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paraissent deux déclarations de Louis XVI, par lesquelles se termine la série des ordonnances de l'ancienne monarchie à signaler sur notre matière : l'une, du 24 août 1780, abolissant la question préparatoire; l'autre, du 1 mai 1788, annonçant le projet d'une révision générale des lois criminelles, introduisant quelques adoucissements immédiats peu significatifs, et supprimant la question définitive, mais seulement par forme d'essai, sous réserve de la rétablir en cas de besoin.

140. La première de ces ordonnances ne procède qu'avec une hésitation méticuleuse. Le roi proteste qu'il est de sa sagesse « de ne point ouvrir des facilités pour introduire en toutes choses un droit nouveau, qui ébranlerait les principes et pourrait condaire par degrés à des innovations dangereuses. » Mais il n'a pu se refuser aux réflexions et à l'expérience des premiers magistrats, qui lui ont laissé entrevoir, dans ce genre de condamnation, trop de rigueur contre l'accusé. Et toutefois il se hâte d'annoncer en même temps à ses peuples que si, par un effet de la clémence qui lui est naturelle, il se relâche en cette occasion de l'ancienne sévérité des lois, il n'entend pas en restreindre l'autorité par rapport aux autres voies prescrites contre les crimes et les délits.

141. La seconde ordonnance est un peu plus prononcée dans son allure progressive: la préparation des réformes a marché, les idées sont devenues des besoins, on est à la veille de grands événements. L'ordonnance parle de la nécessité de mettre les lois au niveau de la raison publique; elle promet une révolution dans la législation pénale, elle avertit que tous les sujets auront le droit de concourir à l'exécution du projet en adressant des observations et des mémoires au garde des sceaux. Mais il ne s'agit encore que d'un projet, ou, pour mieux dire, de l'annonce d'un projet; les quelques dispositions renfermées dans l'ordonnance ne changent rien au système général, et la suspension de la torture. définitive n'y est même qualifiée que de mesure provisoire: tandis que depuis plusieurs années, antérieurement même à l'ordonnance de 1780, la torture était déjà supprimée à Naples, en Toscane, en Prusse et en Autriche !

142. Voilà où nous en étions en fait de droit pénal, lorsque survint la révolution de quatre-vingt-neuf.

Là s'arrêtent les sources de notre ancien droit pénal, que je me proposais d'indiquer, et commencent celles de notre droit actuel. Quoique séparées des précédentes, ces nouvelles sources ne laissent pas de communiquer avec elles, et plus d'un filet important a coulé des unes dans les autres. Rien ne se produit sans la loi de génération; en toute chose, le présent est fils du passé et père de l'avenir.

§ 7. Lois et codes depuis la révolution de 1789.

143. A celte époque, la France commence dans l'histoire moderne de l'Europe ce que j'appelle le second âge des révolutions. L'œuvre capitale de ce nouvel âge est d'apporter dans le travail effectif des institutions le principe nouveau de l'égalité, à côté du vieux principe, dont la réalisation fut poursuivie dans tous les temps, la liberté. Le droit pénal s'en ressentira. Toute révolution sociale a son influence sur le droit privé, toute révolution politique sur le droit pénal; à plus forte raison celles qui sont à la fois sociales et politiques.

La thèse de la réformation nécessaire des lois criminelles avait été, pour la philosophie du dix-huitième siècle, un prélude aux rénovations plus générales qui se préparaient, un premier champ ouvert à la controverse et à l'attaque des institutions existantes, dans lequel s'étaient jetés avec activité les hommes qu'on devait voir plus tard à la tête des partis dès qu'une carrière bien autrement révolutionnaire s'offrirait à eux. Dans ces questions, à la suite de Montesquieu, de J.-J. Rousseau, de Voltaire, de Beccaria, à côté de Servan, de Dupaty, de Lacretelle et de tant d'autres, avaient débuté Brissot, Robespierre et Marat (1). Les cahiers des trois ordres, pour les états généraux, demandaient tous cette réforme des lois criminelles et en indiquaient les bases. Après avoir passé des livres et des discussions de philosophie dans les concours académiques et dans les pamphlets, les questions arrivaient à la tribune nationale.

Nous avons tracé ailleurs le tableau de ce mouvement, et apprécié la série des travaux législatifs qui ont substitué au système ancien les matériaux et l'assemblage du système actuel (2). Laissant de côté les lois de détail, les dispositions éparses dans les constitutions successives, il nous suffira de signaler ici les lois importantes, les codes spéciaux qui font monument et qui doivent s'inscrire au nombre des sources les plus directes de notre droit pénal.

144. Sous la Constituante:

La loi du 19-22 juillet 1791, qui, sous le titre d'Organisation d'une police municipale et d'une police correctionnelle, règle la

(1) M. BRISSOT DE VARVILLE: Théorie des lois criminelles, 1781. Le sang innocent vengé, couronné par l'Académie de Châlons-sur-Marne, en 1781. — Bibliothèque philosophique, ou Choix des meilleurs discours, dissertations, essais, fragments, composés sur la législation criminelle; 1782 à 1785, 10 vol. in-8°.

M. de Robespierre, avocat à Arras: Mémoire sur le préjugé qui étend à la famille du coupable la honte des peines infamantes, couronné par l'Académie de Metz, en 1784.

MARAT Plan de législation criminelle, 1789.

(2) Voir le résumé d'un de nos cours: Cours de législation pénale comparée, Iniroduction historique, 1841, 1 vol. in-8o.

pénalité, la juridiction et la procédure quant aux délits d'un ordre inférieur, qualifiés de délits de police municipale et délits de police correctionnelle;

La loi du 16-29 septembre 1791, qui, sous le titre de loi concernant la police de sûreté, la justice criminelle et l'établissement des jurés, règle la juridiction et la procédure quant aux délits de l'ordre le plus grave, qualifiés de délits méritant peine afflictive ou infamante, ceux auxquels nous donnons aujourd'hui le nom de crimes. On peut dire que cette loi est le code de juridiction et de procédure criminelle de l'Assemblée constituante;

Le Code pénal, du 25 septembre-6 octobre 1791, qui, malgré la généralité de son titre, ne traite que de la pénalité applicable aux délits méritant peine afflictive ou infamante.

145. Dès l'abord de cette législation, on voit, d'après quelques éléments antérieurs alliés à de nouvelles données, s'établir une division tripartite entre la police municipale, la police correctionnelle et la police de sûreté; auxquelles correspondent trois ordres divers d'infractions: les délits de police municipale, les délits de police correctionnelle et les délits méritant peine afflictive ou infamante, ayant chacun leurs juridictions et leurs formes de procéder.

146. Les projets de ces lois dans l'Assemblée sont préparés par les comités de constitution et de législation criminelle réunis; la discussion publique est vive et brève; elle ne s'anime que sur les point capitaux, qui forment base, qui divisent les opinions : sur l'institution du jury, dans la loi de procédure criminelle; sur le maintien ou l'abrogation de la peine de mort, sur le mode d'exécution de cette peine, sur le droit de grâce, dans le Code pénal. Le jury est institué, mais seulement pour les délits emportant peine afflictive ou infamante, et il l'est à deux degrés jury d'accusation et jury de jugement.

L'abolition de la peine de mort, proposée par les comités, soutenue par Robespierre, par Pétion, par Duport, est rejetée par l'Assemblée.

La question sur le mode d'exécution est une question d'égalité : l'ancien régime avait la hache pour les nobles, la corde pour les vilains; en adoptant la décapitation, on relève tous les coupables

au même niveau.

Le droit de grâce touche à la question du pouvoir royal; c'est, pour ainsi dire, le veto en matière criminelle: aussi est-il discuté au club des Jacobins en même temps qu'à l'Assemblée; le Code pénal l'abolit pour tout crime poursuivi par voie de jurés.

147. Sous l'Assemblée législative, et sur le rapport du secrétaire perpétuel de l'académie de chirurgie, est décrété le nouvel instrument du supplice (décret du 20-25 mars 1792): destiné à fonctionner bientôt comme un instrument de gouvernement.

148. Sous la Convention, du jour de son ouverture (septembre

1792) à la révolution du 9 thermidor (juillet 1794), nous ne voyons qu'un état de guerre guerre intérieure, guerre extérieure; la loi et la justice pénale sont transformées en moyens de guerre.

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C'est postérieurement au 9 thermidor, dans la seconde période de l'existence de la Convention, qu'apparaît un monument important pour l'histoire de notre droit pénal:

Le Code des délits et des peines, du 3 brumaire an IV (26 octobre 1795).

« On a voulu simplifier, classer dans un ordre clair et méthodique, opérer une refonte générale de toutes les lois de la révolution, pour la poursuite et la punition des délits de toute espèce."> C'est le rapporteur, M. Merlin, qui nous le dit. Mais le temps a manqué pour l'exécution entière de ce projet. Quoi qu'annonce son titre, le Code des délits et des peines n'est véritablement qu'un code de juridiction et de procédure pénales. Sur ces deux points il présente, posée méthodiquement et dans un système complet, en y apportant quelques changements de dénomination, la division déjà établie des juridictions répressives en trois classes : tribunaux de simple police, tribunaux correctionnels et tribunaux criminels; ainsi que les formes de procéder propres à chacune de ces juridictions. Quant à la pénalité, il contient peu de chose et renvoie aux lois précédentes.

Ce code a eu quinze ans d'application, quinze ans pour pénétrer dans les habitudes contemporaines et pour s'y asseoir. On le verra se reproduire en grande partie dans le code de 1810 et dans la législation postérieure.

149. Durant la première période conventionnelle, et parmi les violences de la lutte, une peine condamnée par la science rationnelle, abolie par la Constituante, la confiscation, a été ressuscitée (1) elle survivra aux événements, et la législation impériale en recueillera l'héritage.

Cependant la Convention avait pris à tâche de ne point se séparer sans avoir aboli la peine de mort. Plus de six fois la proposition en est faite dans le cours de ses travaux (2) et repoussée par cette objection: « Le temps n'est pas venu. » Au dernier moment elle se sépare en votant cet article: « A dater du jour de la publication de la paix générale, la peine de mort sera abolie dans toute la république française (3)! » Ce décret n'aura été qu'une phrase.

150. Sous le Consulat et sous l'Empire, le système d'une codification générale en des codes simples, brefs, à la portée de tous,

(1) Décrets 27 juillet-2 septembre et 30 août-3 septembre 1792; 10 et 19 mars 1793; 1, 19, 29 brumaire et 26 frimaire an II.

(2) Séances du 23 janvier et du 17 juin 1793, du 8 brumaire, du 30 nivôse, du 23 germinal an III, du 9 vendémiaire, et finalement du 14 brumaire an IV.

(3) Décret du 4 brumaire an IV.

est conçu et réalisé. Le droit pénal y est compris (1). De là sortent, en dernier lieu, après des travaux plusieurs fois interrompus :

Le Code d'instruction criminelle, décrété en neuf lois, du 17 novembre au 16 décembre 1808,

Et le Code pénal, décrété en sept lois, du 12 au 20 février 1810; Lois promulgées d'abord séparément, au fur et à mesure qu'elles étaient décrétées, et réunies ensuite pour chaque code en un seul corps, sous une même série de numéros (2). Les deux codes, après des délais successivement prorogés (3), furent déclarés exécutoires tous les deux en même temps, à partir du 1er janvier 1811.

Il faut rapprocher de ces codes la loi sur l'organisation judiciaire, du 20 avril 1810.

151. Le mécanisme législatif alors employé est essentiel à remarquer. Ce mécanisme imite celui de la justice. Le Corps législatif est une sorte de grand-juge de la législation; la loi est comme le résultat d'un jugement qu'il rend. Devant lui comparaissent, d'une part, le gouvernement, par l'organe de ses commissaires chargés de défendre le projet; de l'autre, le Tribunat, par l'organe de ses délégués. Chacun d'eux expose son avis et ses motifs, quel quefois d'accord, quelquefois en opposition; puis, à la suite de ces discours, le Corps législatif, semblable à un jury silencieux, sans pouvoir rien dire dans la discussion, rien ajouter, rien retrancher, rien amender, prononce le rejet ou l'adoption (4).

Ce mécanisme avait un vice saillant: il ne donnait rien à l'esprit de conciliation, de concession mutuelle ou de correction; il con

(1) Ua premier projet de Code criminel embrassait à la fois la pénalité et la procédure pénale. Discuté au conseil d'État, en vingt-cinq séances, presque toujours présidées par l'Empereur, qui y prit une grande part (du 16 prairial an XII-5 juin 1804 au 29 frimaire an XIII-20 décembre 1804), il fut, après une interruption de quatre ans dans la discussion, abandonné et remplacé par deux projets séparés, l'un de Code d'instruction criminelle, et l'autre de Code pénal. La commission du conseil d'État, pour ce premier projet, était composée de MM. Viellard, Target, Oudard, Treilhard et Blondel. Des observations générales, sources bonnes à consulter, furent émises : sur la première partie, relative à la pénalité, par M. Target; et sur la seconde, relative à la procédure, par M. Oudard.

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(2) Le Code d'instruction criminelle fut discuté au conseil d'État en trente-sept séances, du 30 janvier au 30 octobre 1808; et le Code pénal en quarante et une séances, du 4 octobre 1808 au 18 janvier 1810. A l'époque où le projet primitif fut remplacé par ces deux projets de codes séparés, la section de législation du conseil d'État était composée de MM. Treilhard, président: Albisson, Berlier, Faure, Réal. Elle s'adjoignit en outre, pour ce travail, le premier président de la Cour de cassation, M. Muraire, et le procureur général, M. Merlin. Les orateurs du gouvernement devant le Corps législatif, sur les divers projets de loi composant ces codes, ont été MM. Treilhard, Faure, Berlier, Réal, Albisson, Portalis, Pelet, Maret, Giunti, Corsini, Corvetto.

(3) Décrets des 2 février et 17 décembre 1809; 13 mars, 23 juillet et 25 novembre 1810.

(4) Constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799), suivie des sénatusconsultes organiques des 16 thermidor an X (4 août 1802) et 28 floréal an XII (18 mai 1804).

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