326. Mesurer une quantité, c'est prendre pour unité une certaine quantité connue de la même espèce, et chercher combien de fois elle est contenue dans celle qu'on veut mesurer. La condition première, condition sine qua non, pour la possibilité de la mesure, c'est l'homogénéité, l'identité parfaite de nature entre la quantité servant de mesure et celles à mesurer. Or, la peine étant un mai une douleur; la douleur n'étant qu'un effet de la sensibilité; la sensibilité étant si variable d'un homme à l'autre; les causes et par conséquent les genres de douleur étant si divers, quelle sera l'unité qui servira de mesure? Comment se faire une idée de l'intensité de douleur qui composera cette unité? comment l'appliquera-t-on d'une douleur à l'autre, ou même, dans le même genre de douleur, d'un homme à l'autre?

1327. A défaut de l'intensité, qui échappe à la mesure, quelques éléments de certaines peines semblent s'y prêter la durée, parmi les peines susceptibles de se prolonger plus ou moins de temps; la quotité, parmi celles qui consistent dans la privation de certains biens. Mais l'intensité d'affliction fait partie de la durée; mais c'est elle qu'on cherche à produire par la quotité des biens dont on prive le coupable: or, si cette intensité est inégale, si elle croit ou décroit diversement à mesure qu'elle se prolonge, si elle varie, suivant les organisations ou les situations, d'un homme à l'autre, la mesure n'est qu'apparente; ce n'est là qu'un expédient, auquel il est bon de recourir parce qu'on n'en a pas d'autre, mais en en connaissant bien la défectuosité.

1328. La conclusion de la science, c'est qu'il faut renoncer, en ce sujet, à toute prétention d'exactitude mathématique. S'agissant d'une quantité morale, la douleur, l'affliction, c'est par une appréciation morale qu'il en faut faire la mesure. Le législateur s'attachera au sentiment général, à la manière commune de sentir; le juge devra s'efforcer de tenir compte des sentiments et des situations individuelles, nouveau motif pour qu'il lui soit laissé une certaine latitude à cet effet.

1329. Le problème de la mesure des peines se présente sous un autre aspect. Les ayant mesurées en elles-mêmes, comment les mesurer par rapport à chaque délit, c'est-à-dire comment appliquer à chaque délit la quantité de peine convenable?

Deux axiomes ont cours à cet égard ;

« Les peines doivent

être douces. Celui-ci, exprimé de cette façon, n'a pas de sens; les peines doivent être ce qu'il faut qu'elles soient. Si la douceur en est le mérite, supprimez toutes les peines, rien ne saurait être plus doux. « Les peines doivent être proportionnées au délit. » Voilà une vérité générale assurément incontestable; mais entre tant d'éléments que l'analyse signale dans le délit, sur lesquels de ces éléments devra s'établir la proportion? Sera-ce sur la tentation, sur le profit du délit, sur le mal individuel, sur le mal social, sur le mal moral? Là est le problème.

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1330. Chaque système de théorie fondamentale apporte et préconise son idée : Les théories de la défense légitime, du droit de conservation sociale, de l'utilité, se réunissent pour vouloir mesurer la peine sur la tentation, sur le profit du délit. — La théorie de la réparation, sur le mal individuel et le mal social réunis; celle de la justice absolue, sur le mal moral. — Notre solution a déjà été exposée. La peine sociale, assise quant à sa légitimité sur une double base, est soumise quant à sa quantité à une double mesure : celle de la justice, ou le mal moral; celle de l'utilité, ou le mal social, lequel dérive lui-même du mal individuel, auquel il se lie intimement. Ainsi, elle a deux limites, et ne peut dépasser ni l'une ni l'autre jamais plus qu'il n'est juste et jamais plus qu'il n'est utile; à la moins élevée de ces deux limites la mesure de la peine sociale doit s'arrêter. Ce n'est pas une équation rigoureuse, c'est une approximation au-dessous de chacune de ces lignes que le législateur et le juge de répression sont chargés de faire.

1331. De ces deux mesures, l'une, celle du mal moral, est fixe, du moins quant aux délits de droit commun; l'autre, celle du mal social, est essentiellement variable. D'époque en époque de pays en pays, suivant les circonstances, suivant les mœurs, suivant les intérêts, elle est susceptible de changer. Voilà pourquoi le droit pénal porte en lui-même un élément inévitable de modification dans le taux des peines, lequel, obligé de se maintenir toujours dans la limite du juste, pourra, dans cette limite, monter ou descendre, suivant que l'utilité sociale commandera contre tel ou tel délit plus ou moins de sévérité.

1332. Nous savons comment le législateur ne peut apprécier cette double mesure, en chaque espèce de délit, que d'une manière abstraite, et comment il doit laisser au juge une latitude suffisante pour l'apprécier dans chaque cause, par rapport à chaque individu (ci-dess., n° 230). Le législateur aura rempli sa tache en édictant la peine contre le délit supposé à son maximum et contre le délit supposé à son minimum : l'intervalle formera la latitude à laisser au juge. Cette latitude est donc nécessaire par divers motifs touchant tous aux règles de la mesure des peines : soit parce que les peines n'affectent pas également tout le monde (ci-dess.; no 1328); soit parce que tout le monde, dans les délits

de même espèce, n'est pas également coupable; soit parce que les circonstances sociales n'exigent pas toujours la mème sévérité. - De ces deux limites imposées au juge, celle du maximum est la plus essentielle, ou, pour mieux dire, elle est indispensable à la garantie de chacun, afin que le taux de la peine ne sorte pas du domaine de la loi (ci-dess., n° 573); quant à celle du minimum, on conçoit qu'elle puisse être supprimée sans grave inconvénient ou du moins considérablement abaissée dans les délits de peu d'importance qui sont susceptibles de grandes atténuations individuelles.

1333. Le procédé du législateur doit être celui-ci : fixer un délit comme type, par exemple, le plus grave, avec la peine qu'il doit comporter; puis s'y reporter successivement pour la pénalité des autres délits, en les comparant chacun avec celui-là et les uns avec les autres, suivant la descente graduelle de l'échelle. - De la vient qu'un Code pénal général sera toujours mieux proportionné, quant à la mesure des peines, que les lois particulières: le législateur, dans l'œuvre d'un Code, ayant sous les yeux l'ensemble des délits; tandis que dans une loi spéciale, comme il ne statue que sur un seul, souvent par suite de circonstances accidentelles, quelquefois même ab irato (cela s'est vu dans l'histoire), il est facile à s'en exagérer l'importance et à outrer la peine. Le moyen d'éviter cet inconvénient des lois particulières est de se référer, en les élaborant, au Code général, afin de bien établir la proportion. De là vient aussi que si on ne ménage pas sa gradation et qu'on use facilement de la rigueur des peines à l'encontre des délits inférieurs, la proportion manque bientôt, et les peines deviennent insuffisantes, ou les nuances disparaissent à mesure qu'on s'élève vers les plus graves délits.

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CHAPITRE V.

DES QUALITÉS DÉSIRABLES DANS LES PEINES.

1334. Nous disons désirables, parce qu'il est certaines de ces qualités auxquelles, tout essentielles qu'elles soient, il est impossible que la pénalité humaine atteigne; en approcher autant que possible est tout ce que peut ambitionner le législateur. C'est encore un enseignement de la science, négatif si l'on veut, mais enfin un enseignement, que de montrer à quoi s'en tenir là

dessus.

Le point que nous abordons ici est le plus important pour l'organisation à faire d'un bon système répressif; comment, en effet, le législateur fera-t-il un choix éclairé des peines qui composeront ce système, s'il n'est fixé sur les qualités qu'elles doivent avoir?

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