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lité. Il est des vices, en effet, qui poussent à des violations de devoir moins graves, à des atteintes moins alarmantes pour la conservation ou pour le bien-être social, et qui cependant sont plus tenaces dans l'àme, et demandent pour en être arrachés un travail de correction bien plus long, bien plus difficile. L'homme qui sous l'empire d'une passion de colère, de vengeance, de jalousie, aura donné la mort à un autre, presque toujours aura l'àme moins corrompue que le filou, que l'escroc, qui vit du vol, de l'appropriation frauduleuse du bien d'autrui, et qui s'en est fait une habitude, presque une profession. Psychologiquement, la raison en est facile à donner, et pratiquement le fait s'en produit tous les jours. Il n'est pas un directeur de prison qui ne dise que les grands criminels sont en général les meilleurs détenus, les plus accessibles au repentir et à l'amendement; tandis que parmi ceux qu'on nomme de moindres délinquants se trouvent les plus pervers, les plus rebelles aux efforts d'une réforme morale. Le besoin de la répression et le besoin de la correction ne marchent pas ici dans le mème sens sur lequel des deux faudra-t-il régler la durée et les sévérités du régime de l'emprisonnement?

1436. La réponse nous est donnée, saus hésitation possible, par la théorie fondamentale elle-même du droit pénal. Nous savons sur quels principes combinés doit se mesurer dans tous les cas la rigueur de la peine (ci-dess., no 205 et 1330); or, dans l'emprisonnement ce sont précisément la durée et les sévérités du régime qui forment la rigueur plus ou moins grande du châtiment, nous savons donc sur quoi elles doivent se mesurer.

Mais c'est ici, au sujet même de l'emprisonnement, de sa durée et des sévérités de son régime, qu'arrivent les conclusions contraires d'une autre théorie, celle qu'on appelle la théorie de l'amendement, laquelle, faisant absorber le juste par l'utile, et les divers points d'utilité par un seul, détruit l'idée de punition sous prétexte de la justifier, et ne laisse à la place que celle de guérison (ci-dess., no 181). Pour celle-ci, incontestablement, l'unique règle de mesure c'est le besoin de correction.

Ses conclusions se glissent dans les esprits à la faveur d'une métaphore, d'après laquelle le délinquant ne serait qu'un malade ayant besoin d'être guéri, et la pénalité qu'un remède destiné à opérer cette cure. Nous n'hésiterons pas à reproduire, si l'on veut, en la réduisant à sa juste valeur, cette métaphore, qui a une certaine vogue, parce que vraie en ce qui concerne un des buts essentiels de la peine, la correction, elle ne devient fausse que lorsqu'on en veut faire l'image et le régulateur exclusif de la pénalité. Mais dès qu'on la prend en ce sens exclusif, il faut voir les conséquences singulières qui en dérivent!

1437. La plus radicale de ces conséquences nous est déjà connue s'il est vrai que les prisons ne soient que des hospices pour le traitement des maladies morales, plus de Code formulant

la peine pour chaque dèlit, plus de juge l'ordonnançant d'avance d'une manière impérative, plus de durée fixe marquée par le jugement à la privation de liberté de semblables pratiques ne seraient-elles pas absurdes dans le traitement des autres maladies? Mais des visites quotidiennes, ou du moins périodiques, à chaque malade; des prescriptions variables, appropriées chaque fois à chaque péripétie du mal; lesquelles devront cesser dès que la cure sera complète, et qui se prolongeront tant qu'elle ne le sera pas (ci-dess., n° 181, note 2). Oh! la puissance des comparaisons dans les sciences morales! jusqu'où celle-ci ne peut-elle pas conduire des esprits logiques (1)!

1438. Voudra-t-on bien, s'abstenant de pousser aussi loin les conséquences, admettre un Code pénal, une peine édictée à l'avance dans certaines limites, un juge et un jugement: alors il faudra, pour rester fidèle à la métaphore, que le législateur à l'égard de chaque délit, puis le juge à l'égard de chaque délinquant, mesurent à l'avance les nécessités présumées de la correction, pour y proportionner le degré et l'étendue du remède, c'est à-dire la durée et les sévérités du régime de l'emprisonnement qu'ils prescriront. De telle sorte qu'on verra les délits qui offrent ordinairement le plus d'incorrigibilité dans les coupables, tels que le vol, l'escroquerie, l'usure, le braconnage, le vagabondage, la mendicité, certains délits d'habitude contre les mœurs, et autres semblables, frappés des peines d'emprisonnement les plus longues et les plus sévères, tandis que les violences d'emportement contre les personnes, le meurtre, l'assassinat, descendraient le plus souvent à l'échelle inférieure de la pénalité.

1439. Enfin, sans tomber dans ces extrêmes, et surtout sans se rendre compte des suites d'un tel sentiment, il est certain que l'esprit administrateur, dans la tenue des prisons et dans le régime à appliquer aux condamnés, sera porté généralement à perdre de vue le motif de la condamnation, pour ne considérer que la conduite du détenu dans la prison; le taux de la répression due au délit commis, pour ne voir que le succès ou l'insuccès de la correction entreprise. Il faut avoir été magistrat, ètre pénétré des principes fondamentaux de la justice pénale, pour se rejeter en arrière, pour se remettre en présence du délit commis, et songer à ne pas détruire, sous l'exagération de l'influence à accorder à la correction, l'idée de justice et de nécessité sociale, la répression. 1440. Cependant les délinquants sont condamnés à raison du fait passé et non des faits à venir, à raison du délit qu'ils ont commis et proportionnellement à la mesure de leur culpabilité dans ce délit. L'influence, en plus ou en moins, des faits ultérieurs, de la conduite durant l'application de la peine, sur cette peine prononcée,

(1) Indépendamment de celles de Pinheiro Ferreira, on en peut voir des déductions dans la Nomotesia penale de RAFFAELLI, Naples, 1820, 3 vol. in-8°.

n'est pas à dénier, mais elle ne peut être qu'une influence accessoire, restreinte dans des limites disciplinaires. Ce grand coupable est moins corrompu, plus accessible au repentir et à l'amendement : oui, mais le devoir qu'il a violé, le droit qu'il a lésé par son crime tenaient une place plus haute dans les conditions de la justice absolue et dans celles de la sécurité sociale; ce délinquant à l'âme plus vile, plus endurcie au mal, plus rebelle à la correction : oui, mais il a manqué par son délit à un devoir moins grave, il a lésé un droit moins important suivant l'échelle de la morale et suivant celle des intérêts sociaux. D'une part, il ne suffit pas, en la justice sociale, qu'un homme soit vicieux, pervers, corrompu, pour que la société soit en droit de lui appliquer une peine à titre d'amendement forcé; il faut qu'il ait commis un délit déterminé, et c'est sur sa culpabilité dans ce délit que se mesure la peine. D'autre part, une fois le délit commis, le repentir, le retour au bien, quelque sincères qu'on les suppose, ne suffisent pas, en la justice sociale, pour dispenser de la peine ou pour la faire cesser à l'instant (ci-dess., n° 991). Plus on supposera le coupable corrigé, plus il comprendra lui-même, s'il l'est pleinement, la beauté, la nécessité de cette harmonie morale que le bien doit être suivi du bien et le mal suivi du mal; plus il sentira que, pour lui-même et surtout pour ceux qui sont au dehors, il faut que cette harmonie soit satisfaite autrement que serait-elle et quel crédit aurait-elle? Même dans sa justice spirituelle, en donnant l'absolution au repentir, la religion catholique impose ici-bas la pénitence.

la

1441. Il ne faut donc pas dans l'ordonnance de l'emprisonnement se départir des données qui ressortent de la théorie fondamentale du droit pénal. C'est sur le principe et sur la mesure de la répression, renfermée dans ses deux limites, la justice et l'utilité sociale (ci-dess., no 205), que devront être réglées, avant tout, durée et la sévérité du régime. La correction, l'un des buts essentiels à poursuivre, n'y interviendra que comme liée à la répres sion, marchant avec elle sans la détruire ni la dominer. Même en cas de désaccord entre la mesure nécessaire à l'une et celle qui serait nécessaire à l'autre, ce sera la première qui servira de régulateur. Ainsi, que le but de la correction ait été atteint, si celui de la répression défini par la loi et par le juge suivant le délit ne l'est pas encore l'emprisonnement, en principe, n'en devra pas moins continuer; et au contraire, ce but, ce terme marqué de la répression une fois atteint l'emprisonnement cessera, quoique la correction n'ait pas été obtenue.

et

1442. Toutefois, dans une proportion disciplinaire, parce qu'il est juste que l'amendement opéré porte avec lui sa récompense, que l'endurcissement, la ténacité dans le mal ait, au contraire, sa punition; parce que c'est là un des moyens efficaces et un des moyens équitables à employer dans l'organisation de la peine suivant les vues de la correction: il est dans l'esprit du système rẻ

pressif rationnel que, sans jamais dépasser aucune des deux limites, ni de la justice ni de l'utilité sociale, une certaine influence soit accordée par la loi à la correction sur la mesure mème de l'emprisonnement. Ce but sera atteint, quant au régime, en déterminant certains degrés de traitement qui pourront devenir plus ou moins sévères suivant la conduite des détenus; et quant à la durée, en déterminant une certaine fraction aliquote dont le temps de l'emprisonnement prononcé pourra être diminué, ou dont il pourra au contraire être augmenté supplémentairement, suivant les résultats obtenus dans l'œuvre de correction. Les deux points essentiels sont: 1 que ces degrés ou fractions aliquotes n'aient qu'une importance accessoire, et non une importance principale capable de porter coup au principe de la répression; 2° que la détermination en soit faite à l'avance, d'une manière générale, par la loi pénale elle-même, et qu'ils entrent ainsi dans les conditions éventuelles de la peine prononcée : le soin de l'application devant être laissé aux autorités le mieux à même d'apprécier la conduite des détenus durant l'emprisonnement et d'influer sur cette conduite au moyen de la punition ou de la récompense. Ce sera ainsi que sans tomber dans les excès par nous relevés (ci-dess., no 1436 et suiv.), on accordera à la correction, sur la mesure même de la répression, l'influence secondaire qui lui est due.

1443. En somme, la loi pénale, dans ce système, doit fixer la peine contre tout délit 1° suivant la mesure de la culpabilité absolue; 2° avec une certaine latitude laissée au juge pour la mesure de la culpabilité individuelle; 3° avec une nouvelle latitude assignée à l'autorité dans l'application de la peine, pour le compte à tenir de la conduite du condamné durant cette application, et du succès ou de l'insuccès de la correction. Or l'emprisonnement seul est à même de répondre à toutes ces exigences, au moyen des nuances combinées, soit de la durée, soit du régime.

Régime traitement physique et traitement moral,

1444. Passons donc à l'examen du régime; et puisqu'il s'agit dans ce régime d'une action à exercer sur l'homme, revenant, à ce sujet, à notre division méthodique accoutumée, nous y distinguerons, malgré le lien indissoluble et les influences intimes qui existent de l'un à l'autre, deux sortes de traitement le traitement physique et le traitement moral.

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1445. Le traitement physique comprend tout ce qui tient aux nécessités matérielles de la vie du détenu; la manière de pourvoir à ces divers points aliments, vètements, logement, lumière, air, température, mouvement et exercice dont le corps de l'homme a besoin. C'est dans ce traitement physique que doivent être placées les sévérités du régime soit les sévérités ordinaires, comprises dans le règlement normal de la peine, soit

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les sévérités extraordinaires qui pourront être infligées par surcroit à titre disciplinaire. Nous suivons en cela la règle du système répressif rationnel : « l'affliction quant au physique,» tandis que nous dirons tout à l'heure: « le bienfait quant au moral » (ci-dess., n° 1390). La science repousse du rôle de peine les coups, les mutilations, les tortures, les douleurs musculaires qui s'en prennent à un membre, à un organe quelconque du corps (ci-dess., no 1355); mais elle comporte, elle exige avec plus ou moins de rigueur suivant les cas, que le traitement physique se horne à la satisfaction grossière et indispensable des besoins du détenu, avec exclusion de tout ce qui serait luxe, richesse, sensualité, satisfaction d'un plaisir et non d'une nécessité. Ceux qui visitant une prison, goûtant les aliments, lorsqu'ils auront trouvé la soupe bonne, le ragout succulent, le coucher moelleux, diront : « Voilà une prison bien tenue! » ne sont pas des nôtres.

1446. Les sévérités de ce traitement et de ces exclusions devront se graduer, en se combinant avec la durée, sur l'échelle montante ou descendante des délits. La limite supérieure que le législateur ne devra jamais dépasser sera celle où commencera un danger pour la vie ou pour la santé du détenu. Les détenus ne sont pas condamnés à la maladie, à une mort lente; déjà il n'est que trop bien démontré, par un raisonnement à priori et par les chiffres statistiques de l'expérience, que la captivité, qui n'est pas un état naturel pour l'homme, augmente, toutes autres choses égales, les chances communes de la mortalité; il ne faut pas que des conditions insalubres ou mortifères dans le régime viennent encore ajouter à ces chances. Toutes les exigences hygiéniques sous ce rapport devront être satisfaites.

1447. La nécessité que le traitement physique dans l'emprison nement de peine ait toujours un caractère afflictif, même quand il ne s'agit que de ses degrés les moins hauts, se fortifie par une considération autre que celle de la pénalité. En effet, du moment que la société par le fait de l'emprisonnement s'empare de la personne d'un homme, lui enlève le libre usage de ses mouvements, de ses facultés actives, et prend à sa disposition le règlement de son existence durant la captivité, elle prend par cela même à sa charge la nécessité de pourvoir aux besoins matériels de cette existence. Mais alors peut survenir le contraste entre le régime dont va jouir à cet égard le coupable détenu et les privations que supporte, souvent même dans les choses les plus nécessaires, pauvre laborieux nourrissant à grand'peine sa famille de son travail. De telle sorte qu'on pourrait arriver à se demander si le moyen d'attirer à soi les bienfaits de la société ne serait point, par hasard, d'être criminel plutôt qu'honnête homme? La sévérité afflic tive du traitement physique, considéré, non pas en un seul de ses points, mais dans tout son ensemble, doit répondre à cette objection. Mème avec cette sévérité, le contraste existera encore quel

le

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