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duisait inévitablement à cette alternative: ou d'une opposition qui ferait obstacle à tout, ou d'une complaisance servile qui laisserait passer tout; et la première expérience fut celle de l'opposition.On chercha à remédier à ce vice par une communication officieuse faite avant la solennité d'apparat. Au moyen de cette communica-` tion, le conseil d'État, instrument gouvernemental d'élaboration de la loi, pouvait s'entendre avec le Tribunat, avoir égard à ses avis, préparer, pour ainsi dire, avec lui, le jugement à huis clos et d'accord. De contradicteur, le Tribunat était devenu collaborateur : l'acceptation publique n'était plus qu'une forme. Plus tard, le Tribunat lui-même, fantôme déjà nominal, avait été supprimé (1) et ses fonctions officieuses transportées à des commissions du Corps législatif. Tel était l'état des choses lorsque les lois composant le Code d'instruction criminelle et le Code pénal furent votées.

152. On conçoit que dans un tel système ce sont les discussions du conseil d'Etat qui constituent le travail sérieux pour la formation de la loi les documents essentiels à consulter pour l'étude de cette formation.

:

La pensée qui préside à ce travail est de donner par-dessus tout force au pouvoir, force aux institutions, énergie aux peines. Une difficulté ne tarde pas à surgir. L'empereur, dans le courant de ces discussions, a conçu un projet large, une organisation puissante à faire l'organisation de tout l'ordre judiciaire; la réunion intime de la justice civile et de la justice criminelle en un grand corps compacte, et relié par degrés hiérarchiques sur toute l'étendue de l'empire. Mais cet établissement nouveau est-il conciliable avec le jury? Comment accommoder le maintien de l'un avec la création de l'autre? Ne vaut-il pas mieux supprimer le jury? Peut-on se permettre cette suppression? Ces difficultés, jointes à des événements majeurs de ces temps, tinrent en échec pendant plus de trois ans les projets de codification criminelle, et ce ne fut qu'après avoir trouvé un système conciliateur qu'on marcha rapidement dans ces projets, et que les lois du Code d'instruction criminelle, celle de l'organisation judiciaire et celles du Code pénal furent décrétées et promulguées pour entrer simultanément en application.

153. D'après ces nouveaux codes, le jury d'accusation disparut, remplacé par les chambres d'accusation : « Les constitutions de l'empire ordonnent qu'il y aura un jury d'accusation, disait » Treilhard, mais elles ne défendent pas de le placer dans le tri>>bunal; » à ce compte, on aurait pu supprimer même le jury de jugement; des tribunaux d'exception, sous le nom de Cours spéciales, furent organisés pour un grand nombre de cas; des peines abolies ou laissées de côté par la Constituante, telles que la mar

(1) Sénatus-consulte du 19 août 1807.

que, la mutilation, la confiscation générale, la mort civile, et ressuscitées pour la plupart au milieu des luttes politiques qu'on venait de traverser, furent replacées dans le cadre normal du système répressif; la peine de mort, dont la Convention n'avait décrété qu'une abrogation conditionnelle bientôt révoquée (1), fut étendue à des cas plus nombreux d'application; en un mot, la nouvelle législation pénale, avec des améliorations incontestables de clarté, de simplification et de coordination, porta énergiquement l'empreinte de l'esprit de reconstitution de l'autorité dans lequel elle avait été conçue.

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154. Sous la Restauration, la confiscation abolie, les diverses lois relatives à la répression des crimes et délits de la presse, notamment celle du 17 mai 1819, quant à la pénalité, qui était en progrès incontestable sur le Code pénal de 1810; et celle du 25 mai 1819, quant à la juridiction, qui introduisait le principe de la compétence exclusive du jury en pareille matière: avec leurs intervalles intermittents de prohibitions, de censure et de rigueurs; - la loi éphémère du sacrilege, du 20 avril 1825; la loi sur le jury, du 2 mars 1827, complétée par celle du 2 janvier 1828, qui apportaient un système nouveau et des garanties, sinon entières, du moins plus sérieuses dans l'organisation de cette institution, témoignent à la fois de l'esprit personnel de la monarchie de droit. divin restaurée, des oscillations du régime représentatif à deux chambres sous cette monarchie, et des progrès disputés que faisait d'année en année l'esprit public dans la pratique et dans les conquêtes de ce régime.

Une loi, du 25 juin 1824, pompeusement intitulée loi modificative du Code pénal, ne contient que quelques dispositions de détail en petit nombre et de peu d'importance; on y peut remarquer en germe un faible commencement d'extension du bénéfice des circonstances atténuantes, de la classe des contraventions ou des délits à celle des crimes.

155. Sous la monarchie de 1830, la loi de révision du Code pénal et du Code d'instruction criminelle, du 28 avril 1832 (2). 156. Cette loi, monument principal de ce gouvernement en fait de droit pénal, a procédé par voie de révision des codes existants, avec substitution des articles nouvellement rédigés aux anciens articles, sans que la série des numéros s'en trouve altérée ; méthode qui a bien quelques inconvénients historiques, mais qui offre le

(1) Ajournée indéfiniment par une loi du 8 nivôse an X.

(2) Projet élaboré par une commission spéciale. Communiqué à la Cour de cassation et aux Cours royales pour avoir leurs observations.

Présenté à la Chambre des Députés, 31 août 1831; rapporteur, M. DUMON; adopté avec amendement, 7 décembre 1831. Porté à la Chambre des Pairs, 9 janvier 1832; rapporteur, M. le

comte de BASTARD; adopté avec amendement le 23 mars 1832.

bre des Députés le 30 mars 1832; adopté tel quel le 8 avril.

Reporté à la Cham

Loi sanctionnée et

promulguée le 28 avril. Obligatoire à dater du 1er juin 1832 (art. 105 de la loi).

grand avantage de maintenir tous les bénéfices pratiques de la codification. Une nouvelle édition officielle des deux codes a été publiée en conséquence.

157. La pensée générale de cette révision a été une pensée d'adoucissement à la pénalité, et d'augmentation des garanties individuelles en fait de juridiction et de procédure. Il y faut remarquer particulièrement : -1° l'abolition de certaines peines (mutilation du poignet, marque, carcan, mise à la disposition du gouvernement), et la modification de quelques autres (exposition publique, surveillance de la haute police); -2° la division des peines en deux natures, suivant deux échelles séparées : l'une pour les crimes politiques, l'autre pour les crimes ordinaires; -3° enfin, le système des circonstances atténuantes étendu à tous les cas de crime: système qui constitue sans contredit la plus large innovation dans la réforme de 1832, et que le législateur d'alors a considéré en quelque sorte comme un remède universel destiné à obvier à toutes les imperfections qu'il laissait subsister dans la loi criminelle espèce de blanc seing par lequel ce législateur se déchargeait sur le jury du travail qu'il n'avait pas accompli.

158. Mais si là se borne, quant au droit pénal positif, l'œuvre principale du gouvernement de juillet en fait de loi promulguée et entrée en application, un travail bien plus important s'est opéré dans la science, dans les esprits, dans les essais de l'administration, dans les matériaux préparés par elle, et dans les projets soumis et discutés à diverses fois devant les Chambres, pendant le cours des années qu'embrasse la durée de ce gouvernement (1). Ce travail avait pour but une rénovation radicale du système répressif, par l'organisation nouvelle des peines privatives de liberté. L'idée en faveur y était celle de l'emprisonnement cellulaire.

159. Les révolutions de 1848 et de 1851 sont trop près de nous pour être entrées dans l'histoire. Leur influence sur notre droit pénal a été grande, et un nombre déjà considérable de lois particulières en est sorti. Celles de ces lois qui n'ont été que transitoires, abrogées presque aussitôt que promulguées, ou destinées à ne pourvoir qu'à des situations temporaires, sont en dehors de notre sujet. Quant aux autres, qui peuvent être considérées comme comprises dans notre droit commun actuel, nous aurons à les faire connaître, et elles se rangeront chacune à leur place dans la partie positive de ce traité.

Nous signalerons plus spécialement parmi les dispositions de ces lois : l'abrogation de la peine de mort en matière politique (2),

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(1) Projet de loi de 1840, à la Chambre des Députés; rapport de M. de TocqUEVILLE (Moniteur du 24 juillet 1840); adoption dans la session de 1844. - Observations de la Cour de cassation et des Cours royales. Nouveau projet devant la Chambre des Pairs; rapport de M. BERENGER dans la séance du 25 août 1847.

(2) Décret du Gouvernement provisoire du 26 février 1848, et Constitution du 4 novembre 1848, art. 5.

et celle de l'exposition publique (1); abrogations définitivement acquises à notre système répressif; l'appropriation des règles organiques du jury au principe nouveau du suffrage universel (2); l'organisation des peines de la déportation dans une enceinte fortifiée (destinée à remplacer la peine de mort pour crimes politiques) et de la déportation simple édictée par l'article 17 du Code pénal, avec suppression de la mort civile dans les deux cas (3); les colonies agricoles ou pénitentiaires décrétées, au moins en principe, pour les jeunes détenus et pour les jeunes détenues, avec des mesures d'éducation et de patronage (4); enfin, l'évacuation des bagnes commencée, et la fondation d'une colonie de répression à Cayenne, pour la transformation de la peine des travaux forcés. -Dans cette période, dès les premiers jours de la révolution de 1848, les idées d'emprisonnement cellulaire pour la rénovation du système répressif commencent à perdre du terrain, et sont remplacées par celles de colonisation.

160. En résumé, le corps de notre droit pénal positif actuel se compose du Code pénal de 1810 et du Code d'instruction criminelle de 1808, revisés l'un et l'autre en 1832; plus, les nombreuses lois ou règlements particuliers relatifs à des matières spéciales, qui forment un ensemble bien plus considérable que celui des codes. Dans tout cet ensemble il est facile de reconnaître la main des régimes divers par lesquels nous avons passé : celle de la Constituante, celle de la Convention, celle du régime impérial, celle de la Restauration, celle du gouvernement de juillet, celle enfin des révolutions de 1848 et de 1851, et de se convaincre, par le seul exemple de notre pays, de cette vérité historique, que toute révolution politique a son contre-coup dans les institutions pénales et y laisse toujours quelque chose du sien.

(1) Décret du Gouvernement provisoire du 12 avril 1848. (2) Loi des 7-12 août 1848 sur le jury.

(3) Loi du 8 juin 1850.

(4) Loi du 13 août 1850.

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