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tionnels, inspirer plus de prudence dans les actes de nature à offrir quelque danger pour autrui, plus de sollicitude dans l'accomplissement des devoirs et dans l'observation de la loi telle doit être l'action de la peine, c'est-à-dire toujours une action bienfaisante. Qu'il s'agisse de délits graves ou de délits légers, toutes les nuances de la correction y sont comprises (ci-dess. n° 1340). Voilà donc la belle maxime du système répressif rationnel: le mal de la peine pour le physique, le bienfait pour le moral. C'est ainsi que la peine, en même temps qu'elle doit satisfaire aux exigences de la sécurité sociale, devient digne de la morale la plus charitable. C'est ainsi que se trouve transformé en bien, même quant à la personne du condamné, l'emploi du mal dans les mains de la société qui punit, car c'est le mal physique pour arriver au bien moral.

§ 3. Peines frappant le coupable dans ses droits.

1391. Une peine quelconque frappe toujours le coupable en quelqu'un de ses droits par exemple, en ses droits de sécurité, de liberté individuelle, s'il s'agit de peines corporelles; mais nous parlons ici de celles qui peuvent l'atteindre en des droits autres que ceux relatifs à la garantie du corps ou du moral (ci-dess., n° 539, 3°). Ces droits sont de deux sortes: ils se réfèrent, soit aux biens, soit à l'état et à la capacité légale des personnes dans les actes de la vie privée ou de la vie publique.

1392. Un caractère commun aux afflictions de ce genre, c'est la plus grande inégalité fort grande déjà dans les peines qui frappent sur les biens, mais elle y peut être jusqu'à un certain point corrigée; plus grande encore dans celles qui frappent sur l'état et sur la capacité des personnes, à tel point que l'effet afflic tif de ces dernières devient problématique quant à la majeure partie des coupables, du moins si l'on s'en tient aux crimes ou aux délits ordinaires, c'est-à-dire à ceux qui forment la masse usuelle des affaires pénales. Ni les unes ni les autres de ces afflictious ne comportent un travail actif pour la réforme morale; elles ne sauraient avoir d'influence à cet égard que d'une manière indirecte, par la crainte d'une nouvelle perte de biens ou par le désir de recouvrer les droits perdus. Trop peu graves, d'ailleurs, du moment que la culpabilité s'élève, pour satisfaire par elles-mêmes à la justice et aux nécessités de la répression. Ces raisonnements suffisent pour démontrer qu'elles ne peuvent constituer le fond du système répressif rationnel; il reste à les examiner, en particulier, pour déterminer dans quel sens et jusqu'à quel point elles peuvent y figurer.

Droits relatifs aux biens.

1393. Les peines atteignant le condamné dans ses biens sont de deux sortes: la confiscation et l'amende. La première procède par

translation de propriété, la seconde par création d'obligation. L'effet de l'une est de rendre l'Etat propriétaire des choses confisquées, l'effet de l'autre est de le rendre créancier du montant de l'amende.

1394. Lorsque la confiscation consiste à attribuer à l'État, non pas certains objets spécialement déterminés, mais l'universalité des biens du condamné, ou même une quote-part de cette universalité, il n'y a pas seulement une translation de propriété, il y a une sorte de succession. Tout vivant que soit le condamné, le fisc lui succède, c'est-à-dire est mis en sa place dans l'ensemble de ses droits de fortune ou dans une quote-part de cet ensemble. Les confiscations de ce genre se désignent sous le nom de confiscations générales. Qu'elles soient totales ou partielles, si minime même qu'en soit la quote-part, le caractère éminemment distinctif en est toujours dans cet effet successoral: pour le tout ou pour partie, il y a succession à une personne vivante. Immorales, parce qu'elles sont de nature à susciter la cupidité et à y prendre source, ainsi qu'on l'a vu en l'ancienne pénalité européenne lorsqu'elles étaient appliquées aux biens d'une personne puissante, lorsque la loi en disposait au profit des délateurs, ou le roi au profit des courtisans, qui les sollicitaient en guise de faveur; elles sont iniques surtout parce qu'elles frappent directement des innocents. En effet, la loi pénale intervertit l'ordre de transmission des biens; elle ouvre une succession anticipée, et elle en repousse, à titre de peine, la famille innocente, pour y appeler le fisc ou ses cessionnaires. Tout a été dit à ce sujet la confiscation générale est condamnée par la science; et cette condamnation, dans les législations pénales positives au courant du progrès moderne, est aujourd'hui acquise à la pratique. Ce peut être, surtout dans les luttes politiques, une arme de guerre; ce ne sera jamais un acte de justice.

1395. Reste la confiscation qui se nomme confiscation spéciale. Mais comment trouver les caractères généraux indispensa bles à l'édiction d'une peine dans la confiscation de certains objets spéciaux? Quelque affliction qu'il soit possible de faire ressentir à l'homme par la perte de quelqu'une des choses qu'il a en sa propriété et auxquelles il peut tenir plus ou moins, comment placer la répression de la culpabilité dans un genre d'affliction qui ne peut dépendre, pour son existence comme pour son étendue, que d'accidents purement individuels? A quel propos la loi pénale irait-elle, par exemple, ordonner, en guise de punition de tel ou tel délit, la confiscation de la maison du délinquant, ou de son champ, de son cheval ou de tel autre objet désigné? Et d'abord, le délinquant a-t-il en sa propriété un tel objet? Et si celui-ci l'a, cet autre, auteur d'un délit pareil, l'aura-t-il aussi? Et pourquoi choisir, pour en enlever la propriété au délinquant, telle chose plutôt que telle autre? Evidemment, rien de ce qui recommande une affliction comme instrument de pénalité ne se rencontre ici.

1396. Mais il est possible que certaines choses ayant figuré d'une manière ou d'autre dans le délit, à cause soit de leur nature, soit de leur destination, soit de la manière dont elles y auront été produites, obtenues ou données, se trouvent telles ou en une telle condition que le principe même de la propriété de ces choses en soit vicié, de telle sorte que faire tomber une telle propriété et attribuer ces choses à l'Etat, afin qu'il en dispose convenablement, ne soit plus qu'une œuvre de logique légale, qu'une conséquence légitime à déduire des faits. Il en sera ainsi, par exemple, s'il s'agit d'armes ou d'instruments dangereux dans les mains du délinquant, ou dangereux et prohibés d'une manière absolue; ou de choses nuisibles, telles que des poisons interdits, des denrées frelatées ou corrompues, des images ou des livres obscènes; ou bien de choses formant les produits ou les profits illicites du délit, qu'il importe par conséquent de ne pas laisser au délinquant, comme des monnaies par lui falsifiées, des denrées fabriquées en fraude ou en contrefaçon, des objets ou des sommes par lui reçues pour commettre le délit, par exemple pour porter un faux témoignage; ou enfin s'il s'agit de choses ou de valeurs par lui données pour faire commettre le délit, par exemple pour corrompre un fonctionnaire: il n'a plus la propriété de ces valeurs puisqu'il les a données, et le fonctionnaire ne les a pas acquises puisqu'il ne les devrait qu'à une cause honteuse. Il est tellement vrai que dans ces divers cas l'idée déterminante de pareilles confiscations n'est pas de punir le délinquant, que bien souvent il sera juste et nécessaire de les prononcer quel que soit le propriétaire des objets confisqués, quand bien même ce propriétaire ne serait pas le délinquant, et sans être obligé de mettre ce propriétaire personnellement en cause, par cela seul que ces objets seront liés au délit et en constitueront plus ou moins étroitement les éléments matériels.

1397. Concluons donc que dans le système répressif rationnel ce n'est pas comme moyen de punition que la confiscation spéciale doit être admise, mais qu'elle y interviendra seulement à titre accessoire, dans les cas où le principe même de la propriété de tel ou tel objet particulier lié au délit sera vicié, soit dans la personne du coupable, soit même dans celle d'autrui; de telle sorte qu'il n'y aura plus là, pour ainsi dire, de propriété légitime.

1398. Les mêmes objections ne s'élèvent pas contre l'amende : il n'y a dans ce genre d'affliction aucun effet successoral semblable à celui des confiscations générales, ni aucune des incertitudes ou des incohérences qui existeraient dans les confiscations spéciales si le législateur voulait les employer comme punition (ci-dess. n° 1395). Tout homme peut être constitué débiteur envers l'État d'une somme d'argent, sauf l'emploi ultérieur des moyens propres à faire acquitter cette dette; et une telle constitution d'obligation n'est qu'un fait personnel au condamné.

1399. Ce genre de peine ne comporte aucun travail actif de

réformation; la somme est payée ou due: si la leçon profite au condamné ce ne peut être que par l'affliction qu'il en ressent et par la crainte d'en essuyer une semblable dans l'avenir. Aussi ne peut-on pas dire que l'amende soit une peine correctionnelle dans la véritable acception du mot, c'est-à-dire une peine réformatrice, organisée pour l'entreprise suivie d'une régénération morale du condamné. Il suit de là que seule, elle n'est appropriée qu'à ces sortes de délits dans lesquels il n'y a pas eu perversité, dépravation de l'âme, et où le caractère afflictif de la peine peut suffire pour mettre en garde le délinquant contre des récidives. En tout autre cas elle manquerait un des buts essentiels de la peine, la

correction.

1400. Quant au second but, celui de la répression afflictive, l'amende s'accommode avec la plus grande facilité, moyennant le chiffre de la condamnation, aux nuances de la culpabilité inférieure, dans les délits les plus légers ou dans les espèces d'infractions dont nous venons de parler; mais du moment que la culpabilité atteint un certain point et un certain caractère de gravité, l'effet afflictif de l'amende devient insuffisant pour la justice et pour l'exemple à la fois; la personne même du délinquant est engagée dans la répression et doit en être frappée : sinon il semblerait que les délits se pourraient commettre à prix d'argent, et que moyennant finances il serait loisible au riche de s'en tirer. Mais à ce point même de culpabilité qui commande une répression personnelle, l'amende a encore une utilité particulière. Il n'est pas rare que suivant les caractères, les situations, les circonstances de fait, la cause pénale soit telle que le délinquant s'y doive montrer plus sensible à une perte d'argent qu'à une punition corporelle; qu'il ait pris son parti sur celle-ci, par exemple sur un emprisonnement de quelques mois, moyennant lequel il se sera donné la satisfaction ou il aura tiré le profit de l'action punissable; tandis que si l'appoint d'une condamnation pécuniaire y est ajouté, l'efficacité de la répression en deviendra complète. Cet appoint se rencontrera encore utilement dans la punition des délits ou des crimes qui prennent leur source en un sentiment de cupidité; à l'égard desquels la peine pécuniaire ira frapper l'âme du coupable dans le vice même qui l'a poussée au mal; dans l'objet, peut-être dans les produits cachés de sa convoitise analogie morale qui est au nombre de celles que nous admettons (ci-dess., no 1345).

1401. La conclusion de ces réflexions, c'est que l'amende doit entrer dans le système répressif rationnel, non pas comme pouvant constituer le fond de ce système, mais d'abord comme peine des délits légers; et ensuite, mème dans les délits graves, comme appoint utile à ajouter en certains cas à la peine corporelle.

1402. Les amendes, quoique n'ayant pas le caractère successoral des confiscations générales, n'en arriveraient pas moins, en définitive, par suite et sous forme d'exécution, si elles étaient

exagérées, à un résultat analogue: la ruine de la famille innocente. Le droit, ici, n'est pas enlevé directement, il est vrai, à cette famille, comme lorsqu'on la repousse de l'hérédité ouverte par la confiscation générale; mais elle souffre pécuniairement de la perte des biens imposée au chef. Cette extension de la souffrance est chose inévitable en toute peine (ci-dess., n° 1337), et particulièrement en fait d'amendes; il n'est pas au pouvoir du législateur de l'empêcher; mais c'est une raison impérieuse pour lui d'en modérer les effets. Les amendes ne doivent pas aboutir, par leur résultat final, à n'être que des confiscations détournées. Une autre raison en proscrit encore l'exagération : c'est que les amendes exagérées deviennent le plus souvent illusoires par l'impossibilité pour le fisc d'en obtenir le payement.

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1403. Mais qu'est-ce que l'exagération? qu'est-ce que la proportion en fait d'amendes? Rien ne serait plus inégal, sous le rapport afflictif, que l'égalité de chiffre appliquée à toute personne en des délits identiques la somme qui pour celui-ci est superflu, jouissance, adminicule dans sa fortune, sera pour cet autre utilité, strict nécessaire, plus que l'avoir qu'il aura jamais. — Les criminalistes théoriciens ont cherché le moyen arithmétique de fixer sur quelque base commune celte proportion, et le législateur positif n'est pas sans en avoir essayé quelque part. Un de ces moyens serait de prendre pour unité de calcul, à l'égard de chaque condamné, une journée de son revenu les amendes seraient toutes prononcées par la loi pénale suivant cette formule : « Tant de journées de revenu; mais comment apprécier le revenu de chacun, à quelles investigations inquisitoriales et finalement incertaines ne faudra-t-il pas se livrer, et par suite quelles complications dans l'administration de la justice criminelle! Ou bien une journée de travail, suivant le gain que chaque condamné serait à même de faire dans sa profession; mais ceux qui n'ont pas de profession, qui vivent du revenu de leurs capitaux acquis ou tout au plus de l'administration de leurs biens; et ceux-là surtout qui n'ont qu'une profession hasardeuse, comme les professions commerciales, dont les bénéfices sont variables, problématiques et cachés? -Ou bien une journée du loyer payé par chacun pour son logement ce qui serait substituer, par approximation, à la réalité difficile à connaître, un signe plus visible et plus facilement appréciable, mais souvent trompeur, de la fortune individuelle. De tels modes de procéder, outre l'avantage de la justice, auraient celui bien important encore de suivre naturellement le cours de la valeur métallique en échange, en chaque temps et en chaque lieu, et de tenir constamment la loi pénale à jour sous ce rapport. Le désir d'une plus grande simplicité les a fait usuellement écarter; cependant il n'est pas dit que les difficultés qu'ils offrent ne pussent être surmontées, et que, tout en renonçant à une exactitude d'appréciation précise en des choses qui ne la comportent pas, il

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