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viron, deux en France, une en Angleterre, des malheureux, dont l'innocence a été plus tard judiciairement reconnue, ont été condamnés pour crime capital; une déclaration de circonstances atténuantes en France, une commutation de peine en Angleterre, leur ont épargné la peine de mort: que serait-ce si cette peine eût été exécutée! Et nous ne parlons que des erreurs que la justice elle-même a constatées (1). Ni pour l'amendement moral, ni pour les vicissitudes des événements, ni pour les erreurs reconnues, la peine de mort ne réserve l'avenir à ce seul titre, aux yeux de la science, elle est condamnée. Elle peut être juste, suivant la mesure absolue et idéale de la culpabilité en crime d'homicide prémédité; elle peut être nécessaire, suivant les temps, les lieux, les mœurs et les situations; mais elle n'est pas révocable. Le travail du progrès humain doit être de parvenir à la faire disparaître.

1364. C'est ce travail dont la société, depuis un demi-siècle, est en enfantement. Ce n'est pas tel homme, ni tel autre, qui peut en revendiquer l'honneur; c'est la voix des temps modernes, c'est la voix de la religion, c'est la voix de tous. Comment parvenir à y donner satisfaction? Nous ne pouvons pas faire que la peine de mort, dans les cas où elle serait juste idéalement, ne le soit pas; car sur le juste ou sur l'injuste absolu et idéal l'homme ne peut rien; mais nous pouvons faire qu'elle ne soit plus nécessaire. Certainement dans l'état des mœurs et des institutions pénales contemporaines, avec un système de peines aussi vicieux que celui qui est en vigueur aujourd'hui, le législateur qui, laissant subsister ce système, se bornerait à y supprimer la peine de mort partout où elle se trouve, même en crimes ordinaires d'homicide prémédité, compromettrait gravement la sécurité publique. Mais dans un système organisé suivant les principes de la science rationnelle, capable de répondre aux diverses conditions et de produire les effets divers que lui assigne la science, la peine de mort devra disparaître et pourra disparaître immédiatement sans danger. La question de l'abrogation totale de cette peine, si on l'envisage

(1) Affaire de Philippi, condamné comme coupable d'assassinat, par arrêt de la Cour d'assises de Corse, du 17 mars 1843; travaux forcés à perpétuité, par suite de l'admission de circonstances atténuantes. Cassation sur pourvoi en révision, les vrais coupables ayant été découverts et condamnés. A passé plus de deux ans au bagne de Toulon, Affaire de Lesnier fils, condamné, comme coupable de meurtre suivi d'incendie, par arrêt de la Cour d'assises de la Gironde, du 30 juin 1848; travaux forcés à perpétuité, par suite de l'admission de circonstances atténuantes. Cassation sur pourvoi en révision, le vrai coupable, faux témoin contre lui, ayant été reconnu et condamné. A passé plus de cinq ans et demi aux bagnes de Rochefort et de Brest. Affaire de Mallett, condamné en janvier 1855, aux assises de Londres (cour centrale criminelle), à la peine de mort, comme coupable de vol avec violences; peine commuée, sur la recommandation du jury, en quinze années de transportation. Son innocence judiciairement reconnue, par preuve de faux témoignage contre lui (cour centrale criminelle, audience du 11 juin 1855); sa grâce lui est accordée la veille même du jour de sa transportation (voir le Droit des 1er mars et 17 juin 1855).

sous le rapport de la possibilité pratique d'y arriver d'une manière efficace, durable, définitive, est donc la même que celle de la révolution pénale à accomplir, du nouveau régime de peines à organiser et à installer.

1365. Les mutilations, lésions, coups ou tortures physiques étant repoussés; la destruction ou peine de mort étant condamnée elle-même, destinée à disparaitre; et ne pouvant, dans tous les cas, figurer qu'au degré supérieur de l'échelle, comme un recours extrême contre les crimes les plus graves, ceux d'homicide prémédité, il ne reste plus à considérer parmi les peines corporelles, que les privations plus ou moins rigoureuses de liberté.

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1366. Or c'est ici que peuvent se trouver obtenues, en totalité quant à celles qui sont pleinement réalisables, et par approximation autant que possible quant à celles auxquelles on ne saurait aspirer intégralement, toutes les qualités que la science signale comme désirables dans les peines. Ainsi Quant aux conditions de légitimité, les peines privatives de liberté sont afflictives, elles n'ont rien d'immoral et sont personnelles autant que possible (ci-dess., no 1335 et suiv.). Quant au but des peines, en même temps qu'elles sont exemplaires, elles sont les seules qui, mettant le condamné à la disposition de l'autorité pour un temps plus ou moins long, soient susceptibles de se prêter, au moyen du régime physique et du régime moral auquel ce condamné sera soumis, une organisation véritablement correctionnelle (ci-dess., no 1338 et suiv.). Quant à la mesure, au nombre des moins inégales, car chacun, en définitive, tient à ce bien précieux, la liberté de son corps, elles se plient par la durée d'abord, et en outre par les variations plus ou moins rigoureuses du régime, à une division en plus ou en moins tellement graduée qu'elles peuvent s'élever depuis la répression des infractions de l'ordre le plus léger, jusqu'à celle des crimes les plus graves (ci-dess., no 1347 et suiv.);

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Enfin, quant aux erreurs judiciaires reconnues, quant à l'amendement moral opéré, quant aux vicissitudes des événements ou des intérêts, elles sont toujours révocables à volonté, et, autant que possible, réparables (ci-dess., n° 1349 et suiv.). Il reste donc démontré, par une déduction rigoureuse, que la privation de liberté qui seule, parmi les peines corporelles, est susceptible de réunir les qualités voulues par la science; et que c'est là que le législateur pénal doit placer le fond du système répressif.

c'est

1367. Mais il ne suffit pas qu'un homme soit privé de sa liberté corporelle pour que toutes les qualités et tous les effets désirables que nous venons d'énumérer se trouvent réunis dans la peine qu'on lui fera subir ainsi. Les privations de liberté veulent être organisées convenablement pour être à même de répondre aux exigences de la pénalité rationnelle; une organisation vicieuse les en fera autant s'éloigner qu'une bonne organisation les en rappro

chera. La solution du problème, quant au fond du système répressif, consiste donc dans la meilleure ordonnance à faire des peines privatives de liberté.

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1368. La privation peut être plus ou moins étroite, l'espace dans lequel la vie et les mouvements du corps sont renfermés plus ou moins restreint, situé en tel lieu ou en tel autre de là des nuances de sévérité plus ou moins grande, qui, quoique désignées ordinairement sous des noms différents, ne constituent au fond que des variétés de l'emprisonnement. Cependant, à mesure qu'on pousse plus avant ces nuances, on arrive à des peines qui prennent véritablement un caractère à part, avec des qualités ou des défauts qui leur sont propres. De ce nombre est la transportation ou déportation.

1369. L'idée principale de la transportation est d'enlever le condamné du territoire de la mère patrie, du sein de la population contre laquelle son crime a été commis, et de le transférer en quelque localité lointaine, ordinairement quelque possession coloniale au delà des mers, qu'il lui sera interdit de quitter. L'affliction propre à cette peine consiste dans cet éloignement, dans cette séparation, dans cette sorte d'expatriation; le but particulier en est de délivrer de cette manière la population-mère de la présence du condamné.

1370. D'où il suit que la transportation doit logiquement être perpétuelle, autrement elle manque son but particulier, ou tout au moins être prononcée pour de longues années, et que l'éloignement du lieu de transportation doit être assez considérable pour mettre, par les difficultés de fait, un obstacle de plus au retour dans la mère patrie.

1371. Mais rendus au lieu de déportation, quel sort les condamnés y auront-ils? Seront-ils enfermés dans une prison, soumis à une étroite captivité corporelle, suivant tel ou tel régime d'emprisonnement? Seront-ils organisés par escouades ou ateliers de captifs, soumis à des travaux forcés de défrichement, d'exploitation, de colonisation? Seront-ils placés, leur travail donné en location, chez les habitants de la colonie, et sous quelle surveillance, avec quelles restrictions y resteront-ils ? Ou bien y serontils libres de leur personne ou de leurs actes, pourvu qu'ils ne quittent pas le sol de la colonie? Ces diverses modalités serontelles combinées de manière à former des périodes distinctes d'épreuves successives, par lesquelles devront passer les transportés? Durant leur peine, ou après les épreuves dont elle aura dû se composer, quelle position ces transportés pourront-ils occuper dans la colonie, pourront-ils y avoir une famille, y devenir propriétaires, y remplir des emplois ; leur fera-t-on des concessions de terre, à quel titre et à quelles conditions? Sous les mêmes noms de transportation ou déportation on voit combien de pénalités, différentes en réalité, peuvent se cacher.

1372. Une étroite captivité corporelle dans une prison dressée sur quelque point lointain au delà des mers, ce serait, à vrai dire, la réunion de deux peines en une, l'emprisonnement dans la transportation. En supposant la possibilité d'organiser et de maintenir un tel emprisonnement, dans son régime intérieur, suivant les prescriptions communes de la pénalité rationnelle, on pourrait être tenté d'y recourir, comme renfermant une aggravation considérable de douleur et par conséquent d'intimidation, propre à réprimer les plus grands crimes et à remplacer efficacement la peine de mort, que repousse le système répressif rationnel; mais cette possibilité n'existe pas. Le régime de l'emprisonnement suivant les prescriptions de la science pénale, surtout lorsqu'il doit s'appliquer aux plus grands crimes, demande la surveillance, la direction, l'action incessante du pouvoir central supérieur: or, sans parler des difficultés matérielles de pourvoir à tous les services de semblables prisons au delà des mers et d'en composer le personnel tel que l'exigerait la pénalité rationnelle, cette direction, cette action supérieure ne sauraient y exister. On aurait voulu faire la peine plus rigoureuse, on l'aurait rendue incertaine, irrégulière; elle tomberait dans la catégorie des peines vicieusement organisées, vicieusement exécutées, et elle manquerait ses deux buts essentiels, la répression et la correction. Tout au plus serait-il possible de réaliser un tel système d'emprisonnement en des établissements coloniaux ou en des dépendances territoriales trèsrapprochés de la métropole, sur lesquels l'action centrale serait à même de se faire sentir constamment; mais ce ne serait plus alors la transportation proprement dite, ce ne serait qu'un emprisonnement à un degré plus rigoureux.

1373. Il ne reste donc pour la transportation véritable les que autres modalités ou les autres combinaisons énumérées ci-dessus, n° 1371. Or, en laissant de côté toutes les difficultés, tous les frais, toutes les incertitudes, toutes les déceptions qui se rencontreront ordinairement dans l'exécution; en supposant que la puissance, la richesse d'un peuple, la prudence, l'habileté de son gouvernement et de ses agents puissent en venir à bout: au point de vue exclusivement pénal la transportation, si on veut l'appli quer aux crimes ou aux délits de droit commun, péchera toujours par deux vices capitaux.

1374. Le premier vice, c'est la plus grande inégalité. En effet, ce voyage de long cours, cette traversée des mers, cet éloignement en un nouveau monde, cette expatriation sans retour défini, qui pourront être un grand déchirement pour les uns, seront pour les autres un attrait, une tentation, une aventure. Et notez que cette inégalité agira en sens inverse de la moralité : les coupables par passion, par entrainement, ceux qui tiennent à la mère patrie par les attaches de la famille, par les liens de la société, par les conditions d'un avenir et d'une réhabilitation possibles encore, ceux-là éprou

veront le déchirement; tandis que les malfaiteurs les plus endurcis, ceux qui ont fait du crime une profession, un métier, seront les moins sensibles à une pénalité de cette sorte, et par conséquent les moins durement frappés. Voilà une peine au rebours de ce qu'exigerait la justice.

1375. Le second vice, qui découle directement du premier, c'est le défaut d'intimidation, précisément sur l'esprit de la population où se cachent les éléments les plus dangereux, et par suite le défaut de protection suffisante à la société. Les honneurs de la transportation seront ambitionnés comme couronnement de carrière par les malfaiteurs apprentis. On verra de petits délinquants, des condamnés pour mendicité, on verra des malheureux inoffensifs demander, comme une grâce, d'être envoyés à la colonie. Je sais bien qu'une fois arrivés là, si le régime de répression est convenablement organisé et sévèrement tenu, ou bien encore si les installations sont insuffisantes, si les ressources manquent, si le climat a des rigueurs extrêmes, si les travaux sont épuisants, si l'insalubrité et les maladies épidémiques surviennent, ils ne tarderont pas à trouver les choses tout autres qu'ils se les étaient figurées de loin; mais voilà une peine au rebours encore de ce qu'exigerait l'intérêt social plus dure en réalité qu'elle ne l'est en perspective; or c'est cette perspective qui forme, avant tout, comme moyen de prévention, la garantie de la société. Aussi l'expérience a-t-elle fait reconnaître la nécessité absolue de faire précéder la transportation, si on lui donne place dans le système répressif, d'un certain temps d'emprisonnement sévère, sur le territoire de la mère patrie, comme cela se pratique aujourd'hui en Angleterre, afin de donner à cette peine une partie du moins du caractère intimidant dont elle est dépourvue par elle-même.

1376. Le principal avantage, au point de vue pénal, dont on est généralement touché dans la transportation, c'est de se débarrasser des malfaiteurs: « Que le vaisseau les emporte et qu'on n'en entende plus parler; notre sol en est purgé!» - Nous ne dirons pas, avec Bentham, qu'il n'y a là qu'un déplacement de mal et de danger parce que le crime, et ceci est incontestable, qu'il soit commis en Amérique, en Océanie ou en Europe, est toujours crime. L'objection a plus d'apparence que de réalité. En effet, quand vous transportez ces condamnés sur quelque côte ou en quelque île inexplorée, en quelque colonie qui commence ou qu'il s'agit de fonder, près d'une population rare, mal établie, qui a besoin de bras et d'aides en toutes choses, il n'y a aucune comparaison à faire ni pour le nombre, ni pour les intérêts, ni pour les occasions de crime, entre le milieu social d'où ils sont éloignés et celui où ils arrivent. Il n'y a pas seulement déplacement; il y a bien, quant à eux et à leurs actes dans les nouveaux lieux où ils vont vivre, diminution de mal et de danger. Mais il ne suffit pas de regarder à ceux qui partent, il faut regarder sur

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