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moyens d'une existence honnête; s'il avait déjà précédemment une profession, un métier de nature à rentrer dans de telles conditions, continuer autant que possible à le lui faire exercer en prison; s'il n'en avait pas, choisir de préférence pour le lui apprendre celui qui s'appropriera le mieux à sa condition, à ses aptitudes, aux lieux qu'habite sa famille ou dans lesquels il est désirable qu'il se retire après l'expiration de sa peine; consacrer à son apprentissage tous les soins et tout le temps nécessaires : voilà, sans entrer dans des détails techniques, les règles générales qui devront servir de guide. Les professions appropriées du mieux que possible à chaque détenu seront par cela même variées, pour la plupart des professions individuelles, bonnes à exercer jusque dans de petites localités. Quant aux emplois ou occupations de fabrique, à travail divisé presque automatique, exigeant le séjour de grands centres de population, ou des réunions au milieu desquelles renaîtraient facilement les occasions de rechute, ils jouiront de peu de faveur. Indubitablement, une pareille organisation du travail coûtera plas de peine et rapportera moins de profit pécuniaire; comme usine, comme atelier, comme exploitation, ce serait une organisation mal conçue; mais comme institution pénale, c'est la seule qui puisse faire marcher vers le second but essentiel des peines, la correction, qui doit mettre le détenu et la société à l'abri des réci dives.

1465. Nous repoussons d'une manière décisive et absolue toute espèce de travail extérieur, fait en présence de la population libre qu'il s'agisse de voies à construire, de digues à élever, de marais à dessécher, de canaux, de ports à creuser, de carrières, de mines à exploiter, de services maritimes dans les rades ou arsenaux, ou de toutes autres semblables entreprises. Il va sans dire que de pareils travaux sont incompatibles avec le régime de la séparation entre détenus, et comme tels exclus du système répressif rationnel (ci-dess., nos 1452 et 1453).

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Mais même dans les systèmes d'emprisonnement quelconque, qui admettent le travail en commun des détenus, escouades ou par ateliers, ce sera toujours un vice radical que de mettre au nombre de ces travaux ceux qui ne se peuvent exécuter qu'au dehors, en plein air, au vu et au contact d'une population libre. Nous ne compterons pas tout ce qu'engendrent de funeste ce spectacle, ce rapprochement, ce commerce quotidien, extérieur, ne fût-ce que par le regard; cette démoralisation qui n'est plus renfermée entre les murailles de la prison, mais qui s'épand au dehors; le ramassis hideux qui se forme à l'entour, les relations illicites qui s'établissent malgré toute surveillance. Nous ne compterons pas le caractère peu répressif d'une telle pénalité, agissant en sens inverse des moralités: ambitionnée par les coupables cyniques; dure, si elle l'est pour quelques-uns, à ceux là même qui sentent encore la honte du mal et qui se trouvent découragés

et dévoyés du retour au bien par cette sorte d'exposition perpétuelle (ci-dess., n°* 1387 et 1458). Nous ne compterons pas tous ces vices réunis, et nous nous bornerons à cette seule interrogation: Comment présenter ainsi sous un aspect dégradé, en guise de châtiment honteux et de flétrissure publique, des travaux pour lesquels tant de bras honnêtes sont employés ou offerts, tant de chantiers actifs sont fournis ou peuvent l'être! De toutes les peines privatives de liberté mal organisées, celles-là sont les pires et donnent les résultats les plus déplorables: ni au point de vue de la répression, ni au point de vue de la correction, ni au point de vue de la profession à venir après l'expiration de la peine, il n'y a rien de bon à en attendre. C'est une pénalité grossière et à contre-sens, en dehors de tous les principes de raison.

1466. Nous faisons moins encore exception en ce sens pour le travail des champs, pour les colonies agricoles à titre de peine. Malgré la tendresse dont certaines imaginations ont pu s'éprendre à ce sujet en invoquant les effets moralisateurs de la vie rurale nous aimons peu les bucoliques de prison. Le travail des champs! le travail nourricier! le plus honoré, celui que nulle grandeur ne dédaigne, et qui dans ses rudes fatigues porte avec lui ses jouissances incessantes! Les lumières du soleil, les respirations de l'atmosphère, le cercle renaissant des saisons, les tentures changeantes du paysage, les périodes graduées de la fécondité et de l'enfantement de la terre, que la main et le génie de l'homme sollicitent! C'est de cela que vous voulez faire le châtiment du coupable, c'est sur cela que vous voulez étendre la dégradation du crime! Vous voulez donc que rien ne soit respecté dans le travail ? Vous voulez donc que rien de répressif n'existe dans la peine? Vous voulez donc retirer toute protection à la société, et qu'y commettre le mal soit le moyen de s'assurer une telle existence? Ouvrez des colonies agricoles, fussent-elles en des pays lointains, à la pauvreté laborieuse combien de familles honnétes ne viendront-elles pas s'y enroler! Les colonies agricoles sont des œuvres de bienfaisance, des moyens à employer dans les grands problèmes touchant l'extinction de la mendicité, la meilleure répartition des efforts laborieux de l'homme, et le soulagement de la misère exempte de délit. Nous les admettrons encore, ainsi que nous aurons à le dire bientôt, à l'égard des jeunes détenus; mais hors de là elles ne doivent pas trouver place dans le système répressif rationnel.

1467. Cependant tout en accédant comme règle générale à cette proscription, n'y aurait-il pas certaines réserves à faire? Les travaux par chantiers extérieurs, les travaux agricoles surtout, ne pourraient-ils pas être introduits avec avantage dans les emprisonnements moins sévères, contre des délits de gravité peu élevée, ou bien à l'égard des détenus ayant subi une grande partie de leur peine, sur lesquels la réforme paraîtrait avoir produit déjà de

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salutaires effets et qui approcheraient du terme de leur libération? Il est clair que plus on supposera la culpabilité légère, ou plus on supposera qu'on approche de la répression subie et de la réforme opérée, plus iront en s'amoindrissant les objections qui précèdent. Mais tant qu'il restera les deux faits suivants : 1° le travail pénal offert en spectacle et en contact à la population libre; 2° le travail pénal exécuté en commun par les détenus et ouvrant les communications des uns aux autres, on se trouvera en dehors des exigences de la pénalité rationnelle. Le régime de la séparation entre détenus ne comporte en aucune façon de tels accommodements. Réunir, agglomérer, aux approches de leur libération, les détenus ensemble, ce serait détruire, d'un seul coup, à la fin de ce régime, l'effet que jusque-là on se serait attaché avec tant d'effort à produire. Pour être conséquent avec le principe fondamental de l'emprisonnement séparé, ce sont d'autres moyens de transition de la peine à la liberté qu'il faut imaginer.

1468. Enfin, ces travaux extérieurs, ceux surtout qui sont des travaux de force, par chantiers agissant avec ensemble, ne seraientils pas bons à appliquer à des condamnés destinés à une transportation lointaine, soit comme épreuve préliminaire de cette transportation, suivant ce qui se pratique aujourd'hui en Angleterre, en ayant soin de porter et de circonscrire ces travaux extérieurs sur des points d'où la population libre pourrait être complètement exclue; soit dans le lieu même de la transportation, loin de cette population libre au sein de laquelle le condamné ne devrait jamais rentrer? Les inconvénients sont alors atténués ou déplacés, quoique existant toujours, et la question n'est plus autre que celle même de la transportation et de la place à accorder à cette sorte de peine dans le système répressif rationnel (ci-dess., n° 1369 et suiv.; ci-dessous, n° 1493 et suiv.). Le régime de la séparation entre détenus finit à cette limite; pour en arriver là, il faut que ce régime désespère du condamné, et que la pénalité en soit réduite à ne plus chercher la solution de ses problèmes qu'en libérant matériellement de la personne du coupable la population au sein de laquelle les méfaits ont été commis."

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1469. En somme, le travail, dans l'emprisonnement de peine ordonnancé suivant les principes rationnels, est un bienfait; les murs derrière lesquels il s'accomplit, les murs de la cellule sous le régime de la séparation entre détenus, lui doivent laisser toute l'austérité qui convient à la peine dont il est une dépendance. S'il s'agit de condamnés appartenant à la population rurale, et les statistiques montrent que la proportion en est graude, le métier choisi pour eux dans la cellule, et dont ils feront au besoin l'apprentissage, sera un de ces métiers qui servent d'appendice à la profession agricole, utiles et faciles à exercer dans la ferme ou dans le village, à la veillée ou aux temps de morte-saison pour le travail des champs, métiers qui ont pour but de pourvoir aux né

cessités diverses de cette vie, ou à l'outillage de cette profession, ou à la mise en œuvre, à la manufacture de certains de ses produits; le tout suivant la localité en laquelle chaque détenu doit probablement retourner à l'expiration de sa peine.

1470. Un tel choix, une telle direction du travail, sont tellement éloignés de ceux que ferait l'esprit de spéculation (ci-dess., n° 1463), que nous ne voulons pas d'autre idée que celle de ce contraste pour faire voir combien vicieux, combien éloignés des principes de la pénalité rationnelle sont les systèmes qui consistent à livrer à un fermier, c'est-à-dire à un fournisseur, à un industriel poursuivant en fin de compte un but de gain pécuniaire, le travail des détenus, auquel ont été joints souvent aussi les principaux services du traitement physique. C'est là ce qu'on a nommé le système de l'entreprise. Sans parler des écarts coupables de ce système, des scandales attestés jusque par les condamnations de la justice répressive; en le prenant dans ses conditions normales et honnêtes, la différence du but seule nous fait conclure qu'il n'y a dans la pénalité rationnelle d'autre direction à admettre que celle de l'Etat lui-même, celle qu'on nomme le système de régie. Les résultats pratiques ont prouvé que, même au point de vue du budget, ce système est encore plus avantageux pour l'Etat que le précédent.

1471. On s'est beaucoup préoccupé, dans l'intérêt des populations ouvrières, de la concurrence faite par le travail des détenus au travail libre, et, par suite, d'un abaissement factice, au-dessous du cours naturel, dans le prix des marchandises et dans le taux des salaires. Bien que la production du travail pénal soit bien peu de chose comparée à la masse totale de la production libre, on ne peut nier cependant que cet effet d'abaissement factice ne se soit produit à l'égard de certains articles, surtout dans les environs des maisons d'emprisonnement de peine, lorsque ces maisons ont été organisées en manufactures sous le régime de l'entreprise. La condition plus favorable que celle de l'industriel ordinaire, faite par les abus de ce régime aux entrepreneurs; le choix de certaines fabrications spéculativement plus avantageuses dans les prisons, et multipliées par cela même outre mesure, sont des causes patentes de cette dépréciation. On y a cherché un palliatif en proposant d'employer aux grandes fournitures de l'Etat, comme cela se pratique en Belgique, notamment à celles de l'armée, ou de la marine s'il s'agit de pays maritimes, les produits manufacturés dans les prisons. Mais la division des services publics en divers ministères ayant chacun son budget à part, ne se prête qu'avec quelque difficulté à cet arrangement, dans lequel les économistes refusent d'ailleurs de voir un remède sérieux, puisque les commandes de fournitures qui seront faites au travail pénal seront par cela même retirées au travail libre. On pourrait se laisser séduire, sous le rapport de l'harmonie morale, par une idée émise par nous en son

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temps, plutôt comme un vou empreint de quelque utopie que comme une réalité praticable, savoir, que les produits manufacturés dans les prisons fussent attribués aux hospices et aux divers établissements de bienfaisance, afin que le travail de l'homme coupable tournât au soulagement des misères honnêtes. Mais les frais de la justice pénale et des établissements répressifs pèsent trop lourdement sur le budget de l'Etat pour qu'il soit possible d'y ajouter de tels sacrifices. Avant d'arriver à ces générosités il y a des obligations rigoureuses à remplir. Le vrai remède est, premier lieu, dans le système de la régie parce que le gouvernement, maître de ses prix en ce système, doit s'y faire un devoir rigoureux de suivre le cours régulier du marché général pour les objets similaires. Il est, en second lieu, bien plus efficacement encore dans le choix et dans la direction du travail, qui doivent être faits, en l'emprisonnement cellulaire séparé, non pas au point de vue de la spéculation et de la manufacture, mais au point de vue de la pénalité rationnelle, suivant les idées régularisatrices que nous avons émises (ci-dess., no 1464 et 1469). Du moment que le travail des prisons rentre exactement, quant au prix de ses produits, dans les conditions normales du marché commun, cela suffit pour qu'aucune plainte légitime ne puisse plus avoir lieu. Les détenus, par cela seul qu'ils sont hommes, ont le droit comme les autres de travailler et de produire; il suffit que leur situation exceptionnelle ne soit pas employée à déprécier les cours, en dehors de l'effet produit par la loi générale de l'offre et de la demande; il suffit que l'Etat dirige le choix de ce travail avec sollicitude pour le dehors comme pour le dedans, en vue de la réforme individuelle de chaque détenu quant au présent, et de ses moyens d'existence honnête quant à l'avenir. Mais, au lieu de corriger les abus, supprimer le travail dans les prisons, unir à la captivité l'oisiveté, mère de tous les vices, ce n'est qu'en des temps de vertige qu'on peut avoir va de pareils faits.

Emploi du produit du travail.

1472. Le produit du travail des détenus, dans l'emprisonnement de peine, est susceptible de diverses applications. On peut y trouver 1° un moyen de concourir à la répression; 2° un moyen de concourir à la réforme morale; 3° un moyen d'aider, lors de . l'expiration de la peine, à la transition du détenu de la prison à la liberté; 4o enfin un moyen d'acquitter certaines obligations ou de faire face à certaines dépenses intimement liées au fait du délit ou au fait de la peine. Chacune de ces différentes applications est utile et mérite une place dans l'ordonnance rationnelle de l'empri sonnement de peine; mais comme il n'est pas à espérer que les fonds provenant du travail des détenus puissent suffire à toutes en totalité, le problème consiste à déterminer quelle sera la meilleure

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