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quefois, il faut l'avouer; surtout si on ne veut l'établir qu'en ce qui concerne le régime alimentaire, le vêtement, l'abri contre les intempéries de l'atmosphère; mais, après tout, sans compter la différence morale, qui met un abime entre les deux situations, même au point de vue physique, n'est-ce pas la fable de l'oiseau en cage et de l'oiseau en liberté? Qui dira cependant que le sort fait au premier soit préférable à celui du second?

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1448. Le condamné détenu peut avoir au dehors des ressources pécuniaires, peut-être l'opulence, par lui-même, par sa famille ou par des amis: lui sera-t-il permis d'adoucir, à l'aide de ces ressources, les duretés du traitement physique auquel il est soumis dans la prison, de substituer à ces duretés le bien-être matériel, de se donner les plaisirs, les jouissances sensuelles que ce traitement lui refuse? Deux raisons majeures s'y opposent radicalement : 1° ne pas laisser altérer le caractère afflictif de la peine, sans qu'il soit besoin de parler même des abus qui la tourneraient en dérision; 2 ne pas y laisser porter atteinte au principe de l'égalité, qui disparaîtrait si les différences de fortune et le bénéfice de la richesse pouvaient pénétrer jusque dans le régime afflictif de la prison. Quelques exceptions ne seront permises qu'à l'égard des choses de première nécessité, ne pouvant donner lieu à aucun des deux inconvénients signalés, comme, par exemple, le pain, de la même qualité que celui fourni aux détenus, pour ceux qui voudraient s'en procurer un supplément. Ces exceptions pourront devenir moins étroites à mesure qu'il s'agira d'infractions moins. graves et, par suite, des degrés inférieurs de l'emprisonnement; mais toujours elles devront être renfermées dans des limites réglementaires, et toujours ce devra être un article de rigueur que, pendant toute la durée de l'emprisonnement de peine, nulle somme pécuniaire, de quelque source qu'elle lui vienne, ne puisse être remise ou rester entre les mains d'aucun détenu l'argent étant l'occasion la plus fréquente et le moyen le plus facile de toutes sortes d'abus. En conséquence, les achats, dépenses, ou envois autorisés par le règlement, ne pourront jamais se faire que par l'intermédiaire de l'administration, seule dépositaire des fonds, à la demande des détenus et d'après un compte qui sera ouvert à cet effet à chacun d'eux.

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1449. Par la régularité, par la sobriété, par la propreté, par les soins imposés à chaque détenu pour son propre service, et par tant d'autres conditions matérielles susceptibles de se tourner en bonnes habitudes, en bonnes qualités acquises, l'ordonnance du traitement physique exerce une influence salutaire jusque sur la réforme morale elle-même; et c'est là que nous prenons notre point de transition pour passer à l'examen du traitement moral.

1450. Nous comprenons dans ce traitement moral ce qui concerne les communications ouvertes ou interdites au détenu, le travail, l'instruction et l'éducation. De ces quatre points on dira avec raison que les deux premiers, les communications et le travail, se

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lient étroitement aussi à l'ordonnance du traitement physique; cela est vrai, mais dans le système répressif rationnel il faut les considérer, par-dessus tout, sous le rapport de leur influence sur la réforme morale, comme moyens de tendre vers cette réforme. Ils forment encore une transition, si l'on veut, du physique au moral; mais c'est éminemment à ce dernier point de vue que le règlement en doit être fait.

Communications: emprisonnement cellulaire avec séparation continue entre détenus. 1451. En ce qui concerne les communications, si l'on pouvait parvenir à réaliser, dans l'ordonnance de l'emprisonnement de peine, le programme que voici : Fermer au détenu toutes les communications moralement dangereuses, lui ouvrir toutes celles qui sont utiles et moralisatrices, nul ne contestera qu'on eût obtenu ainsi le meilleur résultat désirable sur ce point. Tel est donc le programme sur lequel il faut se guider, en cherchant à en approcher autant que possible, si l'on ne peut se flatter d'y atteindre complétement.

1452. Or, parmi les communications dangereuses se trouvent indubitablement celles des détenus entre eux dangereuses durant la détention, parce qu'elles sont dépravatrices, et que le prisonnier qui en est souillé en sort plus corrompu qu'il ne l'était auparavant; dangereuses après la libération, par les liaisons entre les criminels libérés qui en résultent au dehors, liaisons dont la fatalité poursuit, obsède ceux même d'entre ces libérés qui sont revenus ou qui voudraient revenir à une vie honnête.

1453. On a eu l'idée de fermer ces communications dépravatrices entre détenus en imposant aux détenus la loi du silence. Mettons de côté toutes les difficultés pratiques qu'il y a à faire observer une telle loi, la multiplicité des peines disciplinaires dont elle exige l'application à chaque instant, les occasions d'irritation ou d'insubordination qui en naissent, et les mille moyens frauduleux d'y échapper; supposons la loi du silence parfaitement observée, on aura fermé ainsi aux détenus la communication par paroles: ce sera beaucoup, mais ce n'est pas assez. Il reste les communications par le regard, par le geste, par les écrits; il reste la connaissance que les détenus ont les uns des autres, les liaisons qui se retrou vent au dehors, et toutes les conséquences fatales qui s'y rattachent. Le moyen est donc imparfait. Le résultat désirable auquel il faut tendre, c'est que les détenus soient inconnus les uns aux autres, que jamais ils ne se soient vus, que jamais ils ne se soient parlé, que jamais ils n'aient entendu prononcer leurs noms respectifs. On y arrive au moyen d'un emprisonnement cellulaire qui, de jour comme de nuit, de parole comme de regard, produise une séparation radicale entre détenus. En entrant dans sa cellule, le détenu en prend le numéro, et désormais, dans le lieu de détention, n'est plus désigné que par ce numéro.

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1454. Quant aux communications bienfaisantes et moralisatrices, elles trouveront ouvert l'accès de la cellule. Non-seulement la loi doit permettre de telles communications, mais elle doit les organiser de manière que plusieurs fois par jour le bénéfice en soit assuré à chaque détenu. Le personnel de l'établissement, directeur, agents de surveillance, agents pour le travail, pour l'instruction professionnelle ou élémentaire, ceux revêtus d'un caractère religieux, les médecins, certains magistrats, certains administrateurs au dehors, des commissions de surveillance, de patronage, ou des associations de bienfaisance pour les prisons, peuvent fournir des éléments réguliers et permanents pour ces sortes de communications, sans compter les visites occasionnelles, utiles à autoriser aux heures réglementaires, parmi lesquelles doivent se comprendre celles de la famille ou des amis, lorsqu'il est reconnu qu'il n'en peut résulter qu'un effet avantageux pour la moralisation du détenu.

1455. Ainsi pourra se remplir le programme par nous formulé (ci-dess., no 1451). L'emprisonnement ordonnancé de cette façon se nommera avec exactitude emprisonnement cellulaire sous le régime de la séparation entre détenus; non pas régime de l'isolement, mais régime de la séparation; non pas emprisonnement solitaire, mais emprisonnement séparé, système non pas d'exclure toule communication, mais de choisir les bonnes et de repousser les mauvaises.

1456. Il a été fait, souvent d'une manière passionnée, contre l'emprisonnement cellulaire, diverses objections.-Les unes, tirées de sa cruauté, de son influence pernicieuse sur la vie, sur la raison des détenus, tombent dès qu'il s'agit non pas de l'emprisonnement solitaire, mais bien de l'emprisonnement séparé. Le simple bon sens, qui montre la différence considérable entre l'un et l'autre de ces emprisonnements cellulaires, le témoignage des hommes et des corps savants les plus compétents, et celui plus convaincant encore de l'expérience même des faits, sont là, qui ne laissent plus aucune place au doute sur ce sujet. - D'autres objections, tirées des difficultés que présente le régime cellulaire pour l'organisation du travail, pour le mouvement et l'exercice en plein air nécessaires chaque jour, à de certaines heures, à chaque détenu, pour les instructions de différents genres à donner simultanément, pour la célébration solennelle des cérémonies religieuses, ont été levées fort heureusement au moyen des divers systèmes de construction, d'aménagement ou de méthode, imaginés à cet effet; ce sont des difficultés qui n'existent plus.

1457. Cette sorte d'emprisonnement a cela de privilégié, que, plus rigoureux sous le rapport physique, il est bienfaisant sous le rapport moral; de telle sorte qu'il répond merveilleusement à cette maxime du système répressif rationnel : « Le mal de la peine quant au physique; le bienfait quant au moral. »

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1458. Il a cela de privilégié encore, que la rigueur même qu'il renferme s'équilibre d'elle-même dans une proportion conforme au degré de perversité morale des condamnés. En effet, tandis que la cellule paraitra plus dure, plus difficile à supporter aux condamnés les plus corrompus, qui regretteront le contact et les communications cyniques de leurs semblables, ceux au contraire plus des pasaccessibles au repentir, coupables par emportement, par sions moins basses, dont l'âme n'est pas avilie, l'accepteront souvent même comme un bienfait, au prix d'une gêne physique plus grande, parce qu'elle les sauvera d'un pareil contact. Une peine qui agit en un tel sens se recommande particulièrement au législateur, tandis qu'il faut repousser rigoureusement toute peine qui agit en un sens inverse (ci-dess., no 1387).

1459. Enfin un autre avantage, qui ne laisse pas d'être fort grand, c'est que, par cela même qu'il est plus sévère, cet emprisonnement peut être plus court. Toute l'échelle des peines privatives de liberté peut se trouver ainsi réduite d'une manière notable quant à la durée, sans que le taux de la répression ait à en souffrir. Economie précieuse de temps dans la vie de chaque détenu; économie non moins précieuse pour l'Etat, dans ses dépenses, dans le désencombrement de ses prisons et dans le chiffre augmenté de sa population libre.

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Travail dans l'emprisonnement cellulaire à séparation continue entre détenus. 1460. Après ce qui concerne les communications, je passe au second point compris dans le traitement moral : le travail.

Le travail se montre employé dans la plupart des législations pénales positives comme instrument d'affliction, comme moyen de châtiment, et il existe même des peines mises au nombre des plus graves, qui en tirent leur nom et s'appellent travaux forces. Le système répressif rationnel repousse énergiquement un pareil déshonneur pour la sainte loi du travail. Le travail, c'est-à-dire l'exercice de l'activité que l'homme a reçue de Dieu, l'emploi des forces intellectuelles ou des forces matérielles dont il est doué, est la loi même de sa création, l'accomplissement de sa destinée. Il est sans doute une obligation, un devoir, ce qui ne veut pas dire qu'il soit un châtiment; comme c'est un devoir pour le fils d'aimer, de respecter son père : quelqu'un dira-t-il pour cela que ce soit une peine? Au contraire, dans l'accomplissement de cette loi du travail l'homme trouvera toutes sortes de biens : la santé, le contentement de soi-même, la fuite rapide et plaisante du temps, le profit pour lui et pour les autres, le progrès de ses aptitudes diverses, le redressement de ses inclinations mauvaises, le perfec tionnement de sa pensée morale et de ses sentiments.

1461. C'est à ces titres divers, tournant tous au bienfait physi que et au bienfait moral, que le travail sera employé dans l'em

prisonnement de peine suivant le système rationnel, et non à titre de châtiment. L'expérience démontre elle-même que, surtout dans l'emprisonnement cellulaire, le travail ne tarde pas à être désiré par le détenu, demandé et reçu comme un bienfait, et que loin qu'il y paraisse une affliction, la privation temporaire de travail est au contraire un genre de punition bon à faire figurer dans le Code disciplinaire de la prison. Cependant comme la société qui punit a, durant l'emprisonnement et pour l'efficacité même de cette peine, la direction de la vie du détenu, elle a par cela même la direction de son travail. Le travail de la prison de peine n'est pas un travail libre, laissé absolument au choix et à la volonté du détenu; c'est un travail réglementaire, choisi et dirigé par l'autorité. Il s'agit de déterminer suivant quelles vues devront être faits, dans le système répressif rationnel, ce choix et cette direction.

1462. Si c'est au point de vue de la punition, on choisira les travaux les plus dégoûtants, les plus durs, les plus périlleux, les plus insalubres mais hélas! si durs, si dangereux qu'ils soient, qu'il s'agisse d'égouts, de mines, de carrières ou de desséchements, toujours on trouvera d'honnêtes ouvriers qui ne vivent que de semblables travaux, qui considèrent comme un bien providentiel de les obtenir et de n'en pas manquer; et c'est ce rude labeur, ce gagne-pain méritoire de tant de familles, qu'on prétendra présenter et faire subir comme un châtiment! Ou bien l'on arrivera même à des travaux illusoires à faire frapper, à faire marcher sur des engins manœuvrant à vide, les condamnés, semblables à des animaux en leur cage, ainsi que cela s'est pratiqué dans le moulin à marcher (le tread-mill) des Anglais, simulacre vain, qui n'a d'autre but que de fatiguer et d'endolorir les membres. Dans le premier cas, déshonneur, et dans le second, dérision du travail! Comment en inspirer ainsi le goût et le respect au condamné, comment en tirer l'effet moralisateur qu'il contient, comment en faire l'instrument préparateur d'une vie honnête pour l'avenir?

1463. Si c'est au point de vue de l'exploitation, on choisira les travaux les plus lucratifs, dont il sera possible au gouvernement, ou au spéculateur exploitant les condamnés, de tirer le meilleur parti pécuniaire quant à l'effet de ces sortes de travaux pour la réforme et pour l'avenir du détenu, ce n'est pas la question dans ce système. Les travaux imposés seront-ils ou non appropriés à ce double but, y seront-ils utiles ou préjudiciables? Là n'est pas le soin dont on se préoccupe.

1464. Au contraire, si c'est au point de vue de cette réforme et de cet avenir, ainsi que l'exige le système répressif rationnel, le choix et la direction du travail prennent un caractère tout différent. Choisir les travaux qui, pour le présent, produiront sur l'esprit et dans les habitudes du condamné l'effet le plus salutaire, et qui pour l'avenir, après sa libération, lui assureront le mieux les

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