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ne fût possible d'introduire dans la loi pénale un système de calcul parfaitement praticable qui en approchât, et qui fût dans tous les cas bien préférable aux inégalités choquantes résultant d'un chiffre fixe, le même pour tous. A défaut, il est nécessaire au moins que la loi pénale Jaisse, dans la fixation du taux des amendes, une grande latitude entre le minimum et le maximum, se fiant au juge pour qu'il fasse lui-même, du mieux qu'il pourra, l'établissement de quelque équilibre entre la fortune du condamné et l'amende à prononcer contre ce condamné.

1404. Au lieu d'être attribuée à l'Etat, il peut y avoir utilité, du moins en certains délits spéciaux, à ce que l'amende le soit, en partie ou même en totalité, au profit d'une commune, de certains établissements, de certaines institutions de bienfaisance, comme des hospices; mais jamais au profit des dénonciateurs, ni comme prime au zèle des agents qui auront servi à faire constater et à faire punir les délits. On peut trouver ce mode de récompenses commode, et on en a des exemples en droit positif. Mais il importe que la justice pénale soit franche, même dans la personne de ses agents inférieurs, de tels mobiles intéressés, et que nul soupçon, même mal fondé, ne puisse en atteindre l'exercice. Nous en dirons autant des confiscations.

Droits relatifs à l'état et à la capacité légale des personnes.

1405. Si on se fait du droit l'idée qu'on en doit avoir : -Qu'il n'est autre que ce qui est conforme à la loi morale de l'activité humaine, à la nécessité d'action ou d'inaction dans les rapports que les hommes ont entre eux; et que quelle que soit la variété d'acception que le génie et la flexibilité du langage aient donnée au mot, en le prenant au singulier ou au pluriel, dans un sens abstrait ou dans un sens concret, au général ou au particulier, toujours, en dernière analyse, il faut revenir à ce point de départ (ci-dess., n° 11 et suiv.);-On en déduira à priori et sans démonstration plus longue cette conclusion: que bien qu'il put y avoir incontestablement, en fait, un moyen d'affliger un homme dans la privation qui lui serait imposée de tels droits ou de tels autres, c'est-à-dire du pouvoir de faire tel acte ou de s'en abstenir, d'exiger des autres telle action ou telle inaction, la loi pénale positive n'est cependant pas libre d'employer ce mal à sa volonté, dans le but seul d'en faire un genre souffrance, parce qu'elle n'est pas libre de changer à son gré les nécessités morales de l'activité humaine.

de

1406. Parmi les rapports d'où naissent les droits, il en est de nécessaires, qui tiennent aux conditions mêmes de l'existence de l'homme, à l'accomplissement de sa destinée, ou à des faits immuables en sa vie. Quel que soit le moyen d'affliction qu'elle y put trouver, la loi pénale ne devra jamais priver un condamné des droits qui dérivent de tels rapports: toute pénalité qui en agira autre

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ment se mettra en désaccord avec les conditions de la nature humaine. Elle offrira en outre ce vice particulier, qu'elle frappera souvent d'une manière directe des innocents, atteignant non-seulement le condamné, mais encore des personnes étrangères au délit, avec lesquelles s'établissent et se produisent ces rapports néces

saires.

1407. Il est d'autres rapports, au contraire, qui n'ont pas la même nécessité, qui sont pour la plupart artificiels, établis par des raisons d'utilité plus ou moins bien appréciée, susceptibles d'être créés ou détruits suivant l'occurrence. Même à l'égard de ceux-ci, le principe de la généralité et de l'égalité de droit, principe sur lequel doit être assis l'ordre légal de tout État bien organisé, ne permet pas de priver un condamné des droits qui en dérivent, dans le seul but de faire souffrir ce condamné et de chercher dans ce genre de souffrance un instrument de peine, que rien ne recommande à ce titre (ci-dess., no 1392). La privation ne devra avoir lieu que lorsqu'il naîtra du délit même où de la situation dans laquelle le coupable ou la personne poursuivie se trouvera placée par suite du délit, un motif logique de retirer ou de suspendre le droit en question. Cette privation alors se produira, non pas comme punition proprement dite, mais comme conséquence logique du délit ou de la situation qui aura suivi le délit.

1408. Le principal de ces motifs et le plus concluant est celui de l'indignité, de l'inaptitude morale démontrée par le délit; mais il ne suffira pas d'une assertion vague et générale d'indignité, tirée de ce que le délinquant aura encouru telle peine : il faudra que la démonstration spéciale de l'indignité ressorte de la comparaison même du délit commis avec le droit en question. Ces exclusions on déchéances offrent alors un nouveau genre d'analogie morale, que nous admettons (ci-dess., n° 1344 et 1345).

1409. Un autre motif se rencontrera dans ce fait, que l'existence ou l'usage du droit en question serait inconciliable avec l'exécution de la peine corporelle infligée au coupable, soit parce qu'il pourrait avoir pour effet de détruire ou de diminuer l'efficacité de cette peine, soit parce que l'exécution elle-même de cette peine serait un obstacle aux situations et aux rapports dans lesquels prend naissance ou peut être exercé le droit.

1410. Enfin on pourra trouver encore un motif suffisant dans le besoin de faire de la privation de tel ou tel droit un moyen de contrainte contre une personne en rébellion envers la loi, par exemple contre un accusé contumax, en lui déniant certains avantages de cette loi à laquelle il résiste, jusqu'à ce qu'il y ait obéi.

1411. Mais toujours, que ce soit par l'un ou par l'autre de ces motifs que la privation ou la déchéance de droit soit prononcée, la distinction capitale entre les droits nécessaires qui doivent rester à l'abri de la loi pénale, et ceux que cette loi peut atteindre, devra être observée.

1412. Il importe, à ce sujet, de bien distinguer, dans les droits que les hommes peuvent avoir, ce que les jurisconsultes appellent la jouissance et ce qu'ils nomment l'exercice du droit. La jouissance du droit est la faculté passive d'en avoir à son compte le profit, les avantages, la satisfaction; l'exercice est la faculté active de faire soi-même les actes qu'il comporte, les actes nécessaires pour faire naître ces profits, pour les recueillir, pour en disposer.

Or il est des droits, ceux par exemple de propriété, de créance, de recours aux tribunaux, qui sont de nature à pouvoir être exercés par autrui en notre nom : ici la distinction est évidente; nous pouvons être privés de l'exercice, obligés de voir un autre en faire les actes pour notre compte, et néanmoins conserver la jouissance du droit. Il en est d'autres, au contraire, qui ne comportent pas un tel remplacement; celui-là seul qui a le droit est admis à l'exercer et nul autre en son nom : tels, par exemple, le droit de disposer par testament, et ceux d'un grand nombre de fonctions ou de services publics. Ici la distinction semble plutôt nominale qu'effective puisque privé de la faculté d'exercer soi-même le droit et ne pouvant le faire exercer par autrui pour son compte, la jouissance qu'on en garde parait, en fait, illusoire. Elle le sera en effet le plus souvent; cependant quelquefois elle aura encore ici ses avantages: ainsi, le droit continuera de résider d'une manière abstraite en la personne qui aura été privée de l'exercice seulement, et du moment que l'obstacle à l'exercice aura cessé, le droit, toujours subsistant, reprendra par cela seul son efficacité; ainsi encore, si l'on suppose que les actes d'exercice aient été faits régulièrement avant la privation de cet exercice, ils conserveront leur validité nonobstant cette privation ultérieurement survenue, puisque le fond du droit, ou en d'autres termes la jouissance du droit, aura toujours subsisté. La distinction étant ainsi établie même pour le cas où elle est le moins efficace, on voit qu'il y aura toujours à considérer dans les privations de droits à prononcer par la loi pénale, si c'est la jouissance même du droit ou l'exercice seulement qui doit être retiré.

1413. Le premier motif, celui d'indignité, atteindra généralement le fond même du droit, tandis que les deux autres se borneront à l'exercice.

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1414. Une autre observation, c'est que l'inviolabilité des droits nécessaires dont nous avons parlé au n° 1406 est vraie quant au fond même de ces droits, quant à la jouissance, mais ne l'est pas toujours quant à l'exercice. Rien, en effet, pour un certain nombre de ces droits, ne s'oppose à ce que la loi pénale, par l'un ou l'autre des trois motifs que nous avons signalés, en retire l'exercice au condamné, tout en lui en laissant le bénéfice. Les actes que nécessite cet exercice seront faits alors par quelqu'un au nom du condamné, mais celui-ci en profitera. Un défaut d'âge, des maladies ou affections mentales, pourraient amener de telles situations;

la logique pénale, dans les cas où elle se produira, n'aura moins de pouvoir.

pas

1415. Ces principes généraux étant posés, il resterait à en faire l'application raisonnée à chaque espèce de droit en particulier; mais c'est là une étude de détails qui sortirait des limites élémentaires de notre traité. On voit que les divers points à y considérer à propos de chaque droit seront.:

1 Si le droit mis én question est un de ces droits nécessaires, inséparablement liés aux conditions de la nature humaine, que la loi pénale ne peut enlever au condamné; ou un de ceux dont elle ne peut lui enlever que l'exercice, à charge de lui en laisser toujours la jouissance; ou enfin un de ces droits occasionnels ou artificiels dont elle peut le priver totalement. Il se trouvera des uns et des autres de ces droits, soit en ce qui concerne l'individu, la famille ou l'État, soit dans les rapports d'homme à homme ou dans les rapports d'homme à société, c'est-à-dire dans le droit privé ou dans le droit public. En effet, on ne peut pas concevoir un homme à côté d'un autre homme sans qu'à l'instant naissent de l'un à l'autre des nécessités morales d'actions ou d'inactions exigibles, c'est-à-dire des droits; on ne peut pas concevoir un homme dans une société sans que de l'un à l'autre naissent à l'instant de semblables nécessités d'actions ou d'inactions exigibles, c'est-à-dire des droits or, tant qu'un homme reste vivant, par cela seul qu'il est vivant, toujours faut-il qu'il soit au milieu d'autres hommes et dans une société, en une position quelconque; toujours faut-il, par conséquent, qu'il y ait de lui aux autres, à sa charge ou à son profit, des droits nécessaires. Qu'est-ce donc que cette peine nommée mort civile, par laquelle il serait supposé qu'un homme vivant est mort pour le droit, comme si cela était possible? Qu'estce que cette autre sorte de peine par laquelle un homme serait mis hors la loi, avec permission à chacun de l'injurier, de le dépouiller, de le molester, de le blesser, de le mettre à mort? Y a-t-il la moindre idée de ce que c'est que le droit, en des aberrations pareilles? Et du plus au moins, du moment qu'il s'agit de la privation d'un droit quelconque, la question n'est-elle pas toujours de savoir, avant tout, quel est le pouvoir de la loi pénale positive à l'égard de ce droit?

2° Après la question de pouvoir vient cette autre : Y a-t-il un motif logique qui exige ou qui demande que la privation du droit

ait lieu?

3 Et enfin quelle sera l'étendue de cette privation? Le motif logique qui la commande ou qui l'autorise veut-il qu'elle ait lieu pour l'exercice seulement ou même pour la jouissance du droit? 1416. Nous n'exceptons pas de ces règles, certaines afflictions. qui, sans imposer une captivité matérielle au corps, atteignent cependant la personne en quelques-uns de ses droits de liberté individuelle, ceux de résider dans le pays, de s'y fixer en un lieu

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quelconque ou de s'y mouvoir librement, et font comme une transition entre les peines privatives de liberté proprement dites et les peines privatives de droits (ci-dess., n° 1383). Tels sont le bannissement hors du territoire de l'Etat, avec prohibition d'y revenir; l'interdiction de séjourner en telle ville, en telle partie plus ou moins étendue du territoire; l'obligation de résider en tel lieu marqué. L'analyse démontre qu'aucune des qualités essentielles pour une peine ne se rencontre dans ces sortes de restrictions de droits; que des inconvénients majeurs y sont attachés; qu'aucune d'elles ne doit, en conséquence figurer à titre de peine proprement dite dans le système répressif rationnel. Ce n'est qu'à titre de précautions et de mesures complémentaires après l'expiration de la peine (ci-dessous, n° 1487 et suiv.), que quelques-unes de ces restrictions peuvent être employées, avec toute la réserve qu'exigent toujours les privations de droits, et seulement lorsqu'on trouve dans le délit ou dans les conséquences de la pénalité infligée un motif logique d'en agir ainsi.

§ 4. Conclusion.

1417. De l'appréciation raisonnée qui précède sort, par une logique impérieuse, la composition du système répressif rationnel. Les peines privatives de liberté constituent le fond de ce sys

tème.

Les amendes y figurent sur un plan inférieur : 1o comme punition suffisante à elle seule pour certains délits légers; 2o comme appoint quelquefois utile, même à l'égard des délits plus graves.

Les confiscations spéciales et les pertes et déchéances de droits y interviennent, non pas comme instruments de punition, mais seulement comme conséquences logiques à déduire, en certains cas, soit du délit, soit de la situation du condamné.

sous

les

1418. C'est ainsi qu'après avoir, dans son enfance, inspirations de l'esprit de vengeance, du talion ou de l'analogie, débuté, en fait de peines, par la variété et par la multiplicité, qui s'y maintiennent encore en droit positif, et qui paraissent toujours nécessaires à certains esprits, la pénalité est conduite par la science à l'unité (ci-dess., no 1352); car, en dernière analyse, à part l'emploi inférieur ou l'appoint utile de l'amende, plus dans le système répressif rationnel qu'une seule peine, privation de liberté, susceptible à elle seule de se graduer suivant les nuances les plus diverses de la criminalité.

§ 5. Ordonnance des peines privatives de liberté.

on ne trouve

la

1419. La privation de liberté peut être plus ou moins étroite, revêtir des formes, contenir des gènes ou des restrictions plus ou moins dures; d'où la distinction, dans les législations positives el dans la pratique, de peines diverses, portant des noms différents,

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