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Ce point a toujours été cependant traité avec confusion: il est si facile de désirer tant de qualités, qu'aucune règle pratique ne peut plus sortir de désirs si nombreux. Pour y mettre la précision et la netteté scientifiques nécessaires, nous nous attacherons à ce qui est commandé impérieusement par les principes fondamentaux, et à l'ordre mème de ces principes.

§ 1. Qualités relatives aux conditions de légitimité des peines.

1335. Les peines, sous ce rapport, doivent être, en premier lieu, afflictives, c'est-à-dire imposant un mal, une affliction au coupable à moins que la société ne veuille employer son pouvoir et ses facultés à renverser elle-même la loi morale, en rémunérant le mal par le bien, et que le moyen d'attirer à soi ses bienfaits ne soit de commettre des délits. Cette qualité est toujours facile à obtenir.

1336. Elles doivent être morales; c'est-à-dire que le législateur doit repousser toutes celles qui pourraient tendre à corrompre, à altérer chez le condamné où dans le public le sentiment de la morale; soit, par exemple, parce qu'elles auraient un caractère indécent; soit parce qu'elles pousseraient à l'abjection, à l'abrutissement, à la cruauté, ou bien à la cupidité, à la calomnie par l'appât du gain. - C'est une qualité toujours facile encore à obtenir.

1337. Enfin il faudrait qu'elles fussent personnelles; c'est-àdire que leur effet afflictif ne se produisit exclusivement que sur la personne du coupable, et ne s'étendit pas, directement ou indirectement, sur un autre. Voilà qui est impossible à réaliser entièrement dans la pénalité humaine. L'homme, heureusement, n'est pas un être isolé; toute peine infligée au coupable rejaillit en mal sur ceux qui lui sont liés d'affection ou de destinée : si le chef de famille est en prison, la femme et les enfants en souffrent ; s'il est mis à l'amende, ils en souffrent aussi. Le législateur doit, au moins, approcher autant que possible de la qualité désirable, et repousser de son système toute peine dont l'effet direct, par sa nature même, serait d'aller frapper d'autres personnes que le condamné. Ce sera œuvre de bienfaisance que de venir, en cas de nécessité, tandis que la loi frappe le coupable, au secours de la famille innocente.

§ 2. Qualités relatives au but des peines.

1338. Le premier but de la peine sociale étant l'exemple, les peines doivent être sous ce rapport, en premier lieu exemplaires; c'est-à-dire qu'elles doivent combattre, par l'exemple salutaire de l'application qui en est faite, le mauvais exemple produit par le fait du délit. Toutes les peines doivent avoir cette qualité : on ne pourrait les distinguer rationnellement en peines qui doivent

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être exemplaires et peines qui ne doivent pas l'être; seulement l'exemple salutaire de la peine devra être plus ou moins énergique, suivant que le mauvais exemple du délit l'aura été plus ou moins. Or, cette qualité s'obtient précisément au moyen de l'affliction contenue dans la peine; de telle sorte que la qualité d'afflictive qui répond aux conditions de légitimité, répond aussi à l'un des buts essentiels de la pénalité humaine; et que la justice ainsi que l'utilité sociale se réunissent pour vouloir que cette afflic tion, destinée à faire l'exemple, soit légère ou grave suivant que le délit l'aura été lui-même. Ces deux idées ne doivent pas marcher l'une sans l'autre, et celle de l'utile est subordonnée à celle du juste on ne peut pas dire comme le général Wallenstein, devant lequel un soldat accusé de maraude venait de se justifier: Qu'on le pende toujours, l'armée a besoin d'un exemple! »

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1339. Si l'affliction contenue dans la peine, quelque sérieuse qu'elle pût être en réalité, n'était pas de nature à faire impression sur le public, à être comprise ou sentie par ceux qu'il importe de détourner du délit, le but de l'exemple et par suite celui de la peine serait manqué. Pour augmenter cette impression, on a eu recours jadis au spectacle physique, au symbole matériel, à des vêtements, à des signes, à des paroles, à des processions, à des solennités pénales propres à frapper les yeux et les sens. A mesure que la civilisation progresse, la publicité intellectuelle est appelée à remplacer de plus en plus la publicité matérielle et quelle différence d'expansion! Tandis que celle-ci est forcément restreinte dans une localité, dans un cercle de spectateurs présents, l'autre se répand en tous lieux, et va frapper tous les esprits.

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1340. Le second but des peines étant la correction morale, elles doivent être, en second lieu, correctionnelles; c'est-à-dire organisées de manière à tendre, autant que possible, à l'amendement moral du condamné (ci-dess., n° 210). Toutes doivent avoir celte qualité il n'y en a qu'une, la peine de mort, si on lui donne place dans le système pénal, en laquelle il ne puisse être question de correction, et qui soit admise uniquement comme exemplaire (ci-dess., no 685).

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Mais la correction, de même que l'exemple, doit se proportionner à la gravité, et, en outre, s'accommoder à la nature du délit. Ainsi, dans les infractions qui ne partent pas de sentiments pervers, d'habitudes vicieuses, mais qui tiennent à des négligences, à des inobservations de règlements, à des fautes occasionnelles, qu'est-il besoin d'un travail assidu de réforme morale? C'est par l'impression seule de la condamnation et du mal contenu en la peine qu'on attend l'effet moral qui mettra en garde le délinquant contre le retour de pareilles fautes à l'avenir (cidess., no 685). — Dans les délits politiques, les passions, les sentiments, les idées que le gouvernement qui applique la peine veut faire disparaitre ou modifier, ne comportent pas non plus le même

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labeur correctionnel que celui qui est nécessaire à l'égard des crimes ou des délits de droit commun (ci-dess., n° 707). Quant à ceux-ci, c'est là que le législateur a véritablement une tâche réformatrice à entreprendre; qu'il ne suffit pas d'appliquer au coupable une affliction, abandonnant à la grâce de Dieu sa correction; de dire « la loi te frappe, Dieu te réforme; mais qu'il faut que les ressorts et les détails de la peine soient disposés de manière à agir avec suite dans le sens de cette réforme, et qu'ils aient assez de flexibilité pour se plier, dans l'exécution, aux diversités de vices, de corruption où de passions dans lesquelles les délits auront pris naissance (ci-dess., n° 210).

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1341. Et comme ce n'est pas en un jour qu'on parvient à corriger les enfants, à plus forte raison les hommes faits, et à plus forte raison encore, parmi ceux-ci, les malfaiteurs, un tel travail emporte forcément l'idée d'une peine d'une certaine durée; et l'idée d'une peine qui tienne le condamné, pour le régime de son existence quotidienne, à la disposition de l'autorité.

1342. Encore, quelque bien organisée que soit la peine pour la correction, et quelque effort qu'on y fasse dans ce sens, ne peuton pas se flatter d'y réussir. L'ambition du législateur doit se borner à tendre vers ce but, et à en approcher autant que possible.Mais ce qu'il sera toujours en son pouvoir d'obtenir, ce qui est le moins, ce qui est de rigoureuse nécessité, c'est que la peine ne soit jamais dépravatrice; car si vous la faites telle que le condamné, après l'avoir subie, en doive sortir plus pervers, plus corrompu qu'il ne l'était auparavant, vous donnez à la société un poison et non un remède, un moyen de multiplier le mal et non de le restreindre.

1343. Par cela seul que la peine doit être correctionnelle, afin de mettre la société, par la réforme du condamné, à l'abri du danger des récidives, il faut que le législateur en l'organisant y ait en perspective non-seulement le temps durant lequel elle sera subie, mais surtout le temps où elle aura pris fin et où le libéré redeviendra maitre de ses actions. Il faut qu'elle prépare au condamné, par des habitudes laborieuses et par une instruction professionnelle, des moyens d'existence honnête pour cet avenir, et que les prévisions pénales, s'étendant jusque-là, ménagent et dirigent encore la transition. C'est ainsi que la science tient pour démontré parfaitement aujourd'hui que le rôle de la loi pénale ne finit pas avec la peine corporelle; mais que des institutions complémentaires sont indispensables pour régir le temps postérieur qui doit former cette transition.

1344. Nous n'ajouterons pas au nombre des qualités que devrait avoir la peine relativement au but celle de mettre le délinquant hors d'état, ou, en d'autres termes, dans l'impossibilité de commettre de nouveaux délits. Nous savons comment il faut substituer ici à l'idée d'impossibilité physique celle d'impossibilité morale,

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et comment celle-ci est contenue précisément dans le caractère réformateur de la peine (ci-dess., n° 196). Cette idée peut se rencontrer encore, d'une manière partielle et accessoire, dans certaines déchéances de droits, privation ou incapacités de fonctions, à l'égard seulement des délits qui ont consisté dans l'abus de ces droits ou de ces fonctions.

1345. Nous n'ajouterons pas, non plus, la qualité d'être analogue au délit, tant préconisée par la plupart des écrivains au dix-huitième siècle. Prise au physique, l'analogie nous reporte aux époques d'enfance; elle a été la source des cruautés et des grossièretés dans la peine, elle a amené la variété infinie des supplices pour répondre à la variété infinie des délits; elle n'est autre que la loi du talion. Parlez-moi de l'analogie morale, du soin qu'il faut avoir de diriger le travail d'amendement de manière à aller toucher précisément, dans l'esprit ou dans le cœur du coupable, l'idée fausse, le penchant funeste, le sentiment vicieux, la fibre corrompue! Ainsi entendue, l'analogie est toujours comprise dans le caractère réformateur de la peine. Elle pourra se rencontrer aussi avec utilité dans certaines déchéances de droits ou de fonctions.

1346. Enfin nous n'ajouterons pas la qualité d'être profitable. « Un pendu n'est bon à rien, » tel était l'argument de Voltaire contre la peine de mort. La question du budget, c'est-à-dire des ressources financières, du profit à retirer ou de la diminution des sacrifices à faire dans la balance des dépenses et des recettes auxquelles donne lieu l'application des peines, est sans doute une question de bonne administration; mais on conviendra que ce n'est pas une question de droit pénal. Il faut bien se garder de la dédaigner; elle a sa grande importance, elle commandera fort souvent dans les faits; mais toutes les fois qu'au lieu d'aider à satisfaire aux exigences de la pénalité, elle s'y substituera comme obstacle ou comme cause de déviation, le but pénal sera manqué ou imparfaitement atteint. La société sera comme le malade auquel, par raison d'économie, le remède n'est pas administré ou est mal administré.

§ 3. Qualités relatives à la mesure des peines.

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1347. La première condition pour la mesure serait que les peines fussent égales, c'est-à-dire affectant également tous les hommes, car sans égalité la mesure n'est qu'illusoire : or, qualité, nous le savons, est impossible à obtenir (ci-dess., n° 1326); le législateur doit choisir les peines qui s'en éloignent le moins.

1348. La seconde condition serait que la peine füt divisible: or cette qualité est encore hors du pouvoir du législateur. La peinc se compose avant tout de l'intensité d'affliction, laquelle échappe à toute division mathématique; le législateur cherchera, pour y

suppléer, des peines qui offrent quelque autre élément susceptible de division, savoir: la durée, parmi celles de nature à se prolonger plus ou moins de temps; et la quotité, parmi celles consistant en la privation de biens ou de droits. Mais les défectuosités de cet expédient ont besoin d'être corrigées par des appréciations morales qui dominent ici, et qui doivent être faites tant par le législateur dans la graduation des peines que par le juge dans l'application (ci-dess., nos 1327 et 1328).

§.4. Qualités relatives à l'imperfection des jugements humains, et aux résultats obtenus dans l'amendement moral.

1349. L'idée d'une erreur judiciaire allant frapper sans retour un innocent est une idée devant laquelle recule notre esprit, et dont la réalisation ne sera jamais subie dans la société que comme une grande calamité: or, même de nos jours, avec l'institution du jury, avec les procédures généreuses en usage, de pareilles erreurs se sont vues; il faut donc, dès qu'une telle erreur est reconnue, que les effets de la peine puissent cesser à l'instant.

D'autre part, si la peine organisée de manière à être correctionnelle a atteint son but, si l'amendement moral est opéré, et que la société se trouve à la fois satisfaite quant au passé et garantie quant à l'avenir, ne faut-il pas que la peine puisse être transformée ou même prendre fin en totalité, et d'autres raisons, basées sur les vicissitudes de l'état social, des événements ou des intérêts publics, ne se joignent-elles pas aux précédentes pour conduire à la même conséquence?

Ainsi, sous un double rapport, il reste démontré que les peines doivent être toujours révocables, ou, en d'autres termes, rémissibles, c'est-à-dire telles qu'elles puissent cesser à volonté, et que c'est là une condition indispensable qu'il est d'ailleurs parfaitement au pouvoir du législateur de réaliser.

1350. Il serait même à désirer en certains cas, ceux d'erreur judiciaire reconnue, qu'elles fussent réparables; mais comment réparer dans le passé les effets d'une douleur accomplie, comment faire que les maux qui ont été imposés à l'innocent condamné et qu'il a subis ne l'aient pas élé? Les réparations ne seront jamais qu'indirectes; le législateur et le juge devront les rendre aussi efficaces que possible.

1351. En somme, la conclusion de ce chapitre est que les peines doivent être : - Quant aux conditions de légitimité, afflictives, morales, et, autant que possible, personnelles; - quant à leur but, exemplaires, et, autant que possible, correctionnelles ; quant à la mesure, égales autant que possible, et divisibles; enfin, quant à l'imperfection des jugements humains, et quant aux résultats obtenus dans l'amendement moral, révocables, et, autant que possible, réparables.

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